j'me suis perdu, j'ai bu la tasse.
Je me souviens.
Je me souviens que la vie est une belle promesse. Il ne faut pas la gâcher, ni la déglinguer avec des décisions stupides.
Je me souviens. Moi, j’ai tout foutu en l’air.
Ma clope entre les lèvres, j’aspire une longue & délicieuse bouffée de ce poison. & je crache la fumée devant mes yeux. Je ne vois plus. Je ne vois rien à travers ce nuage grisâtre. De toute façon, il n’y a pas d’avenir pour ceux qui n’arrivent pas à larguer le passé. Je l’admets. Ce soir, perché sur le toit du Parking, j’ai quelques bleus à l’âme. Mes jambes pendent dans le vide.
Je me souviens. Je me souviens des cris. Des hurlements. Je me souviens de mon père & de son visage déformé par la haine & la rancœur. C’était la fin de l’hiver. Les flocons avaient fini de mourir sur nos manteaux, ou dans nos jardins. Mais le froid était là. & le gris du ciel aussi. & moi, je subissais cet échange de mots, cet échange de sentiments trop longtemps refoulés. Mais merde, je n’avais jamais été habitué à ça. Moi, j’ai vécu ma jeunesse dans des rêves de magnifiques & impressionnantes coutures. J’ai vécu, bercé par mes rêves de stylisme & de gloire. Mon avenir était déjà tout tracé. J’aurais dû aller dans une super grande école, devenir meilleur que Karl Lagerfel, Marc Jacobs ou Coco Chanel. Mais je réalise que le jour où mon père a claqué la porte de notre maison, mon futur s’est flouté, est devenu incertain. & ça craint. Plus tard, j’ai compris que ma mère, cette trainée, était allée voir ailleurs. & elle a su – trop tard – qu’elle était enceinte. Ce soir-là, il y a eu une ambiance étrange dans l’air, une odeur de drame, un soupçon de comédie. Apprendre que ma petite sœur était le fruit d’un adultère m’a déchiré le cœur. Pas pour moi. Pas pour elle. Ni pour ma mère. Mais pour le seul être au monde à m’aimer comme un parent doit aimer son enfant ; mon père. Il ne méritait pas ça.
& je crois que c’est à partir de cet instant précis, que j’ai commencé à détester ma frangine. Solveig. Au début, on se heurtait à coup de « Je ne t’aime pas, laisse-moi tranquille ». & puis, les mots ont pris plus d’ampleur, nourris par une colère indéfinissable. À douze ans, je lui ai collé une première gifle. Elle, elle n’avait que quatre ans. J’ai vu son corps basculer, tomber à la renverse. J’ai vu sa tête cogner contre le mur. Je n’en avais rien à foutre, cependant. (Rassurez-vous, elle n’en est pas morte.) Tout ça, c’est de sa faute. Si je ne suis pas heureux (sans pour autant être malheureux), c’est de sa putain de faute. Là-dessus, j’ai pris mon sac & j’me suis tiré chez mon père, qui avait loué un petit pavillon en bas de la rue. Ça m’a fait mal de le savoir seul dans sa maison & toutes ces pièces sans vie, sans rire. & ça a ravivé des souvenirs désagréables, trop d’émotions. J’ai senti mes plaies revivre, la seule différence, c’est qu’elles ne saignaient plus. J’ai essayé de croire mon père, quand il me disait que « tout ça, c’est du passé ». Je crois qu’il tentait simplement de me rassurer, d’apaiser ma peine, de me faire comprendre que c’était inutile de briser des miroirs ou de passer mes soirées à hurler dans un oreiller.
J’ai vu ma famille voler en éclats, & lui, il me disait que « tout va bien aller » ?! NON ! Non, putain, tout ne va pas bien aller.
Malgré tout, j’ai essayé de composer avec le fait que mes parents sont séparés, que ma mère a trompé mon père, & que ce n’est pas de ma faute. & j’ai partiellement réussi à m’y faire & à vivre avec ce traumatisme.
Plusieurs fois, je me suis réveillé en me disant que « tiens, aujourd’hui, ça ne fait plus mal... »
& même si ça fait mal, parfois, dans les moments les plus compliqués, ce n’est pas grave.
***
Lentement, ça m’a explosé à la figure. « Mon garçon, il faut que je te parle. », m’avait-il dit. « Je suis muté à l’autre bout du pays. » Les explications qui ont suivi n’ont satisfait aucun désir de vérité, & ne m’ont foutrement pas soulagé. Tout ce que j’ai retenu, c’est qu’à quatorze ans, j’allais voir mon père partir à l’autre bout du pays sans que je puisse y faire quoi que soit. & rien ni personne n’aura les mots pour apaiser mes cicatrices violemment rouvertes. J’ai senti mes muscles se tordre, ma gorge gonfler. Je crois que j’avais envie de pleurer. Mais je suis resté comme ça, longtemps, parce que je refusais de craquer devant lui.
J’ai refusé d’entendre ses justifications, ses excuses qui me déplaisaient. Ses paroles, je les ai envoyées loin dans ma tête, au plus profond de mon esprit, bien enfouies.
Ce soir, perché sur le toit de l’immeuble, je déterre mes souvenirs. Je ressuscite mes vieilles souffrances. Je glisse le bout de mes doigts dans mes cheveux blonds. À l’époque, ils étaient noirs. & longs. À l’époque, j’avais l’apparence d’un androgyne. Les mecs me sifflaient, sûrs de voir une jolie brune se retourner. & je m’en amusais.
J’ai beaucoup changé. Mais, j’ai toujours la poitrine compressée, le cœur sous tension. & j’ai toujours ce désir de sauter dans le vide, de me sentir vide aussi, de m’arracher les cheveux, de marcher jusqu’à ce que mes pieds saignent. Je suis une véritable bombe à retardement, une putain de grenade.
Je me souviens de la force avec laquelle mon père m’a serré dans ces bras. On s’est épuisés à se sourire, à se rassurer. À se dire qu’on se reverrait très vite. Mais moi, je savais qu’on ne se reverrait pas « très vite ».
J’écrase mon mégot contre les pierres dégueulasses du toit. & puis, je me surprends à fermer les yeux, respirant l’air qui m’enveloppe tout entier. C’est une odeur connue, une odeur que je pense reconnaitre. Une odeur fraiche & soutenue, une odeur d’homme. Une odeur qui envahit ma tête & pénètre mon cœur. Ça y est, je m’en souviens. C’est le parfum que portait mon père si souvent. Le sourire aux lèvres, je me retourne. Il n’est pas là. Évidemment. Alors pourquoi cette odeur semble si réelle ? Je me penche. Un peu trop. Putain. J’ai failli me casser la gueule. & honnêtement, une chute du haut de l’immeuble m’ôterait la vie à coup sûr. & je n’ai pas envie de crever. Moi, ce que j’aime, c’est l’autodestruction. Crever, c’est trop facile.
Je me souviens. C’est à cause de lui que j’ai commencé à fumer.
Ce qui rendait cette fragrance unique, c’était le mélange de son parfum & de la fumée de cigarette. La première de la journée. Celle qu’il fumait bien avant de prendre son café & avant même de me dire « travaille bien à l’école, mon garçon ». Ouais, c’est comme ça que j’ai commencé. Au début, c’était pour me donner l’illusion qu’il n’était pas complètement parti, & que je n’étais pas complètement seul, ou avec ma mère, son nouveau mec & ma demi-sœur. & puis, peu à peu, je suis devenu sacrément accro.
Très vite, j’ai décidé de me faire mon premier shoot.
J’ai entendu les autres en parler. Ils disaient « quand on sniffe, on part lentement & quand on se pique, on décolle comme une fusée ». Ils ont comparé ça à l’orgasme.
J’ai voulu essayer.
Ça a signé la naissance de ma descente aux enfers.
Je me suis laissée emporter par le courant. & j’ai commencé à me brûler de l’intérieur. Avec des envies d’exploser, d’imploser, de me défoncer, de souffrir, de mordre la poussière. J’ai lâché l’université. Pourtant, j’étais bon, & j’avais beaucoup de potentiel. Mais, faut être honnête ; mon cerveau ne suivait plus, & mes veines éclatées par mes doses & les médocs n’étaient plus compatibles avec les études.
Impossible d’être concentré quand j’ai le corps qui tremble & des sueurs froides. Difficile de m’intéresser à mes cours quand mes pensées sont entièrement dirigées vers mes seringues.
Je ne suis qu’un tas de débris. Je n’ai plus rien à perdre. & rien n’est plus dangereux que quelqu’un qui n’a plus rien à perdre. Malgré tout, je ne suis pas méchant, ni dangereux pour les autres. Je suis dangereux pour moi-même. Je suis excessif & intense. Je suis un fétichiste de la douleur intérieure. Je fais des crises, tout le temps. & il n’y a que mes doses qui me calment. Je suis une catastrophe psychologique.
J’ai passé d’innombrables soirées dans un squat pourri. Là-bas, l’alcool a bien coulé, les joints ont bien tourné. J’ai longtemps eu les méninges cocaïnées. & puis, j’ai posé mes yeux sur un garçon différent des autres. J’ai regardé son corps comme je n’avais encore jamais regardé personne. & j’ai soudainement eu envie de faire l’amour si fort. J’ai rêvé de sa peau contre la mienne. De ses dents qui s’accrochent à mes lèvres. De sa bouche sur la mienne. De ses bras qui jouent les corsets autour de ma taille. De ses hanches douces contre les miennes. De ses ongles qui déchirent ma peau. De son souffle brûlant dans le creux de mon oreille.
Je crois qu’on a fait l’amour aussitôt. Comme ça. Sans prendre le temps d’échanger quelques mots. & on est tombé amoureux l’un de l’autre, tout d’un coup. Je me suis senti aimé & désiré. & le lendemain matin, aucun de nous n’est parti sans avertissement. J’ai senti ses doigts jouer avec mes cheveux éparpillés. & nos deux corps nus dans ce lit trop petit se sont enlacés inlassablement.
« Comment tu t’appelles ? » j’ai demandé.
« Nathan. », il m’a répondu.
Son prénom est resté suspendu à mes lèvres pendant trois longues & belles années.
Mais pendant tout ce temps, j’ai eu peur de l’aimer. Peur du pouvoir mortel que je lui ai donné. Pendant tout ce temps, j’ai eu peur que tout s’effondre. J’ai eu peur de le perdre. Notre relation, on l’a pourtant vécu à cent à l’heure.
Certains qualifiaient notre amour de « passionnel ». Moi, tout ce que je sais, c’est que je l’aimais (l’aime) à en crever. Notre Amour n’était pas raisonnable. Il a perdu la raison. J’ai perdu la raison.
Lorsqu’il n’était pas à mes côtés, je ressentais les symptômes du manque, comme n’importe quel drogué en manque de cocaïne, de crack ou d’héroïne. & croyez-moi, j’en connais un rayon là-dessus. & je jure que cet amour m’a fait atrocement souffrir, en plus de me rendre incroyablement vivant. Tout ça, c’était trop puissant. J’ai détesté Nathan, d’être ainsi entré dans ma vie, d’avoir bousculé mes habitudes & de m’avoir rendu dépendant à tout son être. Parce que, putain, quand il n’était pas là, je morflais. Je partais dans des délires effrayants, dans des crises de manque & des crises de larmes. Mes organes se recroquevillaient à l’intérieur, & je hurlais à m’en péter les cordes vocales. À bien y réfléchir, je pense pouvoir assurer que le manque de drogue ne m’a jamais autant détruit que le manque de lui.
Attachement obsessionnel. Dépendance incontrôlable. Passion ravageuse & dévorante.
Je l’aimais maladivement. Je l’aimais comme un fou qui n’a plus rien à perdre. Je l’aimais à m’en déchiqueter le cœur. Nos étreintes avaient toujours un gout de « dernière fois ». J’étais condamné, dans ses bras. & c’est la réciprocité de nos sentiments qui nous a tués.
« Ça fait trois jours qu’on est là, abandonnés dans ma chambre, à faire l’amour & à sniffer des rails de coke. » ai-je dit en observant mes doigts se promener sur son torse.
« Comme le temps passe vite avec toi, Silver. » & j’ai succombé davantage. J’avais besoin de lui. & mon addiction a peu à peu mangé le peu de raison qu’il me restait. J’ai toujours aimé prendre soin de lui jusqu’à l’épuisement, jusqu’à m’effondrer de fatigue. Chaque jour, j’ai tenté de lui démontrer à quel point il m’est important, crucial, vital.
Un jour, il m’a dit
« Je ne te rends pas heureux, Silver. » J’ai halluciné. Bien sûr que si ! Il me rendait heureux. C’est l’Amour qu’on se portait qui nous rendait malheureux. Finalement, peut-être était-ce du pareil au même.
« Arrête de dire n’importe quoi, tu me rends heureux. » ai-je répondu, un soupçon d’agacement dans la voix.
« On s’aime trop. On s’aime mal. ». J’en étais conscient, mais je voulais qu’il se taise. Qu’il ferme sa gueule. Je sentais mon sang bouillir dans mes veines, & ma mâchoire se crispait atrocement. Tout était trop démesuré, entre nous. Même nos disputes.
« Alors, on devrait se séparer » ai-je rétorqué, alors que mes ongles perforaient la chair de mes mains. J’en ai saigné.
« Plutôt crever. » Pendant un instant, j’ai eu terriblement peur que Nathan me quitte. Mon cœur, d’ailleurs, a été partiellement fissuré par ces mots. Alors en conséquence, je me suis emporté. Je lui ai hurlé dessus, lui ai demandé pourquoi il a entamé cette conversation. Il voulait m’effrayer, me faire mal, n’est-ce pas ? J’en suis convaincu ! Bref. Lui aussi, il s’est énervé. Il m’a dit que c’était juste véridique. Qu’
« il faut qu’on soit ensemble pour être heureux, dès qu’on s’éloigne, c’est insupportable ! ». Il m’a dit qu’indépendamment de ma volonté, je le rendais malheureux. & là, je l’ai giflé. Très fort. Ce n’était pas la première fois. En retour, il m’a poussé avec violence. & ce n’était pas la première fois non plus. Les saloperies ont fusés. Nous nous sommes assommés à coup de « je te déteste, tu me détruis », « ton amour me rend dingue, dingue, DINGUE ! ». J’ai pleuré. Là-dessus, nous avons fait l’amour comme si c’était la dernière fois. Il m’a dit « je t’aime » treize fois, j’ai compté.
Le lendemain, cette dispute était oubliée. & je crois même que le lendemain, on s’aimait encore plus fort.
Malheureusement, ça n’a pas duré. Tout le monde dira que l’amour dure trois ans. & que la passion s’essouffle indéniablement, & que la rupture est l’inévitable finalité. Vrai.
Il y a un an, deux jours & six heures, il m’a quitté. Nathan m’a quitté.
« Je pars faire mon service, mon père m’y oblige. » m’a-t-il dit, au bord de la crise de nerfs.
« Je reviendrai, Silver. J’te le promets. Dans un an, je... » Un an ? Un an ?! Le reste de ses révélations ne m’intéresse pas.
En général, je crois que les ruptures provoquent des sensations de boule au ventre, de gorge nouée, & de respiration difficile.
Le vide s’est creusé dans mon cœur. Mon monde s’est arrêté de tourner. & plus rien n’avait de sens. Là, sous ses yeux, je suis soudainement devenu une poupée de chiffon, désarticulée, abattue, abandonnée, & désorientée.
Sans repère.
« Tu peux pas, Nathan. Je refuse que tu deviennes juste un ‘souvenir’ de notre histoire... » J’ai commencé une crise de panique. Mes membres étaient devenus incontrôlables. Je voulais lui dire que j’étais terrifié. J’aurais sans doute tué ma mère pour que Nathan me rassure, pour que ses yeux croisent les miens, pour que ses bras me bloquent. Mais rien de tout ça n’est arrivé. J’ai pleuré, j’ai hurlé. Je me suis raccroché à lui. Nous n’étions que des amants maudits. De toute façon, je nous savais condamnés d’avance. Notre Amour & notre relation n’ont jamais eu de sens. J’ai cependant toujours gardé l’espoir que nous deviendrions des exceptions.
« Tu ne peux pas me laisser. Qui est-ce que je vais aimer, hein ? Je suis incapable de m’aimer moi-même. » ai-je dit en essuyant mes torrents de larmes.
« Tu m’avais dit qu’on ferait le tour du monde... » Je n’ai même pas vu qu’il souffrait tout autant que moi. Je ne voulais pas voir qu’il souffrait tout autant que moi.
& puis, des pensées atroces ont dansé dans mon esprit déglingué. Bizarrement, j’ai eu l’angoisse qu’il puisse s’en sortir sans moi. J’ai eu l’angoisse qu’il ait la force de faire le premier pas vers le rétablissement. Ces pensées m’ont empoisonné, m’ont bousillé. J’ai imaginé Nathan sur la route du sevrage, à la recherche d’un emploi & au bras d’un autre homme, un homme bien sous tous rapports. Je l’ai imaginé... heureux. & ça m’a rendu encore plus dingue que je ne l’étais déjà.
La dépression a toujours été mon cancer. Il faut que j’extermine tout ce qu’il y a de mortel en moi.
« Je vais revenir, Silver. » disait-il.
« Moi non plus je ne peux pas vivre sans toi. » répétait-il. Trop tard, putain. Trop tard. Je ne l’ai plus jamais cru. Au lieu de nous dire ‘au revoir’, je lui ai dit ‘adieu’. J’ai rompu. Définitivement. Qu’il se casse, bordel, qu’il me laisse crever dans mon coin. Au fond, j’ai conscience de l’avoir profondément blessé. & dès qu’il a claqué la porte, je me suis mis à courir derrière lui. Je lui ai crié de revenir, de me serrer contre lui pour que je ne sois plus seul. Je l’ai supplié de m’étouffer jusqu’à ce que je meure d’amour pour lui. Malheureusement, Nathan était déjà loin, avalé par l’horizon.
Malgré ma fureur & mon attitude impardonnable, Nathan m’a donné des nouvelles. J’ai passé mes soirées à attendre ses messages, ses appels.
Les yeux rivés sur l’écran de mon téléphone portable, je m’assurais de ne jamais manquer l’instant où je pourrais enfin entendre sa voix. Ce n’était évidemment pas suffisant. Moi, j’avais besoin de toucher sa peau douce & brûlante. J’avais besoin de me perdre dans l’immensité de ses yeux, de crisper mes doigts dans ses cheveux, de fondre sous la délicatesse de ses câlins. J’avais besoin de rire à m’en irriter la gorge. & j’avais surtout besoin de le voir rire. De l’entendre me parler d’avenir, alors que je savais pertinemment que je n’en aurai aucun.
& paradoxalement, j’avais besoin qu’il me crie dessus, qu’il me déteste toujours plus fort & me crache sa haine sans ménagement. & qu’il soit, malgré tout, incapable de raccrocher.
Le vide s’est creusé en moi. Encore & encore. & puisque je ne pouvais plus boire la respiration de Nathan à même ses lèvres, j’ai nourri ma soif de destruction grâce à l’alcool & mes délicieuses seringues.
Durant l’absence de mon amour, mon état s’est détérioré.
& trois mois plus tôt, j’ai littéralement pété les plombs. Nathan a brutalement cessé de m’appeler. Les mains tremblantes, la haine au bord des lèvres & la sueur ruisselant le long de mes tempes, j’ai tenté de le joindre à chaque minute de mes misérables journées. « Réponds-moi, putain !! » lui ordonnais-je à travers mes messages vocaux. « J’te jure que t’as intérêt de me rappeler dans cinq minutes. Qu’est-ce que tu fous ? Tu baises qui ?! » Je suis devenu cinglé. Complètement fou à lier. Parfois, je me rendais compte de ma psychose, de ma démence, & je m’excusais aussitôt. « Nathan, excuse-moi, je... j’ai besoin que tu m’appelles. J’t’en prie. Je m’inquiète. & tu me manques. »
Mais je n’ai plus jamais eu de retour. Il m’a abandonné. Il m’a délaissé comme une poupée de chiffon trimballée sans relâche, dont la vie s’achève tristement dans le caniveau.
Depuis, la cocaïne est ma meilleure amie. L’héroïne est mon amante. Les joints sont mes sources de bonheur éphémère. Les comprimés sont mes alliés.
J’ai déjà essayé de me désintoxiquer. Mais tous mes diables se sont déchainés. Je me suis roulé par terre, j’étais trempé d’une sueur glacée, j’avais froid. Mon corps entier était agité de soubresauts effrayants. J’étais plié en deux, & je hurlais de douleur. Je suppliais ceux qui m’entouraient de me donner une ultime dose. « C’est la dernière, après, j’arrête ! » disais-je, en espérant juste être soulagé de cet exorcisme. J’ai vomi. Plusieurs fois. En partie parce que je n’arrivais pas à avaler ma salive.
Le lendemain, j’allais vachement mieux. Mais deux heures plus tard, j’étais de nouveau défoncé.
J’entends des bruits de pas derrière moi, sur le toit du Parking. « Silver, tu viens ? Encore dans tes pensées ? » J’acquiesce d’un signe de tête & me relève. Je frotte l’arrière de mon pantalon miteux & rejoint mon pote de défonce.
« Ça fait plus d’un an que Nathan est parti... Je crois qu’il ne reviendra pas. & je n’ai même pas une thune pour m’payer ma came. » Je sens son bras autour de ses épaules osseuses. Il m’entraine dans un squat dégueulasse, ça pue le vomi, le sexe & la transpiration.
Ça pue la déchéance.
Quelques heures plus tard, mon pote a été retrouvé mort dans les toilettes. Je n’ai pas pleuré. Je savais que ça arriverait tôt ou tard. En revanche, j’éprouve une pointe de jalousie. Il est beau, étendu sur le sol, détaché de ses problèmes & maintenant loin de de son corps marqué par les piqures.
À genoux près de mon ami, j’attrape un morceau de papier qui dépasse de sa poche. C’est une lettre adressée aux services sociaux, les suppliant de nous trouver une place en thérapie afin qu’on redevienne des êtres sains. Je ne sais pas pourquoi, mais je la glisse dans ma poche. Il faudra que j’en parle à Nathan quand il reviendra.