Au début, c’était juste un grognement qui v’nait d’à côté. D’la salle de bain ? Peut-être bien, sans doute. Un grognement un peu plus fort. L’en fallait pas beaucoup pour qu’il traverse les murs de carton de c’trou à rat. « ... est mon PUTAIN D’OXY ? » entend-il son père hurler à côté. Bah ouais, c’était sûr qu’en criant ça, tout l’monde allait entendre. Mais qui s’en foutait ? Les voisins tout autour, soit ils étaient dans la même situation, soit ils avaient trop peur pour gueuler contre lui. Adam ferma sa gueule, parce que d’une : il s’en foutait totalement que son père gueule. Et deux : c’était lui qui l’avait pris l’oxy. Pourquoi ? Parce qu’hier il avait eu la dalle, et qu’il y avait rien à manger dans cette foutue cuisine. Or, et ça c’était pas une nouvelle qui datait d’hier, la bouffe, ça s’achetait avec de l’argent. « PUTAIN ADAM SALE BÄTARD T’ES OU ?! » entendit-il de nouveau. Là ça puait par contre, que son père l’ait identifié si tôt comme étant celui qui avait délicatement soustrait la drogue de son emplacement d’origine. Ca signifiait surtout que son père était, non pas sobre, mais pas trop défoncé. Pas trop défoncé, soit à peu près stable. Merde. Adam se redressa et choppa son sac pour commencer à marcher sur la pointe des pieds, direction la porte de l’appartement pour se tirer de là avant qu’ça merde. Sauf que son père était déjà sorti de la salle de bain. Il le fusilla du regard pendant une fraction de seconde avant de se ruer vers lui. Adam calcula rapidement qu’il n’avait pas le temps de poser sa main sur la poignée, de l’abaisser, d’ouvrir la porte et de sortir. Son père allait le plaquer contre le mur avant qu’il n’ait fait la moitié de ces mouvements. Il esquiva donc sur le côté et, comme prévu, son vieux s’écrasa contre le mur dans un grognement animal. Déjà, Adam sautait par dessus le canapé pour se retrouver à l’autre bout de la pièce. Par une chance miraculeuse, ou sans doute parce qu’on était en été, la fenêtre de la cuisine était ouverte. L’autre était en train de reprendre ses esprits, donc il avait quelques minutes. Il sortit la moitié supérieure de son corps par la fenêtre et jeta son sac sur le balcon des voisins. Le son de son paternel qui se redressait derrière lui lui fit accélérer la cadence. Adam choppa la corde passé dans un piquet de l’immeuble. Cette corde, il l’avait installé à un barreau de la fenêtre de l’appart’ du dessus, parce qu’elle se trouvait pile poil entre la fenêtre de la cuisine de son appart’ et le balcon de la voisine, qui était dans le même immeuble mais ne partageait pas la même cage d’escalier. Ses mains resserrées autour de la corde, il se jeta dans le vide et attrapa la rambarde du balcon au moment où son vieux se penchait par la fenêtre. « REVIENS SALE ENCULE ! » continuait-il de crier. Mais déjà Adam enjambait la rambarde, attrapait son sac, faisait un beau doigt d’honneur à son vieux avant d’se tirer d’là.

Il donnait des coups d’rein comme on donnait des coups d’poing dans un punching-ball. C’tait pas vraiment grave, la nana semblait aimer ça. Surtout comment elle se la jouait vocale. Elle hurlait comme une hystérique, comme si sa queue était une sorte de bulldozer géant. « P’tain t’peux pas t’la fermer, tes gosses à côté ! » l’engueula-t-il, sachant bien quand dans la pièce d’à côté, y avait ses enfants. Enfin ses enfants ... il savait pas à qui ils étaient, il s’en foutait d’ailleurs. C’est juste ... l’aime pas trop ça quoi, quand des gosses entendent à c’point. Elle grogna et il termina son truc rapidement, se contrefichant de son putain d’orgasme féminin ou non. Les femmes, trop compliquées à c’niveau là. Pourtant, elle soupirait comme une grosse vache. Sérieux ... Blasé, il s’rhabilla en vitesse tandis qu’elle prenait son temps. S’en foutait lui, c’était chez elle après tout. « M’appelle pas. » grogna-t-il tandis qu’il passait la porte de la chambre avant de sortir de l’appart et de dévaler les escaliers. Une fois sorti du building, il regarde autour de lui. Saloperie qu’elle lui manquait. Fourrant sa main dans sa poche de jean, il en tira son portable et chercha rapidement dans ses contacts. En un rien de temps, ça sonnait à l’autre bout du fil, et il attendait patiemment - ou pas - qu’elle décroche. « Oui ? » entendit-il. Il était pas en masqué, et elle décrochait. Bon signe. « C’moi. » répondit-il. Toujours aussi débile cette remarque d’ailleurs, son nom était affiché sur son téléphone, évidemment qu’c’était lui. Il enchaîna directement : « J’peux t’voir ? » . Un peu anxieux, il savait bien qu’à chaque fois ça devenait un peu plus difficile de la récupérer. Il y eut un léger silence, sans doute parce qu’elle hésitait. Puis finalement. « J’finis à 18H. Chez toi. » répliqua-t-elle. Il sourit, il savait qu’il avait gagné.

Pourquoi il se faisait un café à trois heures du mat’ au juste ? Il savait pas vraiment. Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, il vit qu’Anouch était assise sur le lit, dans un de ses t-shirts à lui, et qu’elle pianotait sur son portable. Pourquoi ça l’soulait ? Bah oui, parce qu’il était trois heures du mat’, et qu’elle envoyait des textos à on n’sait qui. « T’envoies à qui ? » grogna-t-il d’une voix groggy, mais qui ne sombrait pas dans l’énervement. « May. » répondit simplement Anouch, qui ne décolla par son regard de son écran de cellulaire. May ouais. Y avait des jours comme ça, il voulait toujours l’avoir avec lui, savoir ce qu’elle faisait, avec qui elle le faisait. C’tout con, mais qui sait ? La tasse remplie, il se rapprocha du lit pour s’allonger dessus, tout en l’ayant gardé dans une main. Son autre bras, il le replia, pour poser son poignet sur son front. « T’veux pas v’nir vivre là ? » demanda-t-il, clairement sorti de nul part. Ca faisait combien de temps qu’ils étaient remis ensemble ? Allez, six mois ? Mais bon, si on zappait les ruptures, ça faisait à peu près sept ans qu’ils étaient ensemble. Là, il obtint son attention et elle le regarda, sans doute sachant pas trop d’quoi il parlait. « Tu crèches là quasiment tous les soirs, ç’change pas grand chose. » ajouta-t-il. Il était à des années lumière de la demande romantique, ou même réflective, comme une avancée, un pas dans leur couple. Ca passait pour du pragmatisme, et c’en était. Mais il voulait aussi garder un œil sur elle. « T’es sérieux ? » demanda-t-elle, comme si elle demeurait sur ses gardes. Adam eut un léger sourire, parce qu’elle le croyait pas en plus. « Sinon c’pas grave, j’demande à une autre nana d’emménager avec moi s’tu veux pas. » déconna-t-il, sachant très bien que c’était le genre de choses qui l’emmerdait. Elle lui donna un léger coup de poing dans l’épaule alors qu’elle se mettait à sourire à son tour. Il y eut un léger silence, comme si elle réfléchissait. Elle hésitait. Souvent, quand elle hésitait, c’était bon signe. Mais pas toujours. « Ok. » déclara-t-elle finalement, venant sceller sa propre descente aux enfers.