Quand et comment avez vous emménagé au Parking ?
Il y a deux ans, les services publiques ont placé Lucy dans un foyer d'accueil situé dans le Bronx, « juste pour quelques semaines, quelques mois au pire, le temps de te trouver une famille convenable ». À les entendre, ça fait plus de deux ans qu'ils cherchent encore et toujours une famille « qui seraient apte à te prendre en charge ». Ce serait à cause de ses mauvaises habitudes, de ses problèmes de confiance et de contrôle qui ont des proportions énormes, et que bon, il faut comprendre, peu de gens ont les moyens et le temps d'adopter un enfant « au caractère aussi spéciale ». Est-ce que Lucy les croit ? Non. Mais elle n'est pas pressée de partir.

Que pensez-vous de l'immeuble et vos voisins ?
Un ghetto est un ghetto, qu'il se situe en Thaïlande ou aux États-Unis ne change rien pour Lucy. Elle trouve ça même réconfortant : c'est une ambiance qu'elle connaît, la musique de la rue est réconfortante pour ses oreilles dans ce pays où elle n'a pas de repère. Les mêmes voisins qui gueulent à travers les cloisons, les mêmes climatisation qui font trop de bruits, les mêmes chaudières qui ne semble pas fonctionner les jours qui se finissent en -i, les mêmes fenêtres mal isolés qui laissent passer le vent même si elles sont closes. Elle est née dans le bruit, dans cette cacophonie, c'est une partition qu'elle a dans son cœur, une musique qu'elle peut jouer jour et nuit. Elle aime ces gens, leurs histoires : pour elle, un quartier ce n'est pas des inconnus chacun dans leur appartements mais une famille avec des gens que l'on aime, d'autre moins, mais avec lesquels on existe.

Quelle est votre réputation au sein du quartier ?  
C'est le gamin que vous n'arrêtez pas de croiser dehors, à 9 h, 13 h, 21 h, 4 h, celui qui vous dira bonjour ou vous montrera les crocs selon son humeur. Il est trop bruyant avec ses cris et ses jeux, mais il est trop calme quand il vous fixe sans bouger, sans cligner des yeux.
Il est juvénile lorsqu'il vous lance des ballons d'eau dessus ou rajoute un cadenas sur votre vélo ; vous le trouvez trop sérieux lorsqu'il cours dans la ville, paquet dans les bras, revenant les poches pleines de billets, le tout sans un mot.
Un drôle d'oiseau en somme, toujours perché à des endroits improbables. Il appelle ça du parkour, vous appelez ça essayer de se briser la nuque. Mais il n'est jamais tombé, et vous vous habituez à le voir escalader les murs, rentrer par les fenêtres parce qu'il a oubliée les clés, peu importe quel étage ; percher à faire le guet sur les toits, les lampadaires, les panneaux publicitaires. Il dit que c'est son métier.
Il y a les gosses heureux et ceux qui le sont moins ; et puis il y a Lucy au milieu, avec des yeux flamboyant – de tristesse, de joie, de rage – et avec un sourire fait pour la guerre.