Ils sont cinq au total. Cinq entassés dans une caravane organisée avec une intelligence presque mathématique.
La famille Graham, comme le jeu des sept familles qu'ils étalent sur la table le dimanche après-midi.
On demande la mère.
Daisy, grande, blonde, un peu pulpeuse, juste assez pour faire tourner la tête des hommes sur son passage. Daisy, la douceur incarnée, c'est d'elle que vient le caractère de Chad. Sensible mais pas fragile, caractérielle mais pas fermée, obstinée mais pas têtue. L'être parfait, celui qui te subjugue, qui renverse toutes les lois de ton univers rien qu'en te regardant avec ses grands yeux bleus (ça aussi, Chad les tient d'elle).
On demande le père.
Jack, il a un monstre dans le ventre, un monstre qui se nourrit d'alcool et qui en demande un peu plus chaque soir. Ce monstre là le fait parler trop fort, rentrer dans la caravane maladroitement. Il l'empêche de marcher correctement, le pousse à mettre les pieds dans ce qui traîne par terre et tomber au beau milieu de la petite maison en riant. Ça réveille sans cesse tout le monde et Daisy se redresse en disant aux enfants de se rendormir. Faut la voir, ramasser Jack et son monstre avec la force de dix hommes en lui disant de se reprendre un peu. Une fois allongé dans son lit, ce même monstre se met à ronfler de tout son coffre pour être certain de les tenir tous éveillés.
Il y a toujours du bruit dans la caravane, Daisy appelle ça la maison du bonheur. C'est une expression que les grandes personnes utilisent en réalité pour rendre le chaos plus agréable.
On demande l'aînée.
Meghann, le plus fort caractère de la famille, qui prend les trois quart de la place dans la caravane, qui tape dans les meubles et hurle pour extérioriser sa crise d'adolescence. La porte de la salle de bain s'en souvient encore même si le père a rebouché l'énorme trou avec du papier et des morceaux de carton pour pouvoir se laver sans avoir l'impression de partager sa douche avec tout le monde. Meghann qui fugue comme elle respire, à la recherche de la liberté dans la liberté, elle traverse les routes à pieds, fait du stop et revient quelques heures plus tard, les yeux larmoyants, les chaussures sales et de la colère au fond du cœur. Elle cherche quelque chose, la grande, mais personne n'a jamais su quoi, même pas Daisy qui a pourtant bien tenter d'éplucher sa tête quand elle ne la caresse pas les soirs de colère injustifiée. Dix-sept ans, c'est normal, c'est l'âge où on se déteste, où on essaie de comprendre son corps mais qu'il ne nous répond pas. Alors on fuit, on fugue pour s'éloigner de soi, chercher des réponses ailleurs alors qu'elles sont à l'intérieur de nous, que le seul remède, c'est de rester en soi, de s'écouter. Peut-être qu'un jour Meghann le comprendra, qu'elle arrêtera de tout casser et de prendre la poudre d'escampette en se persuadant qu'ailleurs c'est mieux, qu'ailleurs c'est plus beau alors que son cœur est caché entre les quatre murs d'une maison à roulettes.
On demande le cadet.
Chad. Une petite tête blonde tendre et parfois insolente, haute comme trois pommes et pleine d'énergie, une tendre tornade qui réclame sans cesse ces oranges à seize heures pile. Il est pas difficile comme garçon du moment qu'il peut se dépenser, faire du vélo toute la journée avec Donald pas bien loin de lui. Donald … c'est toute une histoire, la carte d'un autre jeu, le joker, l'espèce de bouffon dont il pourrait pas se passer. Donald, il en parle comme si c'était le meilleur, comme s'il n'y avait pas mieux sur terre que ce grand roux impétueux. C'est souvent à cause de lui s'il revient avec les genoux écorchés, le pantalon plein de tâches d'herbe et les cheveux en bataille. Ses cheveux, longs jusqu'aux épaules parce que Maman Daisy refuse de les lui couper. On croit souvent que c'est une fille, surtout lorsqu'elle lui fait une tresse même s'il se débat sans cesse. Suffit que Chad quitte la caravane pour oublier qu'il fait la tête, se jeter dans la terre, observer les papillons, attraper des lézards, jeter des cailloux dans les fenêtres des voisins juste pour le plaisir de partir en courant avec la peur aux tripes. A croire que son but ultime est de rentrer le plus sale possible, juste avant que la nuit tombe pour ne pas se faire corriger par son père qui s'inquiète malgré le monstre bizarre qui le fait bégayer après trop de verres dans le nez.
Est-ce qu'il deviendra comme ça lui aussi ? Est-ce que son monstre amoureux de la nature remplacera les après-midi vélo en après-midi picole ?
On demande la benjamine.
Maureen. Maureen et Chad pour être plus juste vu le temps qu'ils passent ensemble. Aussi blonde que lui on pourrait presque les comparer à des jumeaux. Mais Maureen, elle est drapée d'un voile de silence, elle parle peu, ou alors juste assez. Faut dire que les Graham font toujours du bruit, il y a sans cesse quelqu'un pour bouger, ramener l'attention sur lui. Au milieu de tout ça, il y a la petite dernière dont les ombres du reste de la famille la plongent dans le noir. Lorsqu'un voisin lui parle, elle se claquemure dans son silence, se cache derrière des vêtements trop grands et ses livres qu'elle dévore comme si c'était une part de gâteau à laquelle Chad ne saurait pas résister. C'est pour elle que le môme s'est battu pour la toute première fois de sa vie. Du haut de ses dix ans, il se souvient, la façon dont il avait regardé le gamin un peu plus âgé que lui plonger les dessins de sa sœur dans une flaque. Ses petits poings serrés et la revanche au fond du ventre, il aurait fait n'importe quoi pour faire cesser les larmes sur les joues rosées de Maureen. Les sourcils froncés, il lui avait sauté en sachant parfaitement qu'il allait perdre mais c'est là-dedans que son père l'avait trouvé courageux ; foncer alors qu'on sait qu'on va se prendre le mur. Il était revenu en fin d 'après-midi avec l'arcade en sang et le t shirt déchiré mais les dessins de Maureen récupérés. Boueux mais saufs.
C'est à ça que ça se résume.
Graham.
plus haut que les oiseaux
Il l'a vu pour la première fois en étendant le linge et depuis c'est une obsession. Joachim, le nouveau soleil au milieu des caravanes. Un garçon avec les épaules larges, le visage plus beau que toutes les peintures de Maureen et le cœur tellement chaleureux que n'importe qui voudrait s'y plonger pour y faire une sieste. A chaque fois que Chad le voit du moins, c'est ce qu'il ressent ; il aimerait se serrer si fort contre lui que leurs os se touchent.
Alors, en attendant, il va étendre le linge alors qu'il détestait ça avant. C'est son rendez-vous secret avec Joachim qui sait même pas qu'il existe. Triste histoire du garçon invisible amoureux d'une lumière. Il sait pas si Donald a remarqué, comme son regard est plus le même, comme il arrête de respirer à chaque fois qu'il vient lui serrer la main pour aller faire les cons en bagnole et que Chad reste avec sa mère parce qu'elle a toujours peur de pas le voir revenir en un seul morceau. Il voudrait lui dire, à sa mère, que ça sert à rien, qu'un garçon s'occupe déjà de le déchirer en plein de morceaux, limite des paillettes mais elle comprendrait pas.
Elle comprend lorsque Daisy râle sur son copain, revient au milieu de la nuit en lui disant que c'est terminé pour de bon et qu'ils retournent ensemble dés le lendemain. Elle comprend mais un Chad au cœur brisé par l'indifférence du voisin, ça, c'est de l'art abstrait. Heureusement, il y a Maureen pour comprendre. Installé sur les marches de la caravane, l'adolescent lave ses chaussures, les cure avec un morceau de bois pour enlever les morceaux de terre accrochés alors que sa sœur se plante devant lui. Il a pas besoin de lever la tête pour comprendre ce qu'elle veut de lui, son ombre parle pour elle, lui caresse les cheveux et masque le soleil.
Chad ?
Quoi ? Il est insolent quand il prononce ce quoi, mi-agacé, mi-colérique alors qu'il ne sait pas encore ce qu'on va lui dire. Maureen a l'habitude, dix sept ans, c'est l'âge fragile, l'âge tornade où Daisy prenait la fuite pendant que Chad se renferme sur lui. Elle le dit pas mais ça la blesse de le voir s'éloigner d'elle, lui faire comprendre qu'elle le dérange.
Qu'est-ce qui va pas, Chad, hein ? Elle a pas besoin de prononcer le prénom magique pour que tous les deux comprennent ce qui le remue. Le silence qui cause pour lui, ses mains qui arrêtent de gratter nerveusement ses chaussures. C'est pas Donald, je le sais, commence pas à m'inventer des histoires. Il sait pas se taire, il me l'aurait dit si vous vous étiez engueulés. Chad qui redresse la tête et lui accorde enfin le droit d'entrer dans ses yeux, de recouvrir son âme de sa bienveillance. Ça fait combien de temps qu'ils se sont plus parlés ? Des mois ? En fait, depuis que Joachim est là, c'est comme un mur entre eux, quelque chose qu'il aimerait attraper et balancer d'un coup de pied dans l'étang juste à côté. Il sait qu'ici, ils ne seront jamais tranquilles alors il se redresse, essuie ses mains sales sur son t shirt blanc pour les enfoncer dans ses poches. Un signe de menton pour dire 'viens on va ailleurs'. C'est la maladie de la famille, aller ailleurs, toujours un peu plus loin, même quelques mètres, ça suffit à te donner la sensation de gérer les choses. D'être au moins maître de ça.
Si papa l'apprend … il va me tuer. Ce sont des mots difficiles à dire de la bouche d'un enfant mais c'est ce qu'il ressent sur le moment. Son cerveau lui envoie des impulsions comme quoi ceux qui lui ont donné la vie seraient capable de lui enlever pour si peu et lui … bah il y croit. C'est pour ça qu'il parle pas, qu'il dit pas un mot à personne. Même Donald, il le voit moins parce que ce sont les premiers à se traiter de tapette. 'Pleure pas tapette' la phrase préféré de tous les temps de l'autre con de roux. Maureen elle est pas vraiment comme les autres alors il lui en parle parce qu'il sait comme elle se rend malade pour bien moins que lui encore. Elle s'assoit à côté de lui dans l'herbe alors que Chad arrache des brins d'herbe avec ses doigts.
On s'en fiche de papa et puis de tous les autres aussi saouls que lui aussi ! Ce ne sont que des bêtes. Première fois qu'il l'entend parler comme ça, avec autant de hargne et de recul. Il a la sensation d'être un microbe à côté d'elle, un microbe qui comprend rien à la vie, les microbes ça peut rien comprendre à la vie. Chad se retrouve un peu con, garde la bouche ouverte, les sourcils froncés à la regarder dans toute sa splendeur. Par contre toi. Son doigt rencontre son torse, un coup de vent fait danser leurs cheveux en même temps, des épis de blé en plein soleil, magique. Tu vas arrêter tout ça, d'accord ? Joachim est peut-être beau mais il a le cerveau d'un petit pois et t'es trop naïf pour t'en rendre compte. T'auras jamais rien de lui. C'est comme si je te disais que j'étais folle de Donald ! Tu te moquerais bien de moi, non ? Il rit, miracle, il rit ! Ses doigts broient encore quelques brins d'herbes. Les joues de Chad, rosées par les aveux se tournent vers sa sœur. Je te dégoûte pas ? Maureen le fixe avec le même air que sa mère lorsqu'elle est déçue de lui, ça le fait se sentir minable même s'il le dit pas. Il est minable ces derniers temps, c'est son sentiment majeur, être minable, bien sûr que c'est un sentiment, tous ceux qui le ressente pourront en témoigner. Les autres c'est qu'ils savent pas encore, qu'ils le sauront peut-être jamais. Il le leur souhaite pas. C'est ton t shirt sale qui me dégoûte. Sa voix est froide et pendant un instant, il se dit qu'il est en train de la perdre elle aussi mais Maureen lui donne un coup d'épaule tendre accompagné d'un sourire qui veut dire 'je te jure que tout va bien'. Motus et bouche cousue.
Leur secret.
après tout ce qu'on a fait pour toi
Les parents, ces paradoxes ambulants. Une vie à te dire qu'ils sont là pour t'aider à prendre ton envol et qui te poussent à la culpabilité lorsque tu le fais.
Après tout ce qu'on a fait pour toi.
La phrase préférée d'une mère qui sait qu'elle est sur le point de perdre son fils. Chad qui s'accroche à leurs regards et qui se sent coupable de ce qu'il vient de leur dire. Je veux faire des études, je veux devenir quelqu'un. Les caravanes, ça m'intéresse plus mais je viendrais vous voir, ça empêche rien.
Bien sûr que si ça empêche ! Son père qui gueule, sobre pour une fois. Le môme qui se dit qu'il aurait préféré l'avoir saoul. Il est toujours plus marrant avec un coup dans le nez. Toute la famille le croira à lui plutôt qu'au jeune. Le blondinet ferme les yeux, son cœur lui fait un mal de chien, il l'entend pleurer, lui donner des sales coups mais se débine pas.
Mais P'pa … On lui coupe le sifflet, comme ça, d'un geste de main brusque qui veut dire 'tais-toi, t'es en train de nous trahir alors tais-toi' et lui qui se liquéfie, qui se laisse mourir dans les reproches comme s'ils avaient raison, qu'il ferait mieux de rester enchaîné à la route et tous les dangers qu'elle propose. Tu nous fais tellement de soucis. La voix de Daisy, acide, corrosive, qui crache des mots venins pour tenter de le convaincre de rester. Un moment, ça marche, Chad se dit qu'il va rester, qu'il va essayer de se faire à cette vie là, de s'y habituer, de mettre de côté ses propres besoins pour ceux des autres. Tu ne sauras jamais t'en sortir tout seul. Elle lui balance ça alors que lui, du haut de ses vingt-et-un ans se rend compte qu'il est toujours son fils. Sa chose. Et qu'elle l'aimait du moment qu'elle pouvait le façonner. Il se sentait pourtant si fusionnel avec elle … elle fait quoi, de leurs après-midi à faire des colliers de fleurs, à apprendre la guitare et de tout le reste ? Maman tu vas quand même pas renoncer à tout, si ? Ses lèvres tremblent mais il parvient pas à leur répondre, à s'imposer face à leur ombre. Ses poings se serrent dans le vide et Maureen les voit mais ne dit rien, en retrait, drapé de son silence protecteur. Même elle ne sera pas là pour le sauver cette fois.
Chad lâche leurs regards, il sait que c'est un combat perdu d'avance et retourne sa carcasse fatiguée dans la caravane. Un pied dedans qu'il sent qu'on l'attrape par le col de son t shirt. Sa respiration se coupe alors qu'il se sent partir en arrière. Son dos rencontre le sol, la terre amorti le choc mais ses organes font un drôle de bruit à l'intérieur. Il entend que ça, comme si ses poumons se décrochaient et entraient en collision avec son cœur. Son bras se redresse instinctivement au dessus de son visage pour se protéger mais de ses yeux bleus, il aperçoit le poing de son père. Mais le poing encore, Chad peut encaisser. Ce qui passe mal c'est son regard, la haine qui s'en dégage, comme s'il était soudainement plus rien.
Et s'il est vraiment plus rien à ses yeux ?
Tu me fais mal. Pas à cause de son avant bras qui écrase la gorge de Chad. La douleur est plus profonde, difficile à localiser mais il sent que ça se craquelle. Il voudrait mettre des mots sur cette déchirure mais le dégoût de son père le happe. La tristesse s'intègre à lui et quitte son corps sous forme de larmes. Le rire que Jack lui jette au visage n'arrange rien. Lâche-moi, s'il te plaît. Il sent bien le poing se resserrer un peu plus, son corps se faire plus lourd. Il va finir avec le visage cassé, ça, Chad en est certain mais lever une main sur son père, c'est pas possible. Il y arrive pas, son amour pour lui le broie.
Et puis son père, on le frappe pas, on l'aime. Même lorsqu'il déconne, c'est pas une raison valable pour lui en vouloir. Le coup part, ça lui fait si mal que le gamin ne sent plus la moitié de sa tête. Les larmes de Maureen, il les entend, même dans sa propre tourmente. Il voudrait la protéger de cette scène comme il l'avait protégé des salopards qui lui avaient noyé ses dessins. Tout compte fait, il a la sensation d'être un de ses dessins et que ses couleurs s'étalent sur la feuille blanche à cause de la flaque dans laquelle on le plonge. Son père, c'est juste un salopard. Daisy tente de les séparer jusqu'à ce que les mains de Donald s'en mêlent et là, c'est une tornade. Jack finit le cul par terre alors que le roux soulève son ami. Il a toujours été le plus courageux, le plus con et aussi le plus impétueux. Chad ne dit rien alors que ses yeux se plantent dans les siens. Sa vue floutée par le sang ; il parvient tout de même à lui demander, à le supplier.
Pars avec moi. Sinon ça vaudra jamais le coup sans lui. Donald c'est son soleil, l'ampoule qu'on accroche dans sa cuisine quand il fait noir et qui illumine toute la pièce. Un feu d'artifice de vulgarités et de rires francs. Son cœur vibre alors que l'autre accepte sans poser de questions ; il ne se rend pas encore compte de la portée de sa décision, c'est normal, il est jeune. Ils sont jeunes. Ils savent pas qu'ils vont en baver. Heureusement.
Chad tourne le dos à la caravane. Il entend une partie de lui le réclamer, pleurer son départ et tenter de le rattraper mais ça ne suffit pas. Il doit partir, c'est une question de survie.
ma fugue chez moi
Quelques mètres devant, Donald.
Chad fixe sa silhouette imposante sur le bord de la route alors qu'il tend le pouce, prêt à leur offrir une vie comme le blond n'arrête pas d'en parler. Un a la rage de vivre, l'autre celle de rêver ; ils ne feront pas marche arrière. Plus rien ne les retient, même pas leurs parents, qui se sont déjà concertés pour refermer les murailles de leurs cœurs s'ils venaient à changer d'avis.
Et alors qu'une voiture les embarque tous les deux, qu'un type aux dents jaunis par la clope leur sourit, Chad se dit que s'il venait à mourir, ses parents seraient obligés de culpabiliser de l'avoir laissé partir sans un rayon d'amour.
C'est triste, qu'il se dit, devoir mourir pour leur prouver qu'ils l'aiment toujours, qu'il reste leur fils.
quand je suis triste, je parle comme ma mère
Chad,
ce petit mot devrait arriver peu après tes trente deux ans, je voulais te dire, que tu le saches même si tu dois certainement en douter : je t'aime. Maureen m'a informé que tu allais te marier dans deux mois. J'aimerais être là, assister à la cérémonie et te dire tout ce que je ne peux pas coucher sur le papier. Je suis désolée de ne pas avoir été une vraie mère, de ne pas avoir eu la force de te défendre face à ton père. Je suis désolée de ne pas t'avoir choisi toi. Je me doute bien que ces quelques mots ne réconforteront pas ta peine. Tu dois certainement m'en vouloir terriblement à l'heure actuelle mais ce ne sont que des suppositions, la vérité serait trop compliquée à accepter. Ta sœur m'a aussi dit que tu avais trouvé un poste en école, je suis contente pour toi. J'espère que tu as trouvé dans cette démarche tout le bonheur que tu mérites.
Je te souhaite bon anniversaire.
Embrasse ta compagne pour moi.
Je t'aime, maman.
P.S : tu trouveras un paquet de gâteaux que j'ai déniché dans un petit marché local, j'espère qu'ils te plairont.
Une lettre au milieu des autres que Chad enferme soigneusement dans une boîte. Sa mère les lui envoie depuis six ans ; deux par an, une pour son anniversaire et l'autre aux fêtes de fin d'année. La seule consigne est de ne pas lui répondre et lui s'y soumet.
De toute façon, il ne saurait quoi lui répondre. Sa propre famille est un étranger avec qui il n'a plus rien en commun si ce n'est son sang et un amour lointain, terne des années à survivre dans son cœur sans jamais être alimenté.
les lumières dansaient dans le ciel
L'amour dure trois ans mais le chagrin s'étire à l'infini.
Il y a devant Chad une femme au regard froid qui lui avoue qu'elle ne l'aime plus. Hier encore ils prévoyaient de réserver leurs vacances d'été après des années de mariage et aujourd'hui, elle lui sort ça au petit-dej. La tartine a du mal à passer dans sa gorge, le colosse prend une gorgée de café pour ne pas flancher, lui cracher tout ce qu'il vient de manger au visage.
Je n'ai plus de sentiments pour toi.
Quoi ? Comment ? Tu peux répéter ? Je ne t'aime plus, je croyais que si mais non en fait. Elle lui balance ça après trois ans de vie commune, comme on si elle venait de se rendre compte qu'elle avait pris la mauvaise pointure de chaussures et qu'elle venait les échanger. Est-ce qu'elle a déjà prévu de l'échanger ? Si ça se trouve, Antigone a un plan tout prêt dans sa tête, elle lâche pas juste un mari, elle part vers une autre vie. C'est le juste retour des choses après tout. Il a quitté sa famille, maintenant il sait ce que ça fait d'être de l'autre côté de la barrière. Ses mains tremblent, il les passe sous la table pour ne pas qu'elle s'en rende compte. Chad veut pas la faire culpabiliser, il est trop gentil pour ça. Il s'est toujours plié en quatre pour elle, il voudrait en faire un nouveau, de pli, si ça pouvait l'aider à rester mais il sent bien qu'elle est déjà plus là.
T'as rencontré quelqu'un ? La question à deux balles. Celle que tous les hommes posent parce qu'il leur faut trouver des raisons de ne plus être aimé. D'ailleurs, Antigone voit comme il est triste de la perdre ? Non, elle s'en fiche, aveuglée, elle ne voit plus que des défauts en lui.
C'est pas la question. Elle fuit la réponse, passe une main dans sa longue chevelure blonde alors que ses yeux bleus se perdent dans son thé. Antigone prend cet air là qui veut dire que Chad va passer un mauvais quart d'heure. Ça fait combien de temps qu'on a plus attrapé un fou rire ensemble ? Chad, regarde-nous, on est vieux avant l'heure. J'ai pas signé pour me morfondre dans une maison qui ne me plaît même pas. C'est elle qui la voulait cette maison. J'ai même plus envie de rentrer le soir et de retrouver. Il va devenir pathétique, il le sent, c'est plus fort que lui. Son corps se redresse, part s'agenouiller à côté de sa chaise. Je peux arranger ça, qu'il lui souffle. Antigone passe une main dans ses cheveux, une main de pitié qui parvient tout de même à le réconforter. De la pitié c'est mieux que rien, de la pitié c'est suffisant pour entretenir l'espoir. Chad attrape ses doigts, y dépose un baiser alors qu'il retient ses larmes. Un homme, ça pleure pas, surtout pas un homme à qui on reproche de pas être assez homme. J'ai rencontré quelqu'un Chad, ça sert à rien. Mais si ça sert à quelque chose, regarde, est-ce qu'il est capable de s'ouvrir en deux pour toi ? Est-ce qu'il peut lui aussi jouer avec le monde, créer des illusions pour te faire rêver même quand tes yeux veulent juste pleurer ? Est-ce qu'il est capable de rester éveillé jusqu'au bout de la nuit parce que t'es malade et que tu parviens pas à dormir ? Est-ce qu'il accepte, lui, de partager la fièvre et les microbes du moment que ça te réconforte ? S'il te plaît, juste une dernière chance. Il en a pas eu de seconde qu'il en demande une dernière. Non, Chad, je – Le mari désespéré attrape ses lèvres pour l'embrasser et une part d'elle, de son amour, aussi minime soit-elle subsiste pour lâcher prise. Je suis désolé, Antigone, merde, je t'aime.
C'est pas grave si toi non, c'est pas grave, je t'assure. Je suis là, je prendrais soin de toi et peut-être que ça reviendra, peut-être que t'apprendras à nouveau à m'aimer.
[…]
2 mois plus tard, elle s'est faite la belle.
Il lui parle plus qu'à travers leurs avocats et des extraits de loi dont il comprend rien. Chad a la sensation d'envoyer des pigeons voyageurs, de discuter par lettres qu'elle ne lit même pas.
C'est terminé Chad, ne reste plus que les longues vagues de ton chagrin s'échouant sur la plage de ton amour brisé.
j'ai même vendu mon âme au diable pour ton sourire
PERDU
Sa confiance en lui et son amour propre.
Deux fugitifs très malins, accro aux parties de cache-cache.
Très forte récompense.
parkinson blues
Il y a une petite bête dans son cerveau qui s'attaque à ses neurones. Cette petite bête, Parkinson, là pour lui pourrir la vie et faire des petites collines de grandes montagnes. Une petite bête qui peut le laisser tranquille des jours et revenir parfois pour le mettre en mode ralenti. Alors là, c'est toute une histoire, ça commence dés le réveil en général et ça le poursuit toute la journée. Une petite bête droguée aux traitements, qui fait du chantage du genre 'si tu me refiles pas les médocs je vais te faire vivre un enfer' alors il le fait, il la nourrit et passe des moments tranquilles à la sentir en lui malgré tout. Elle est jamais bien loin et pendant ses jours de colère, elle lui saute à la nuque ah ça oui … elle aime, la lui rendre si solide que c'est à peine s'il peut bouger la tête. Ça la fait rire de le voir tout juste capable de regarder sur le côté. Y a aussi des jours où ça la fait marrer de faire trembler ses doigts pour l'empêcher de se servir un verre d'eau. Heureusement, Chad est pas trop con, attrape une paille et l'enfonce dans son verre déjà à moitié vide. Cette petite bête là, au début, le colosse ne vivait que pour elle, lui donnait une importance presque malsaine. Il a tout essayé, à commencer par ne plus vivre pour tenter de la lasser mais ça ne fonctionnait pas. Il s'est mis à se morfondre mais là c'était encore pire, elle sautait sur son cœur élastique et faisait un bruit terrible dans toute sa tête.
Alors un jour, il a trouvé la solution la plus simple, celle de l'ignorer.
C'est pas facile tous les jours parce qu'elle est capricieuse Parkinson mais il y arrive.
Bientôt trois ans qu'il deal avec, elle commence à devenir une vieille amie. Ou plutôt une belle mère, c'est chiant les belles mères à ce qu'il paraît. Il en a eu une une fois dans sa vie et Chad a jamais vraiment eu à s'en plaindre alors il fait que répéter ce qu'il entend depuis toujours. Parkinson, une vraie belle-mère. Une belle merde aussi.
les cœurs tendres
ucuc
donald
Scénario un.
Il toque à la porte, comme d'habitude, comme il le fait toujours à chaque fois qu'il revient de ses absences plus ou moins longues. Donald demande l'hospitalité et son sourire con et ses yeux, ça suffit pour faire craquer Chad. Il se décale sur la gauche pour le laisser entrer sans rien dire si ce n'est lui offrir une accolade. Il avait prévu tout un tas de mots dans sa tête à lui balancer, des reproches à n'en plus finir, de la colère pure et dure. Il s'était dit, cette fois, hors de question, je cède pas. Et le voilà qui fond face à la seule personne qu'il suivrait jusqu'au bout du monde mais qui veut pas de lui. C'est con à dire mais le colosse commence à en avoir l'habitude. Le pire c'était la première fois qu'il lui avait ça, partir sans dire un mot, sans explication, rien, après plus de vingt à vivre dans son ombre. Il lui avait demandé à son retour, comment c'était ? La question basique, celle que n'importe qui poserait mais en réalité elle voulait dire 'comment t'as pu vivre sans nous ?' Qu'il laisse en plan sa copine de l'époque, ça n'a même pas embêté Chad qui ne pensait qu'à lui. Prévenir personne d'accord mais lui ? Son ami depuis toujours.
Maintenant, il dit plus rien, il accepte. Son regard tendre s'accroche au sien.
Alors ?
C'était comment, raconte.
Scénario deux.
Là, le roux prend pas le temps de toquer, entre directement et s'installe sur le canapé comme il lui a déjà fait. Dans un élan de courage, Chad s'installe sur le fauteuil d'en face et plante ses yeux dans les siens, le visage froid. Il est capable de rien laisser paraître quand il est blessé.
C'est terminé Donald, tu peux pas te ramener après six mois sans me donner de nouvelles. J'en ai marre, tu me crèves. Une vie à s'inquiéter, c'en est même plus une. Il respire plus quand t'es dieu sait où, il a toujours peur d'apprendre que t'es en taule ou pire encore.
Donald qui tente de jouer de son charisme et son charme mais ça ne prend pas. La discussion tourne à une énième dispute alors que le revenant claque la porte derrière lui.
Chad va en baver, il le sait mais ça devient nécessaire à partir du moment où ça prend toute la place dans ta tête, où tu sais plus respirer sans y penser.
Scénario trois.
Cette fois, il revient changé, pas la même allure du gars qui n'en a rien à faire, bien décidé à demander pardon et de l'avoir. Chad le regarde, tente de respirer correctement alors que son cœur n'est plus qu'un tas de cendres.
Je suis déso- pas la peine de finir sa phrase. Le corps du colosse se rapproche de celui de Donald, le prend dans ses bras, attrape son sac tandis qu'il lui montre d'un signe de tête où il habite maintenant.
Viens, t'as des choses à raconter. Ah et j'ai un chat, roux, comme toi. Maurice. Les présentations importantes. Il s'en fiche de savoir si son ami repartira dans un mois parce qu'il préfère en profiter tant qu'il est là, tant qu'il a le droit de l'aimer avant que la coupure se fasse brusquement. Il sait que Donald n'a pas peur d'arracher ses racines, tellement qu'il les laisse plus pousser maintenant. Chad, à côté, c'est rien de plus qu'un vieux chêne qui, même s'il le voulait, pourrait pas se tirer de là. Alors il vit par procuration les voyages de son ami, accepte de l'aimer en pointillés.
Mais non, Chad, ça sert à rien.
Il reviendra pas cette fois.