FAMILLE.

L’unité familiale n’a sans doute jamais été votre fort à ta mère et toi, car si vous portiez le même nom, jamais il n’y eut de réel esprit de famille entre vous. Ce n’était pourtant pas sa faute à elle, du moins pas entièrement, sa propre vision de la famille étant mise à mal par sa vie chaotique. Mise à la porte à l’âge de seize ans par ses propres parents après leur avoir caché aussi longtemps que possible sa grossesse, Monny alla vivre tant bien que mal chez ses amies et ses amants, virevoltant à droite et à gauche avec toute l’insouciance d’une grande enfant jetée dans le monde des adultes trop vite, trop tôt. Peut-être qu’avec une meilleure éducation et un peu davantage de jugeote, elle aurait songé à se protéger lorsqu’elle laissa son idole du moment plonger entre ses jambes, peut-être qu’avec un peu davantage d’argent, elle aurait envisagé de se faire avorter, peut-être que dans une autre vie, elle aurait pu devenir une bonne mère.
Sauf que mère, elle ne le devint jamais vraiment et tu en fis les frais dès ton plus jeune âge.
Monny ne s’intéressait pas vraiment à toi, au mieux tu la laissais indifférente, au pire elle rêvait de te secouer lorsque tu te réveillais de ta sieste et que tu braillais pour avoir à manger. Monny n’avait pas le temps pour toi, Monny était high. Avec le recul, tu devrais t’estimer heureux de ne pas être né mongol vu ses addictions déjà bien installées à son jeune âge. Aujourd’hui ? Il ne reste plus rien de Monny, disparue au fond de l’océan, les dents éclatées et le visage démoli pour que jamais plus on ne se souvienne de son visage et de sa vie de débauche.
Ta vie d’orphelin fut pourtant de courte durée car si tu perdis ta mère de manière plutôt brutale, ton père te tomba du ciel tout aussi soudainement à coups de « Apelle moi Papa ».
Sauf que ce père, tu ne l’avais pas vu venir, il n’existait même pas, c’était pour dire. Jamais Monny n’avait mentionné le moindre Franz Höfer, vous n’étiez certes pas vraiment branché communication…mais jamais elle ne jugea bon de le faire entrer dans vos vies, que ce soit de près où de loin. A vrai dire, tu ne t’étais jamais vraiment posé de questions, tu pensais simplement être né d’une rapide baise entre deux immeubles mais à présent, tout est remis en question. Oh tu ne comptes pas lui donner une place de père, pour ça il est un peu trop tard mais…est-ce que tu sauras le rejeter en bloc éternellement ?

FRATERNITE

Les liens du sang, ça fait longtemps que tu les as laissés tombé. Ceux que tu ne laisseras jamais tomber en revanche, ce sont bien eux, tes frères de galère. Tu les as rencontrés dans la rue, dans les foyers où même en détention, tu n’aurais sans doute pas parié le moindre penny sur eux et pourtant, ils sont quelques rares à être restés dans ta vie malgré les années. Parce que toi, tu as un vrai sens de l’amitié. Jamais tu ne laisseras un pote dans la merde, jamais tu ne laisseras qui que ce soit s’en prendre à l’un des tiens impunément.
Sérieusement Kelley, on peut te donner tous les défauts du monde, quand il s’agit de tes galériens de copains, tu es d’une loyauté sans égale, prêt à tout donner pour eux sans rien attendre en retour quitte à te mettre en mauvaise posture. Parce que c’est bien ça le souci, tu te fous complètement de savoir ce qui peut t’arriver mais celui qui touche à Badz ou Marshall par exemple, t’es prêt à le démolir.
Et Badz justement, vous n’étiez pas destinés à devenir amis, il était mexicain (ou peut-être bien cubain) et plus âgé que toi, vous étiez tous deux placés en détention, toi pour violences et dégradations comme à chaque fois, lui pour chapardage. Sans raisons, il s’était pourtant mis en tête de te prendre sous son aile, bottant le cul de qui que ce soit s’approchant de trop près de toi (et qu’on se le dise, tu n’étais ni grand ni épais à cet âge-là malgré la taille de ta gueule, il avait donc du pain sur la planche). Les années ont passées, vous vous êtes séparés à plusieurs reprises mais toujours retrouvés d’une manière ou d’une autre et c’est depuis l’année derrière qu’il a posé ses valises chez toi de manière plus ou moins définitive, allant jusqu’à partager ton lit faute de place. C’était du moins ce que tu pensais au départ, jusqu’à ce que tu découvres son crush sur toi et plus globalement son penchant pour les mecs. A vrai dire, à partir de ce moment plus rien n’a été pareil entre vous.
Ce que Badz a fait pour toi, tu ne l’oublieras jamais et d’une certaine manière, tu as réécrit l’histoire en prenant indirectement Lincoln sous ton aile, lui proposant d’abord un job puis un toit. A vrai dire, tu ne pensais pas t’attacher au gamin sauvage mais ce dernier te rappelle bien trop tes propres attitudes alors lentement, vous vous êtes apprivoisés l’uns l’autre. Tu sais que ce dernier ne restera pas éternellement, on ne garde pas les coups de vents mais aussi longtemps qu’il sera là, tu le traiteras en égal.
Bref, tu n’as peut-être jamais eu de famille à toi mais tu as su t’en créer une.

DROGUE

La drogue a toujours fait parti de ta vie. Avant même que tu ne viennes au monde, tes tests sanguins auraient déjà été positifs grâce à ton accro de mère. Gamine désorientée, elle n’a jamais su se poser la moindre limite alors oui, elle a fumé, bu et plus encore durant la grossesse au risque de te flinguer avant l’heure. Tu as eu de la chance sans doute mais toute ta vie fut rythmée par les crises de ta mère entre les périodes de consommation, celles où elle était clean puis les rechutes. Au début, ça allait, tu avais appris à ne pas traîner dans ses pieds quand elle cherchait sa came ou quand elle était high puis avec ton jeune âge, tu chérissais les moments où elle était clean, pensant trouver en elle une vraie mère. Ça n’a jamais eu lieu, Monny n’était pas faite pour ce rôle. Alors oui, dès ton plus jeune âge tu as appris à détester la drogue, quelle qu’elle soit.
Puis ça a empiré.
La came lui avait grillé la cervelle à force, elle n’a plus su faire quoique ce soit de ses journées si bien que tu l’as totalement prise à ta charge, t’occupant à la fois de la nourriture, du ménage et surtout, de récupérer ses doses. Plusieurs fois par jour, un bracelet électronique au pied. Puis quand tu en as eu marre de lui faire ses courses, tu as basculé là-dedans. Au début, ça t’avait paru être une bonne idée, Nathan t’avait refilé son business et toi, non seulement ta meilleure cliente vivait sous ton toit mais en plus de ça, tu n’avais pas à bouger de l’immeuble pour te faire des couilles en or. Ce fut la première période prospère de ta vie, la première fois qu’il t’était possible de manger autre chose que des pâtes et t’acheter des choses pour toi. Avec ton propre argent.
Sauf que les périodes heureuses ne durent jamais avec toi.
Tu savais qu’une mauvaise came circulait, tu avais perdu un client peu avant, ton fournisseur t’avait prévenu que c’était la merde. Tu as joué, elle a perdu. Tu ne pensais pas que ça pourrait arriver, ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle faisait une overdose mais cette fois, tu n’as rien pu faire. Elle est morte avant d’arriver à l’hôpital. C’est sans doute à cet instant que ta vie bascula réellement. De merdique, elle devint pourrie.
Le mafieux Ario profita de ce moment de faiblesse pour te mettre la main dessus et t’imposer un contrat, te fournissant de la came à revendre, te taxant à 50% dessus. Oh t’es pas con, t’as gardé tes propres fournisseurs alors t’as engagé Lincoln pour t’épauler, peut-être bien que tu en engagerais d’autres des comme lui ?
Quand est-ce que tu as commencé à y toucher toi-même ? Tu ne saurais dire. Toi qui t’étais juré de ne jamais finir comme t’as mère, tu as pourtant commencé la fumette, d’abord un peu, puis beaucoup. Beaucoup trop. Ça t’a foutu dedans ça, au lieu de te détendre ça t’a traîné toujours plus profondément dans la dépression jusqu’au coup final.
Tu t’es shooté qu’une seule fois. Ça aurait dû être l’épisode final.

LES RUES DU BRONX

Maman ne s’occupait pas bien de toi, trop fatiguée d’avoir fait la fête toute la nuit, trop défoncée pour se rappeler de ton existence et trop fauchée pour te nourrir. Tu avais vite fait de délaisser votre appartement insalubre où il n’y avait rien de bon pour un gosse de ton âge pour aller traîner dans les ruelles du Bronx, faisait de la rue ton terrain de jeu. Tu y trouvais toujours ce qui manquait chez toi, des copains comme toi qui trouvaient refuge dans l’immensité de la ville, qui parvenaient à souffler un peu loin de chez eux comme tu parvenais toujours à avoir quelques protecteurs amusés par le petit roquet que tu étais. Parce que tu l’avais toujours eu, la grande gueule. Pas le physique qui allait avec par contre, trop petit, trop blanc, trop clair des yeux mais ça les faisait rire quand tu osais tout et n’importe quoi, poussé par la fougue de la jeunesse. Ça le faisait marrer quand tu toussais tes poumons quand ils te faisaient fumer leurs clopes ou quand tu salopais une voiture à leur place. Ouais, tu les amusais bien les grands mais au moins, personne ne te faisait de mal.
Puis les services sociaux sont venus.
Parce que ça ne se faisait pas de faire la bringue et d’oublier son gamin, que c’était mal d’être high quand le petit n’avait rien mangé et que ça commençait à bien faire de le récupérer chez les flics quand il s’était fait prendre à voler dans les magasins ou casser des trucs, pour rire.
Tu as connu quelques familles d’accueil mais ça ne s’est jamais très bien passé. Tu ne savais pas trop quoi faire avec ces gens qui avaient d’autres codes que toi. Certaines étaient sans doute très bien mais d’autres ne le faisaient que pour l’argent et au final, tu aurais été tout aussi bien dans la rue, sans personne pour te secouer comme un chiffon en t’hurlant dessus. Parfois pire. Peut-être que c’était mérité mais dans ton esprit, le mécanisme de rejet était enclenché. Plus tu grandissais, plus violemment tu entrais dans l’opposition.
Les foyers n’étaient pas beaucoup mieux pour toi, entre gosses désaxés ça ne pouvait pas bien fonctionner. Pas quand vous aviez tous connus que la misère en apprenant à survivre. Tu n’y étais pas le pire, pas le plus grand ni le plus fort, ça faisait donc de toi une potentielle victime et plus d’une fois, tu avais eu à craindre pour ta vie. Et pas que, certains avaient vécu plus grave encore que les coups, certains avaient été bousillés dès le départ, reproduisant les schémas qu’ils avaient vécu chez eux.
Les gamins pouvaient être cruels entre eux. D’autres étaient juste foutus.