Monstre, ignoble, infâme, atroce, détraqué. Les mots ne manque pas, quand on le montre du doigt. Tous ces mots sales qui lui collent à la peau. Lui, naguère si beau, magnifique petit enfant, ravissant adolescent. Mais la beauté est passagère, elle se gâte vite en grandissant. Il n’y a qu’à s’approcher, regarder de plus près, pour voir le masque de l’ange se craqueler. Gratter un peu, pour trouver, juste sous la surface, la laideur qui s’étale dans toute sa splendeur invivable. La peau souffreteuse, la chair putride, les organes pourris, les noirs bataillons de larves se menant la guerre. Le cœur calciné, noirci d’un bout à l’autre, la violence à fleur de peau. La folie qui empoisonne ses veines. L’affreux, le vicieux, Francesco, en somme. La beauté du corps mais la laideur infâme de son cœur. Il est le soleil noir, celui qui vous brûlera les ailes, plume par plume s’il le faut, si vous avez le malheur de trop vous en approcher. Alors, il y a les questions sur le bout de la langue, la curiosité malsaine qui tournoie dans l’esprit. On veut savoir ce qui ne va pas, on veut comprendre ce qui a déconné, les trucs horribles qui l’ont écartés du droit chemin, le traumatisme qui a fait sauter l’engrenage. Parce qu’on ne veut pas, on ne peut pas accepter que l’homme est né monstre et le restera.

Il est un, ils sont deux. Deux facettes de la même pièce. L’ange et son démon. Francesco est arrivé le premier à quelques dizaines de minutes près, les premiers cris qui déformaient déjà la petite bouche. Et derrière lui, la pâle copie, Fausto le frêle, celui qui a pu contempler la mort d’un peu trop près. Francesco prenait toute la place, volait la nourriture et Fausto se laissait faire, l’ordre naturel des choses chez les Scorza. Ils ont réussi à le sauver de justesse, en les faisant naitre un peu plus tôt, avant que Franco n’ait pu finir le sale boulot. Alors, ils sont deux, identiques en surface mais si différents au fond. Ils étaient loin des jumeaux inséparables qui finissent la phrase de l’autre. L’un si mauvais et l’autre trop gentil et le grand mur qui se dresse entre eux, d’incompréhension. La tension palpable, des étincelles qui menaçaient sans cesse d’exploser le fragile équilibre des deux moitiés. Les parents n’étaient pas foutus d’arranger les choses. Les reproches qui tombaient à flot. Francesco, pourquoi ne peux-tu pas être un peu plus comme ton frère ? C’était toujours Fausto par-ci, Fausto par-là, le modèle à suivre, la perfection. Tandis que la rancœur noircissait encore d’avantage son cœur. Le monstre aux yeux verts qui grondait dans l’ombre. La méchanceté qui a rongé son âme, les paroles sèches, les insultes quand la moitié venait jouer, la satisfaction de voir l’air dépité, faire couler les larmes parfois. Cruauté malsaine.

Et pourtant, au fil des années, Francesco a finit par trouver la faille, la fissure dans la coquille parfaite de son frère. Il a voulu l’entrainé dans son monde, sa spirale infernale, sa grande décadence. Seulement, même après avoir détruit son innocence, il n’arrivait pas à le tirer encore plus bas, à l’installer à son niveau. Fausto restait toujours là, dans sa perfection inaccessible. Il a fallu une fille un peu plus tordue que les autres, un peu d’alcool dans le sang, la douce came pour confondre l’esprit. Elle a voulu les deux frères, elle les a laissé au matin, sans un bruit. Y’a eu l’horreur d’abord, le dégoût aussi, le déni surtout. Et puis, le monstre a reprit ses droits, il finit par voir les craquelures dans les grandes vertus du frère, ce frère qui l’aime un peu trop. Elle était là, l’erreur dans la matrice, la tare au milieu du beau tableau, le frère incestueux, le narcissique dégénéré, bon pour être envoyé à l’asile. Pourtant, Franco ne l’a pas dénoncé, il n’a pas aidé à résoudre le problème, il n’a fait que tenter d’ouvrir la brèche encore un peu. Il a fait ce qu’il fait de mieux, exploiter, abuser, encore et toujours plus. Les caresses, la proximité pour obtenir ce qu’il veut, les jeux malsains auxquels il s’adonne, l’honnêteté et la droiture qu’il tente de faire ployer pour mieux la briser. Le policier dans sa poche pour couvrir ses crimes odieux. Le proxénétisme, l’exploitation des corps, la vente à d’autres tordus, ses semblables, c’était presque un chemin naturel à prendre. Petit à petit, le réseau grandit, la réputation se crée et surtout l’argent rentre. Le prince devenu roi. Et comme tous les hommes de pouvoir, il ne vit que pour en abuser.