C'est la première fois que je retourne en Irlande depuis le décès de mes parents. C'est la première fois que je revois les paysages de mon enfants depuis plus de dix ans. Douze ans pour être plus exacte. Pourtant, dès que je pose un pied sur le sol Irlandais, je me sens tout de suite chez moi. C'est une sensation étrange et pourtant très agréable à la fois. Mes souvenirs sont très flous sur ma vie ici, pour tout vous dire, je me souviens à peine de la maison qu'on occupait à l'époque et de la rue dans laquelle on habitait. Je ne me souviens pas non plus de mon école, ni même du supermarché dans lequel on allait faire les courses avec moment. Les années ont passé et c'est comme si mes souvenirs s'étaient envolés avec le temps. Comme si, il ne voulait pas que je m'en souvienne pour ne pas que j'ai mal de nouveau. Et ce n'est peut-être pas plus mal dans un sens. Ce voyage est un coup de tête. J'en avais envie depuis un bon moment, j'avais besoin de revenir là je suis née et où j'ai passé une petite partie de mon enfance. J'avais besoin de "voir" mes parents, de leur "parler", de leur "raconter" à quel point ma vie est horrible depuis leur départ et que tante Carole n'est vraiment pas celle que l'on croyait. J'ai besoin de me "confier" à eux. J'ai toujours trouvé pathétique les personnes qui parlent depuis les pierres tombales des défunts et voilà que je m'apprête à le faire. Qu'est-ce que je peux me trouver pathétique par moment. Je me demande s'ils nous entendent réellement ou si on a juste l'air débile de parler dans le vide. J'espère sincèrement que la première option est la bonne. J'aimerais vraiment qu'ils entendent ce que j'ai à leur dire. Même si je trouve l'idée de parler à un mort un peu bizarre et surtout très glauque. Je souffle un bon coup puis je m'avance dans les allées du cimetière de Limerick. C'est la première fois que je pose les pieds ici et c'est très étrange. Je ne me sens absolument pas à ma place tellement l'atmosphère qui règne est lourde et vide de vie. Je n'aime définitivement pas cet endroit mais je m'y dois d'y aller. Mes grand-parents avaient jugé que ce n'était pas un endroit pour une petite fille de huit ans durant l'enterrement de mes parents. Je ne leur en veux pas pour ça parce que malgré mon jeune âge, je ne pense pas que je l'aurais supporté de toute façon. La cérémonie à l'église avait été bien trop douloureux pour moi. Je ne comprenais pas tout de ce qu'il se passait, ni ce que cela signifiait vraiment. Mais j'avais compris que je ne reverrais plus jamais mes parents et que tout le monde dans l'église y compris moi, leur disions au revoir à tout jamais. Et ça, je ne le voulais pas. Je ne voulais pas leur dire au revoir. Jamais. Qui le voulait vraiment d'ailleurs. Mes parents étaient des personnes adorables qui étaient toujours présent pour aider les autres dans le besoin. C'est en tout cas ce que m'a dit grand-mère durant l'un de nos nombreux appels téléphoniques. Je ne les vois plus, mais on se parle très régulièrement et ça me fait du bien. Ça me permet de rester proche de mes parents dans un sens. Ou plutôt de ma mère, les parents de mon père sont décédés quelques années avant lui, je ne les ai jamais réellement connu. D'ailleurs, je pense qu'il va falloir que je passe les voir avant que je ne reparte. Je m'en voudrais de ne pas le faire. Surtout que je ne sais vraiment pas quand je pourrais revenir ici, alors il faut que j'en profite un maximum pour faire tout ce dont je dois faire avant de repartir. Et mes grand-parents sont une priorité. Tout comme mes parents. Je suis le chemin que ma grand-mère m'a dit de prendre pour tomber sur la tombe de mes parents et on pourrait presque croire que je m'y rends très souvent tellement je ne tourne pas en rond dans les allées. Ce qui serait très certainement arrivé si je n'avais pas demandé à grand-mère avant. J'arrive devant eux, la tombe est très fleurie et je suis sûre que grand-mère demande à faire mettre des fleurs régulièrement et à enlever celles qui sont faner. Sur la pierre tombale, il y a leurs photos. Ça fait bien longtemps que je n'ai pas vu leur visage, je n'ose plus mettre le nez dans les albums photos que j'ai précieusement gardé depuis leur disparition. Tout comme l'énorme carton de souvenir que j'ai aussi ramené en Amérique. Je sais que ça me ferait trop de mal de voir tout ça et je ne veux pas. Je veux paraître forte et être forte surtout. Pour eux, pour moi. Je m'avance et je m'assois tout près de leur image. Je les effleure du bout des doigts et des vagues de souvenirs me reviennent en tête. Ils sont flous, beaucoup trop flous mais ça ne fait rien. Je me souviens de ce jour où on avait voulu faire un gâteau au chocolat avec maman, mais qu'on a fini par faire une bataille de chocolat, de farine et d’œufs à travers la cuisine. Comme deux gamines. Ma mère était une grande enfant malgré son rôle de maman et son âge. On riait énormément toutes les deux et elle n'hésitait pas à faire quelques "bêtises" avec moi. De ce genre là en fait. Quand mon père est rentré, je me souviens qu'il était partagé entre se mettre en colère et se mettre à rire en nous voyant dans l'état où nous étions. Il s'est finalement mit à rire et s'est foutue de nous pendant des jours. Et le gâteau ne s'est jamais fait au final. Mais on aura bien ri. Et c'est certainement l'un de mes meilleurs souvenirs. Et l'un dont je me souviens le mieux. Les autres sont vagues. Trop vague pour que j'arrive à y mettre de l'ordre et savoir ce qu'il s'est réellement passé ce jour-là. Voir leurs visages me rappellent aussi le jour de leur décès. Je me souviens qu'ils allaient au restaurant pour fêter leur onze années en temps que couple. J'étais restée chez mes grand-parents pour la soirée et pour la nuit. J'étais plus que ravie d'ailleurs, j'adorais passer mon temps là-bas. Je ne m'ennuyais jamais et on riait bien avec grand-père. Mais cette soirée qui avait semblé pourtant bien commencer, ne se déroulait pas aussi bien que prévu. Je venais de me coucher quand ça a toqué à la porte. Je n'entendais rien de ce qu'il se disait mais j'ai entendu grand-mère crier et se mettre à pleurer assez violemment. Je n'ai pas pu m'empêcher de descendre pour demander ce qu'il se passait. Et je les ai vu. J'ai vu les gendarmes à la porte, sauf que je ne comprenais pas. J'étais jeune et encore innocente. Grand-mère m'avait dit de remonter me coucher mais j'avais refusé. Je voulais comprendre ce qu'il se passe. À cet âge-là, j'étais déjà têtue visiblement, ça n'a pas vraiment changé avec le temps. L'un des policiers s'est approché de moi et m'a demandé si j'étais bien la fille des O'Meara. J'ai répondu que oui, c'était bien moi. Il m'a alors expliqué qu'il s'était passé quelque chose de terrible à mes parents. Il m'a dit qu'ils avaient eu un grave accident de voiture et qu'ils étaient très mal. Et aussi, qu'il n'était sûr qu'ils survivent. Il m'a expliqué ça calmement, avec des mots d'enfants pour que je comprenne. Mais je ne comprenais pas vraiment ce qu'il m'expliquais. Ou je ne voulais pas comprendre, je ne sais pas. Mais je me suis mise à pleurer parce que je savais que c'était grave quand même. En repensant à tout ça, je me mets moi-même à pleurer sans vraiment m'en rendre compte. La douleur est toujours aussi vive, elle ne m'a jamais vraiment quittée. J'ai juste réussi à bien la camoufler. « Je vous aime. » J'ai murmuré en les "regardant" avant de m'en aller de cet endroit. Non, je ne me sens pas capable de leur dire tout ce que j'ai sur le cœur. C'est encore trop dur, je ne suis pas prête. Ça attendra. Désolée papa. Désolée maman.