Je sais pas très bien pourquoi je reste au Parking. C'est vrai quoi, j'ai 28 ans. J'ai ce qu'on appelle "réussi" dans la vie. J'ai un appartement confortable avec un canapé en cuir et des plantes vertes, un peu comme dans les magasines de décoration. J'ai un travail qui m'oblige à mettre des costumes bien taillés et qui me permet de conduire une sympathique Mustang GT. J'ai même une copine, histoire de renforcer le stéréotype de la vie rangée que j'incarne. Mais tout ça, c'est seulement beau au regard de ce que j'ai traversé avant d'arriver là. C'est beau d'apparence, pas vraiment entre les lignes. Une simple succession de hasards et de chance sûrement un peu. Même si je déteste ce mot. Rien ne dépend de la chance.  

J'ai plus de parents depuis un bail. J'me souviens même pas de leurs têtes. J'me souviens juste du jour où mon père m'a viré de chez lui. J'avais quoi.. 12 ans à peine. Il avait pour habitude de m'aboyer dessus en continue. Mais j'étais sourd à son égard. Et il voulait que je travaille à l'école. Et moi je voulais juste dessiner. Ma mère, c'était le genre de femme soumise et dépendante de son mari. Elle aimait mes dessins mais elle aimait encore plus mon père et la sécurité qu'il lui apportait. Et quant à lui, il préférait passer ses nuits avec son whisky plutôt qu'avec elle. Notre "famille" c'était ça, le chien qui court après sa queue sans jamais l'attraper. C'était complètement désaccordé et pour le coup trop dissonant pour moi.

J'imagine que c'est pour ça que maintenant je prends soin de créer des mélodies agréables. Même si au fond de moi, je sais que c'est pas le genre de musiques que j'aime. J'suis comme ma mère, j'recherche la sécurité en permanence. J'aime avoir le contrôle des choses. J'ai passé trop de temps à me nourrir matin, midi et soir d'insécurité. Je ne veux plus de cette vie de misère que j'ai eu pendant plus de 10 ans. Trop de drogues dans mon sang. Trop de nuits avec les étoiles qu'on ne voit même pas dans le Bronx. Trop de d'incertitudes. Trop de filles qui n'en valaient pas la peine. Et puis pas assez de nourriture pour mon ventre et surtout pour mon esprit. Pas assez de chaleur pour mes bras et pour mon cœur.

Aujourd'hui j'avance comme je peux. J'ai rien oublié. Surtout pas Sway. Cette partie de ma vie où elle était là, avec la drogue et le bitume. Avec la faim et la pauvreté. Cette partie là n'a raison d'exister encore dans ma mémoire que par sa présence. Elle est arrivée comme une tornade et elle a tout ravagé. Y avait déjà plus rien à ravager alors c'est mon cœur qu'elle a touché. Puis elle est partie et avec elle mes espérances en matière d'amour. Je suis de ceux qui rêvent. Qui croient en l'avenir. Ça n'a pas toujours été le cas mais désormais c'est le cas. Je ne touche plus à mes crayons tout comme je ne touche plus à Sway parce que c'est elle que j'aime le plus dessiner.