Putain de douleur lancinante dans la poitrine.

Pourquoi ça doit faire aussi mal de voir son frère ouvrir ses cadeaux ? C'est son anniversaire, logique qu'il en est. Logique qu'il soit là, en train d’œuvrer pour découvrir ce qui se passe sous le papier.

Bambie est persuadée qu'elle voit des détails que d'autres ne remarqueraient pas. Le sourire de sa mère n'est-il pas plus éclatant que lorsque c'est elle qu'elle regarde ? Son père n'a-t-il pas l'air plus impatient de voir la réaction de son fils quand il aura son cadeau entre les mains que quand c'est elle qui les déballes ?

Elle en est sûre. Elle le sait, l'a toujours su. Elle a eu dix-sept ans le mois dernier. Des cadeaux, elle en a eu. Evidemment. Mais les lèvres de son père étaient pincées lorsqu'il lui a tendu le sien. Elle ne parvient pas à assimiler l'idée que cela s'explique par le fait qu'elle était rentrée à six heures, le matin même. Il lui avait donné la permission de minuit et, l'alcool aidant, elle a navigué à droite et à gauche. Elle s'est laissée embarquer en boîte. Elle a arrosé sa dix-septième année malgré son trop jeune âge. Qui s'en soucie, franchement ?

Son père, visiblement.

Mais Bambie, elle, elle ne voit pas ça. Tout ce qu'elle voit, c'est que ses parents apprécient plus l'anniversaire de Drew que le sien. Qu'ils le fêtent avec plus d'entrain, de joie. Suffit de regarder leurs yeux brillants. Suffit de noter les différences entre aujourd'hui et le mois dernier. Suffit de regarder en arrière.

Bambie n'a jamais fêté son anniversaire avec ses amis, dans la maison familiale pourtant dotée d'un jardin moyen mais suffisant.
Drew, lui, n'y a jamais manqué. Excepté maintenant, bien sûr. Mais c'est uniquement parce qu'il a passé l'âge de faire ça. Il ira en boîte, lui aussi. Et ça passera mieux ... Parce que c'est Drew.


Quand ses parents débarquèrent dans sa chambre, quelques heures plus tard après l'avoir appelée maintes et maintes fois pour qu'elle descende manger, ils ne trouvèrent rien d'autre qu'un mot. Un bout de papier arraché à un cahier, sur lequel il n'y avait qu'une petite inscription : Ne m'attendez pas pour le dîner, je suis partie. Et ne me cherchez pas non plus.

Contrairement à ce que Bambie s'était imaginée, ils la cherchèrent. Longtemps. Mais en vain. Ses mauvaises fréquentations lui avaient au moins permis cela : elle disparut dans la nature sans laisser de trace.

Elle changea d'Etat une fois, une deuxième fois, et encore une autre.

Le fait qu'elle sache jouer de la guitare l'arrangea grandement : elle put ainsi continuer à manger à sa faim, à s'acheter de la drogue quand elle rencontrait un vendeur.
Et le fait qu'elle ait passé son permis à seize ans lui fut d'une grande aussi. Ainsi, elle n'eut pas à payer des transports en commun sans arrêt, elle avait sa vieille voiture et cela lui suffisait totalement.

Des mois durant, elle voyagea sans rentrer chez elle. Elle visita une bonne partie des Etats dont elle rêvait depuis toute petite. Elle vécut de nouvelles aventures trépidantes. Et mieux que tout : elle était libre. Libre de ses mouvements, choix et destinations.

Elle était libre d'aller où bon lui semblait. De rentrer à l'heure qui lui convenait. De fumer des pétards à dix heures du matin si le cœur lui en disait.

Elle sortait, faisait la fête, travaillait à droite et à gauche quand elle était en manque de vivres.

Ce n'est que pour la Thanksgiving qu'elle fit parvenir une carte à ses parents, et une seconde à son frère. Froid, le message n'était là que pour les rassurer un tant soit peu. Cela fonctionna puisqu'ils cessèrent par la même de la chercher. Elle reviendrait quand elle en aurait envie, après tout.

Sauf qu'elle ne revint pas. Pendant sept ans, elle fut sur les routes. Elle vagabonda. Apprit à se connaître. Mais, jamais, ne trouva ce qu'elle voulait devenir.

Elle n'était qu'une âme en peine, errant pour sa survie, profitant des hommes qu'elle séduisait quand le besoin de s'installer dans un appartement quelques semaines se faisait ressentir.

Jamais non plus elle ne retourna dans sa famille.
A la place de cela, quand elle décida de se poser enfin, c'est sur le Bronx que son choix se porta.

Pour quelle raison ? Elle n'en sait trop rien. Elle voulait retourner à New-York, elle en avait envie et besoin. Mais Harlem lui semblait trop près de ses parents alors elle se tourna plutôt vers le Bronx. Un coin loin d'être sûr mais qu'elle affectionnait déjà beaucoup, étant petite.

La chance lui sourit lorsque, quelques semaines après son arrivée, elle décida d'aller se faire un nouveau tatouage. Son choix se porta sur une boutique qu'elle ne connaissait pas et elle y fit la connaissance d'Elijah, le tatoueur donc.

De fil en aiguille, il apprit qu'elle avait besoin d'un toit. Elle n'avait pas de métier stable, mais une détermination farouche. Elle voulait se poser et Elijah lui proposa d'emménager chez lui. Un appartement au parking. Comment refuser ?

Surtout qu'il lui arrive de dealer et ça, Bambie ne peut pas l'ignorer. Pour la cohabitation, elle n'est pas trop difficile. Pas souvent là, et surtout facile à vivre. Tant qu'elle a un toit au-dessus de la tête, des vêtements à porter et de la bouffe à se mettre sous la dent, elle n'en demande pas plus.