Un liquide opaque. A moins que ce soit son esprit qui se liquéfie lourdement sur ce putain de plancher. Juste une minute. Une minute pour foutre sa vie en l'air. Elle l'a fait. Il y a pensé. Par terre. Un corps. Mou. Bientôt raide. Le beau père de la gamine. Dix huit ans. Elle, seize. Et le temps ralentit. S'arrête. Douloureux. L'impression que tout s'arrête en réalité. Pas seulement elle. Pas seulement ce mec au sol. Tout. Et surtout son esprit. Il regarde. Les yeux plein de sang du type. Sa bouche qui dégueule le sang par le nez, les oreilles. La bouche. Ses cheveux mouillés d'hémoglobine. Le plancher gras de cette substance... Il est en retrait. Elle. Elle est à coté, l'arme tendu vers lui. Il lui a dit d'arrêter, pourquoi ne l'a-t-elle pas fait. Ses yeux passent du corps encore vibrant de sa fin de vie brutal, aux mains poudreuses de sa copine... Moli... qu'est-ce qu'elle a fait... Lui, il se tient là, interdit. Pourtant habitué à cette violence pour être un gosse de la rue, là c'est autre chose... C'est sa chérie. Sa perle. Celle à qui il aurait promis monts et vents pour en faire une reine... Il avait encore des rêves à cette époque, lui, le gamin du chinatown pourri, la partie la plus dégueulasse et dangereuse. C'est pas le premier mort qu'il voit. Mais là, c'est elle. Il sait ce qui l'attend... vingt années de taule? Paniquée, elle pleure, elle crie, et pourtant elle ne jette pas l'arme. Une seconde. Deux. Le chinois se précipite à la porte quand il entend taper et la voisine est là, et est en train d'appeler les flics. Non... non. Il se retourne vers elle, elle comprend, alors elle pleure encore plus... alors il prend une décision.
Quelques minutes plus tard, il lève les mains en l'air, face aux flics. Il finit la face contre terre, serrant les dents sous la violence de l'interpellation. On lui prend l'arme. Il fait des aveux, ça facilite tout. Welcome in hell, gueule de citron, tu vas souffrir. Sept ans ferme. Un procès bâclé, parce qu'on a pas le temps pour les petits cons de chintok qui avoue tout, et se prend pour des caïds de Hong Kong. Le verdict? Juste un beau père qui n'a pas supporté que sa jolie poupée sorte avec une saloperie de communiste chinois, et qui a essayé de le liquider... Il s'est défendu, point barre. Les empreintes de la mome sur la crosse du flingue. Il lui a arraché pour tirer à sa place, et vu qu'ils n'ont pas interroger la fille la première semaine, elle a eu le temps de se débarrasser de toutes traces de poudre. Une affaire bazardée de A à Z. Sauf qu'aujourd'hui, c'est Yzaïs qui est bazardée... une jeunesse gâchée, pour une nana qui au bout d'un an, a du trouver une queue pas enfermée en taule et "bye bye mi amor. T'étais bien serviable." Il a signé avec la souffrance et son casier judiciaire ne sera jamais lavé, tout ça pour un crime qu'il n'a pas commis et ... pour une gosse qui ... n'était avec lui que pour ... il ne sait même plus.
Il gratte lentement le barreau de sa cellule bord de son livre. Combien de jours encore. Combien de nuits avec ce taré de colocataire raciste... combien de douches à se bastonner pour ne pas finir la gueule dans l'eau le cul en l'air. Ils n'ont jamais réussi, il est trop teigneux le chinois, mais il a la haine. Tout ça pour rien et sa mère qui est seule dehors, qui a eu un autre gosse... encore. Et son père qui passe en coup de vent pour la baiser comme quand ils étaient petits, alors qu'elle a déménagé pour lui échapper. Il l'a retrouvé... et sa perversité est telle qu'il a menacé de sa taper sa propre fille si sa mère refusait de lui ouvrir... et lui... il est enfermé ici... cet asile de fous conscients, et peu à peu , il se fait contaminer, s'endurcit, ses sourires disparaissant peu à peu, la parole avec. Il voit des choses, fait des choses, dont il ne veut pas parler. Cette prison c'est la merde... Chaque sommeil peut-être le dernier. Il n'a pas à faire son service militaire et en est exempté de toute façon, à cause de ses problèmes d'arythmie cardiaque... Les mois passent... la cinquième année, il fait une crise de démence et est enfermé pendant une semaine en quartier clos... il ne s'est que défendu contre une attaque dans les douches, mais ça a suffi à envoyer un mec à l'hosto pour un mois tant il a craqué. Il est jeune. Trop jeune pour ces conneries... 18... 19... 20... face à ces monstres, certains racistes, dont gays jusqu'aux oreilles, et qui le voient pour différents motifs pour de la chair fraiche... Et quand sa mère vient le voir... il la voit pleurer, il la voit le supplier de revenir, qu'il ne peut plus, qu'elle va se foutre en l'air...
A présent... il est sorti.
A présent... il a des comptes à régler.
A présent... il peut vivre.
A présent... il peut baiser.
A présent... il peut parler. Aimer. Fumer. Boire. Être un bon frère.
Être un bon frère... et oublier.
Mais tout ça. Est-ce qu'il le fera...
made from chinatown... let him down.
Débrouillard, il a vu ses couilles prendre la réalité à plein bras. Il a vu le soleil se pointer chaque matin, comme avant, et plus cette odeur de pisse dés qu'il prend un couloir. Plus de colocataire qui chlingue le rat. Juste des minois de mômes qui l'aiment, qui lui pardonnent, et ça lui fout les boules. Ils ne savent pas qu'il n'a rien fait. Parce que les enfants ça parle, et ça se saurait partout qu'il a pris pour une autre... et elle, cette garce se démerderait pour le faire liquider... Shuen, Elie, Huanso et Genji, qui aurait-il après ça... alors il préfère les laisser croire pour la sécurité de tous. Mais sa mère sait. Il n'a pas eu besoin de parler. Il attend son père de pied ferme... même si son père est balaise, c'est fini le temps des jeux... Yzaïs aussi a envie de jouer au con. Le jeune saint est bien loin... un peu trop loin peut-être...