(NOM) Barton, le nom de ton père, le nom de ta mère et, inévitablement, le tiens. T'aimes bien quand on t'appelles par ton nom de famille, ça fait officiel. Officiel de quoi ? Grande question, mais t'aimes bien. Et finalement t'as jamais vraiment besoin de raison pour aimer quelque chose. (PRÉNOM) Jordanne, tentative de féminiser Jordan parce que tes vieux s'attendaient à un petit gars. Ils ont eu droit à une fille au visage cassé alors ils se sont pas pris la tête pour trouver un joli prénom. Pas de fleurs pour toi, Jo, pas d'arabesques ni de fioritures. Pas de fanfreluche. Juste Jo. Par contre, lorsque tu termines un dessin, c'est un Medusa que tu inscris en bas de page, c'est aussi comme ça que tu te fais appeler par tes amis. Ou tes connaissances. (ÂGE) Vingt-trois ans, vingt-trois putains d'années qui s'écoulent lentement, trop lentement à ton goût. T'as déjà l'impression d'avoir un siècle, un siècle de courbatures dans le coeur et entre les cuisses. (DATE ET LIEU DE NAISSANCE) Quatorze février dix-neuf cent quatre-vingt treize, Bronx, t'es une gamine d'ici. Une gamine de l'amour, une gamine du Bronx. T'aimes l'amour, t'aimes le Bronx. Y a pas à chercher plus loin. (OCCUPATION OU ACTIVITÉ) Employée dans un magasin de disques, c'est en tout cas ton petit boulot actuel. T'as un peu tout fait, restauration rapide, serveuse dans un bar, caissière, livreuse de journaux, et bien   d'autres trucs que tu as oublié. Le droit, même si tes vieux t'ont forcés, c'était pas ton truc. Ton truc ? C'est le dessin, mais à leurs yeux c'est qu'une chose futile et qui ne permet pas de nourrir une famille. Comme si t'allais en avoir un jour une, de famille à toi. Et tes dessins, ils te permettent parfois de te payer un paquet de clopes, et à ce moment là, c'est les meilleures cigarettes du monde.(NATIONALITÉ) New Yorkaise, pure souche, pur jus. Avec les sautes d'humeurs, le gobelet Starbucks à la main et les lunettes de soleil en pleine nuit. (ORIGINES) Russe, en tout cas c'est ce que raconte ta vieille. Elle parle des paysages glacés comme s'il s'agissait d'un rêve intouchable, immaculé comme la neige. Toi, t'as les yeux aussi bleus qu'un ciel clair d'hiver, et ils pétillent quand ta mère parle de son pays. Ils pétillent mais au fond, t'as rien connu d'autre que le Bronx et si l'envie est là de découvrir le monde, la peur également. Ta mère a beau dire : ton foyer c'est ici. (STATUT CIVIL) Stand by, en attente, ou plutôt en recherche. En recherche de l'amour, pas d'un homme ou d'une femme, qu'importe le genre ou le sexe. C'est l'amour le plus important, l'amour qui te fais hurler, l'amour qui te fais frissonner d'un brasier glacial. (ORIENTATION SEXUELLE) Pansexuelle, il parait que c'est comme ça qu'on dit. Tu t'es honnêtement jamais posée la question car pour toi, c'était une évidence : le coeur n'as pas de sexe, et tout le sexe est bon à prendre. (DATE D'ARRIVÉE AU PARKING) Eternité, t'as jamais vécu ailleurs qu'ici, toujours dépendante de tes parents parce que tu préfères passer tes salaires dans du matos à dessin ou des clopes. (GROUPE) ceux qui rêvent.


(Quand et comment avez vous emménagé au Parking ?) Y a jamais eu d'emménagement pour toi, Medusa, parce que tu es clairement née ici. Ouais, dans l'immeuble, sur le canapé du salon sans prévenir, pouf. T'es plus l'enfant des lieux que l'enfant de tes parents, quelque part. Eux, ils ont emménagés quand ils avaient vingt-ans, qu'ils étaient jeunes et amoureux. C'était le même étage, le même appartement. 910. On dirait bien que ça va te suivre toute ta vie. Tu vois les gens aller et venir, ceux qui restent et ceux qui fuient. Toi, t'aimes cet endroit. Sans doute parce que tu n'as jamais rien connu d'autre mais tout de même, tu te sens presque bien ici, et chercher quelque chose de différent est bien trop effrayant.

(Que pensez-vous de l'immeuble et vos voisins ?) Tu les aimes. Tous autant qu'ils sont. Tu aimes les recoins sous les cages d'escaliers, la tâche étrange sur le paillasson du hall - c'est peut-être du sang, t'as pas vraiment cherché. Tu aimes tes voisins, même ceux que tu ne connais pas, même ceux qui ne sont pas encore arrivés. T'es comme ça, Medusa, tu aimes tout le monde. Cette petite vieille que tu connais depuis le début et qui traîne ses pantoufles dans le couloir. Ces filles sophistiquées, ou qui tentent de l'être, ces mecs qui font rouler leurs skates sur le bitume en contrebas de la fenêtre de ta chambre. Les chats errants qui se collent à tes chevilles fines lorsque tu t’assoies sur les marches du perron pour fumer une clope et dessiner. Les zones d'herbes qui deviennent paille pendant l'été, boue pendant l'automne. Au printemps, quand les pâquerettes pointent le bout de leur nez, t'en fais des couronnes de fleurs et tu les accroches aux poignées des appartements. Alors ouais, y a pas vraiment d'autres mots : tu aimes cet endroit et chacun de ses habitants. Peut-être même un peu trop, mais aimer, tu sais pas faire à moitié.

(Quelle est votre réputation au sein du quartier ?) Tu es deux. Il y a Jordanne, et il y a Medusa. Medusa, c'est cette personne inconnue qui placarde des dessins un peu partout sur les murs, des portraits des habitants. Elle est douée Medusa, elle dessine bien, elle capte les auras des gens et arrive à les retranscrire du bout du crayon. Medusa, c'est la seule chose que Jordanne réussi sans échouer. Parce que Jordanne, c'est toi. La folle. La fille au visage cassé, comme si la vie l'avait trop frappée en pleine face. Des traits durs, une mine boudeuse. Ils ne voient pas ta douceur, ils ne voient pas ton amour sans faille, sincère et immense. Ils ne voient que ta folie, que tes différences. Le pire c'est qu'au début, quand t'étais plus jeune, tu étais appréciée. Peut-être parce qu'elle un électron libre avant l'adolescence, ça paraissait attachant. Alice au Parking Merveilleux. Mais tes parents ont pas joué en ta faveur, ils ont été les premiers à te foutre une sale réputation. Ta mère qui se plaignait avec ses amies que tu étais une enfant trop difficile à gérer, mythomane et dégénérée. Alors au fil du temps, t'es passée de la gentille polissonne, à la malade mentale instable qu'il faut éviter à tout prix. Et les gens se heurtent à cette image qui te colle à la peau, ils ne cherchent pas à voir l'étincelle dans tes yeux.