C'était à la tombée d'un soir d'automne, en ces dernières années en France. Vers le sombre faubourg, des voitures, allumées, roulaient, attardées après l'heure préconisée. L'une d'elles s'arrêta devant le portail d'un vaste hôtel, entouré de jardins séculaires. Les lourds battants s'écartèrent. Un homme de trente à trente-cinq ans, en deuil, au visage mortellement pâle, descendit. Sur le perron, de taciturnes serviteurs élevaient des flambeaux. Sans les voir, il gravit les marches et entra. C'était ton père. Tu étais à côté, ta petite main tremblante dans la sienne. Un silence de plomb planait au dessus de vous alors que vous essayez tout deux d'oublier, de vous remettre du mal qui vous habitait. La mort d'un proche. Celle de ta mère. Aujourd'hui, tu as vu ta génitrice s'éteindre. L'enterrement a duré quatre heures et tu as pleuré durant tout ce laps de temps. Il ne te reste plus de larme dans ton corps, tu as épuisé tout le stock disponible. Faible petite humaine que tu es. Tu sens les bras de ton père te porter. Chancelant, il monta les escaliers blancs qui conduisaient à cette chambre où le matin même, celle qui t'a mis au monde avait couché dans un cercueil de velours. En haut, la douce porte tourna sur le tapis; il souleva la tenture.

Tous les objets étaient à la place où la défunte les avait laissés la veille. La Mort, subite, l'avait foudroyé. Elle avait succombé à ce piège fatal qu'est la vie. Et ce matin là, ses lèvres s'étaient brusquement mouillées d'une pourpre mortelle. A peine avait-elle eu le temps de donner à son époux un baiser d'adieu, en souriant, sans une parole, que ses cils s'étaient rabattu sur son regard. Comme un voile de deuil. Et maintenant que la journée sans nom s'était écoulée, tu allais enfin pouvoir trouver du repos. Les bras de ton père te portèrent jusqu'à ton lit et il t'y déposa avec soin. Doucement, il déposa un baiser sur ton front et remonta la couverte sur ton corps mince et frêle. « Il faut que tu dormes maintenant. Nous avons eu une dure journée. » Comment t'endormir alors que tu vienais de perdre l'une des personnes qui comptait le plus pour toi ? C'est tout bonnement impossible. Tu as toujours été faible et fragile. Tu enroulas alors tes bras autour du cou de ton père en enfouissant ta tête dans ce creux accueillant. Une larme roule sur ta joue anormalement pâle. Et c'est dans les bras de ton père que tu te réfugies pour trouver un minimum de réconfort. Tu en as bien besoin, et lui aussi. Caressant ton visage enfantin, il essuya tes larmes à l'aide de son pouce en te murmurant quelques mots. « On surmontera ça ensemble ma princesse, je t'en donne ma parole. » Il se releva ensuite et quitta la pièce. La nuit s'annonçait longue, très longue.


« BOSWELL ! » Tellement de violence dans sa voix que tu en lâches ton stylo. Ce n'est pas bon signe quand il t'interpelle par ton nom de famille (et le sien au passage). D'un pas lent mais assuré, tu te diriges vers son spacieux bureau. Puis, oubliant la politesse, tu entres sans frapper. « Salut p'pa ! » Il sert les dents avant de cracher presque. « Ici c'est chef ! Garde tes familiarités pour ailleurs ! » « Salut chef p'pa ! » Un long et profond soupir de désespoir franchit le seuil de ses lèvres. « Ecoute Rose, j'ai encore reçu une plainte contre toi. Tu ne peux donc pas passer une journée sans déclarer la guerre à un collègue ?  » Non. C'était juste impensable. Tu n'as jamais supporté les rats de bureau qui traînent autour de toi comme des larves à longueur de journée. Il n'ont jamais été bon qu'à remplir des dossiers et s'occuper des tâches ingrates. « Ce ne sont pas des hommes de terrains, ils me ralentissent dans mes réflexions ! De vrais boulets je t'assure ! » Il a un rire à la fois forcé et méprisant. En d'autres termes, il se fou littéralement de ta gueule. « Ton enquête dure depuis plusieurs mois et tu n'as toujours rien contre ce type ! Tu cours après une ombre et ça commence à me les casser ! Si tu n'as pas de résultats rapidement, je donne l'affaire à Aspen, si affaire il y a. Ce mec que tu traques n'existes certainement pas ! Je me suis trompé depuis le début ... » Et là, c'est le drame. Tu t'indignes. Tu croises les bras d'un air boudeur avant de reprendre la parole d'une voix roque. « Très bien, je passe à la vitesse supérieur ! Dès la semaine prochaine je te donne l'adresse de ce mac de merde ! Tu auras tout sur lui, même sa pointure de chaussure et sa marque de céréales favorites. Ca te convient ? » Il lève les yeux au ciel en soupirant. Il comprend à ta détermination que tu as une idée et cela l'inquiète. Tu t'es déjà fourré dans des situations assez délicates et tu as failli perdre la vie à de nombreuses reprises. Tout simplement parce que rien ne t'arrête, quand tu veux classer une affaire, tu mets toutes les chances de ton côté. Et là, ton idée est folle, mais parfaite à tes yeux.

En sortant du commissariat (après avoir claqué la porte, sinon ce n'est pas drôle) tu cours chez toi pour mettre la main sur les vieilles affaires de ta mère. C'était une jolie femme qui aimait qu'on la regarde et complimente. Tu mets la main sur une jupe -assez courte pour te mettre mal à l'aise- et un décolleté pour mettre tes seins en valeur. Sur le cintre tu les trouvais vulgaire, sur toi c'est une certitude. Les femmes à l'époque n'avait donc pas de dignité ? Mais pour ce que tu entreprends de faire, ce sera parfait. Tu as également trouvé un pantalon très moulant qui mettra tes formes en valeur (la jupe te donne envie de vomir). Si ton père te voyait, il t'enfermerait pour t'empêcher de plonger dans ne telle folie. Le pire dans tout cela, c'est que ça t'excite, intensément. Tu as hâte d'aller te fondre dans la foule de pute de ce quartier -ce n'est pas ce qui manque. Il ne manquerait que du maquillage et des talons hauts pour parfaire le tableau du ridicule, mais pour cela tu iras voir dans les objets perdus, il doit y avoir un tube de rouge à lèvres et des chaussures récupérées lors de la saisie de biens chez un proxénète. C'est fou tout ce que l'on peut trouver dans un commissariat de police. Une fois tout prêt, tu iras trouver ce type et le livrer à ton père en brandissant ses parties génitales comme un trophée. Il te fera ses excuses et te gratifieras de toutes sortes de compliments (pourquoi pas une augmentation). Mais pour cela il faut d'abords que tu arrives à te faire embaucher, qu'il te ramène dans son repère de femmes objets et que tu récupères des preuves de sa culpabilité. Pas un jeu d'enfant, c'est certain. Mais tu y parviendras, tu en es certaine.