I won't be afraid as long as you stand by me

I won't be afraid as long as you stand by me

Eden & Yulian

03:45

Le russe a longtemps hésité avant de se présenter devant l’enseigne rose ridicule du pussybox. Il n’a pas non plus tenté d’insister auprès du vigile qui garde l’entrée, refoulé une première fois et non désireux de se retrouver à nouveau amoché, a plutôt laissé tomber et a décidé qu’il attendrait Eden dehors, sur un coin de trottoir à fumer clope sur clope, à espérer qu’elle daignera lui parler malgré leurs antécédents de disputes. Il trouve ça d’ailleurs étrange qu’elle n’ai même pas essayé de lui envoyer un message, un signe de vie ou quelque chose qui aurait pu le rassurer un minimum. Tout ce qui lui indiquait qu’Eden était toujours là, était la lumière qu’il voyait très souvent allumée en milieu de nuit dans leur appartement au 104.

Chaque client qui entre dans ce bar à putes est un client potentiel pour Eden et c’est bel et bien le genre de truc qui écoeure Yulian, qui lui fait froncer les sourcils et pourtant, il n’a qu’un soupir pour exprimer ce qui le gêne le plus. Il a décidé qu’Eden ferait ce qu’elle veut, qu’elle continuera ses danses sensuelles devant des mecs que Yulian connaît sûrement mais le manque d’elle est plus fort que l’entendement et il l’a compris dès lors qu’il s’est arraché aux bras de la femme du slave. Coucher avec Nina était génial, mais c’était pas Eden.

Et soudain, la silhouette d’un ange s’extirpe de cet établissement plus glauque qu’il n’en a l’air à l’extérieur; Yulian s’empresse de la rejoindre et pose ses doigts sur son bras et les referment instinctivement. “Ed.” Dit-il, avant qu’elle ne se retourne. Ca lui fait un bien fou de la voir, ça faisait un peu trop long au goût du russe. “Salut, on peut se parler ?” Qu’il ajoute, simplement, espérant néanmoins ne pas se faire jeter comme le chien de garde l’a fait juste auparavant.

Nous sommes de ceux

J'ai fait ces derniers jours ce que je sais faire le mieux : j'ai mis de côté les choses dérangeantes pour ne pas tomber dans la déprime. J'ai fait en sorte de ne pas avoir le temps de penser à Yulian, au fait qu'il a quitté l'appartement sans plus donner de nouvelles, j'ai fait en sorte de ne pas penser aux mots durs qu'il a pu avoir envers moi. Le fait de cumuler trois emplois, dont celui-ci qui occupe l'intégralité de mes soirées, m'a beaucoup aidée. N'en déplaise au russe, retrouver la danse, le fait d'être payée pour danser aussi, me fait énormément de bien et je réalise à quel point ça avait pu me manquer. Bien-sûr, ça n'a rien à voir avec la façon dont je pouvais danser dans la rue, c'est moins recherché, moins artistique... Mais c'est aussi bien mieux payé et le fait de ne pas trembler tous les mois à l'idée de ne pas pouvoir payer le loyer est un sacré soulagement.

Ce soir aura été une soirée mouvementée, les clients se sont enchaînés quasiment sans interruption et je suis éreintée lorsque je referme enfin la porte des loges pour saluer Nero et m'engouffrer à l'extérieur. J'ai ôté mes ailes pour enfiler une robe par-dessus mes sous-vêtements angéliques, je prendrais le temps d'une douche une fois rentrée. Je n'ai le temps que de quelques pas dans la rue que je pensais déserte lorsqu'une main se referme sur mon bras, et je lève les yeux sur un visage trop connu. Fronçant les sourcils, je me dégage doucement de son étreinte. Si tu veux, oui... Je souffle, sans trop d'hésitation, parce qu'envoyer chier les gens n'est pas vraiment dans ma nature.

Les doigts du russe raclent sur la peau diaphane d’Eden et ça lui arrache une grimace douloureuse. C’est comme si elle s’éloignait à nouveau, comme si elle mettait une distance invisible entre eux et ça a le don de faire mal à Yulian, même s’il est bien conscient que leur dernière rencontre était faite de disputes et de mots durs envers elle. Il n’a jamais accepté que les femmes puissent vendre leur corps et encore moins quand il s’agit de quelqu’un de proche de lui. Il a les yeux dans les siens et pendant un moment, il ne le décroche pas, le garde dans ses pupilles qui se veulent éreintées. Un silence suspend le temps et un soupir passe la barrière des lèvres masculines qui se résout à accepter la réaction de la demoiselle. Le jeune homme plonge ses mains dans ses poches et hausse les épaules en déclarant: “Ca se passe bien, là-dedans ?” Un petit mouvement de tête lui montre l’enseigne lumineuse un peu plus éloignée maintenant, sans que cette remarque ne soit négative, voulant juste prendre la température et évidemment savoir si elle compte continuer. “J’voulais rentrer mais le type à l’entrée m’a refoulé, j’ai rien fait pourtant, pour une fois.” Un petit sourire se loge au coin de ses lèvres sans que ce dernier ne soit réellement enjoué. Il se doute que Slavenko est à l’origine de ça mais ce qui importe au russe est d’avoir finalement pu voir Eden et lui parler comme il est en train de le faire.

Normalement les contacts physiques ne me dérangent pas, encore moins avec Yulian, mais là je suis trop en colère contre lui, trop sur la défensive par rapport à notre dernière conversation aussi et je préfère rester prudente. Sa question me fait hausser un sourcil, à sa façon de dire là-dedans comme s'il parlait d'un lieu absolument affreux. Ça se passe très bien. Je réponds, en toute honnêteté, soulagée de pouvoir au moins être franche sur le sujet parce que je n'aurais pas voulu lui mentir. On est bien traitées, et comme tu as pu le voir la sécurité est parfaite. Je ne le dis pas, mais je sais très bien pourquoi Nero ne l'a pas laissé entrer, Slavenko m'a prévenu que Yulian chercherait sûrement à venir et pas forcément pour se contenter de discuter... Je ne vais pas m'excuser de ça, c'est le russe qui a tenu à menacer Slavenko, je ne suis pas responsable des réactions qui en découlent. Et toi, ça se passe bien ? Je ne suis pas la seule à avoir des activités qu'on pourrait me reprocher, après tout il a repris le deal alors...

Yulian discerne plutôt bien l’énervement dans la voix d’Eden et il en fait totalement abstraction pour éviter de ne bouillir lui-même et il retient plutôt un souffle quand elle lui dit que tout se passe très bien. Il aurait voulu que ça ne se passe pas comme prévu, que quelque chose cloche pour qu’elle arrête ses activités et que sa jalousie cesse de ne faire qu’un tour dans l’intégralité de son corps. “Tant mieux.” Dit-il, d’une voix froide et taciturne comme il aurait eu avec n’importe qui d’autre, sauf qu’il a surement oublié qu’Eden est sa copine et qu’il n’est pas censé lui parler comme si elle était n’importe qui. Il se tait lorsque les éloges sur l’établissement fusent. La sécurité est bonne, elles sont bien traitées… Il manquerait plus qu’elles soient nourries et blanchies aussi ! “Ca se passe bien aussi.” En ayant dealé la moitié de sa vie, ça ne peut qu’aller après tout. “Ed, j’voulais te dire… J’suis désolé.” Il attend un petit moment avant de soupirer à nouveau et déclarer: “Ma réaction était peut-être disproportionnée.” Ca lui fait chier d’admettre qu’il y avait une grosse part de jalousie là-dedans et qu’il aurait eu aucun mal à accepter son job si leur première rencontre avait été là-bas. “J’ai réfléchi et j’suis conscient que t’arrêtera pas pour moi… Alors tant pis, j’te laisse faire même si l’idée me convient pas forcément…” Tout comme l’idée qu’il aie couché avec Nina ne lui convienne pas forcément non plus.

Je ne discerne que trop bien le sarcasme dans sa réponse, je me doute que ce n'est pas du tout ce à quoi il s'attendait, ni même ce qu'il espérait. Il aurait probablement préféré que les choses tournent mal mais même si ç'avait été le cas, j'aurais eu trop de fierté pour le lui avouer. Le fait est que je n'ai même pas besoin de mentir, ça se passe vraiment très bien. Je n'ai pour l'instant pas été emmerdée par un seul client, la plupart du temps je ne vois même pas la tête qu'ils ont et les rares avec lesquels j'ai discuté, lors de mes pauses par exemple, se sont montrés très aimables. Je crois que le fait que je sois l'Ange du PB et non pas une prostituée les pousse à se comporter différemment, ils savent que s'ils veulent plus ils ont seulement à se tourner vers l'une des autres filles présentes. Et puis... Nero incite les gens à bien se tenir, mine de rien.

Je cesse de marcher à ses excuses auxquelles je ne m'attendais pas vraiment, arquant un sourcil lorsqu'il me dit que sa réaction était disproportionnée. Oui, c'est vrai. Je commente d'une voix encore légèrement agacée. Le fait qu'il n'approuve pas, ça je m'y attendais, mais la façon dont il m'a jetée pour finalement disparaître de l'appartement pendant plusieurs jours... Non, ça je ne m'y attendais pas. Je dois me mordre la langue, vraiment très fort, pour ne pas lui répondre lorsqu'il dit qu'il me laisse faire. Parce qu'il pensait sérieusement qu'il pouvait m'en empêcher ? C'est très mal me connaître s'il ne sait pas encore que plus on tente de m'empêcher de faire quelque chose, plus ça me donne envie de le faire. Je ne renchéris pas, essayant de digérer l'information en changeant de sujet pour le moment. T'as dormi où pendant tout ce temps ?

Contrairement à ce que pourrait penser Eden, Yulian la connaît comme s’il l’avait faite et ce depuis qu’il lui a demandé d’être exclusive avec lui, manière détourné de lui demander d’être sa copine et aussi, un autre manière de lui dire qu’il tenait à elle plus qu’elle ne le croyait. Donc, il savait qu’en refusant d’accepter le fait qu’elle bosse au PB, elle allait tout faire pour que ça se passe bien ou en tout cas, mieux que ce que le russe aurait pu le vouloir. Elle s’arrête lentement de marcher et le jeune homme l’imite en se stoppant lui aussi. Ses yeux divaguent dans ceux d’Ed et il réprime une phrase alors qu’elle change directement de sujet, le visage fermé et complètement refroidi par la conversation, apparemment. “J’ai dormi à l’hôtel.” Ca lui rappelle leur discussion quand ils se sont retrouvés après l’histoire de la mafia russe, comme quoi elle méritait un soirée au restaurant puis à l’hôtel; peut-être plus maintenant en y réfléchissant correctement. “J’vais revenir à l’appart Ed.” Il ne le dit pas concrètement mais payer l’hôtel est cher et en payant un loyer, il n’a pas la moindre envie de pourrir là-bas. Il se remet à marcher doucement en prenant garde que l’écossaise en fasse de même, pas envieux qu’elle finisse par faire demi-tour. “Hm, je t’ai pas demandé mais, j’te raccompagne ?” Dit-il, perturbé par la situation plus qu’inhabituelle.

A l'hôtel. Je ne cherche même pas à savoir si c'est vrai ou pas, je ne vois pas bien ce que ça changerait de toute façon. J'imagine que le fait d'avoir recommencé à dealer lui permet forcément de se payer des chambres d'hôtel. Quant à savoir s'il y a dormi seul ou non, c'est une question que je ne poserais pas. Je fronce les sourcils quand il me prévient qu'il va revenir à l'appartement. Honnêtement je ne suis pas certaine d'en avoir envie, les choses sont vraiment étranges entre nous en ce moment et je ne suis pas sûre que ça se passe très bien... Mais il est chez lui autant que chez moi, après tout nous sommes deux à payer le loyer, alors je ne peux certainement pas le lui refuser. Heureusement qu'on a au moins une chambre chacun pour ne pas être forcés de se marcher dessus... Cela dit c'est le genre de choses qui me rappelle pourquoi j'ai toujours rechigné à la colocation ou à m'installer avec quelqu'un. D'accord. Je souffle seulement avant de relever les yeux sur lui. C'est comme tu veux. Je rentre de toute façon. Je serais rentrée seule s'il n'était pas venu ici, après tout je rentre seule d'habitude.

“Je suis garé là-bas.” Dit-il, simplement, taciturnité toujours dans la voix et aucun regard pour elle, le trottoir qui se déroule sous ses paupières, le gravier qui s’engouffre sous ses baskets, lourdement. Le silence commence à peser, le silence de la rue les englobe comme s’ils étaient seuls au monde tandis que les réverbères les éclaire d’une manière glauque, qu’on entend quelques fois passer des voitures à une vitesse ahurissante dont les phares agrandissent leur ombre sur le sol grisâtre. Ils n’ont rien à se dire, rien à raconter et le russe se referme doucement, boue intérieurement de la maladresse de cette situation parce qu’ils n’ont plus l’habitude de se retrouver ainsi, de manière si inconnue.

Ils arrivent à la voiture et le jeune homme se hisse en premier dans l’habitacle, soupirant de nouveau et collant son échine au siège tout en regardant Eden entrer à son tour dans le véhicule. Il ne démarre pas immédiatement, essaie de rassembler dans son esprit tous les éléments qui pourraient jouer en sa faveur sans réellement en trouver; chacun ayant sa part de responsabilité dans cette dispute. L’embarras le gagne doucement et l’air devient pesant petit à petit à force de rester silencieux tous les deux. Ses mains se déposent sur le volant alors que son corps se tend, que la tension gagne son esprit alors que son visage se tourne finalement vers la demoiselle assise sur le siège passager. “Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On continue à se faire la gueule ? A pas se parler ?” Demande-t-il, fatigué et ébranlé par le combat qu’il mène contre le mur qu’Eden leur impose.

Je n'avais pas pensé au fait qu'il serait venu en voiture. Le Pussybox ne se situe pas si loin du Parking, et comme je ne suis pas une grande fan du métro new-yorkais -surtout à cette heure- j'ai pris l'habitude de venir à pieds. Je bifurque donc naturellement dans la direction indiquée, balisant un peu à l'idée de me retrouver enfermée avec lui dans l'habitacle d'une bagnole. Comme si la tension pouvait être plus grande encore que ce qu'elle est déjà. Contrairement à lui je ne réfléchis pas du tout à une façon de rompre le silence, qui pourtant me gêne autant que lui. Mais je n'ai jamais été du genre à vouloir forcer les choses, ni même à tenter de régler les conflits à tout prix, pas quand ils me concernent en tout cas. Non, moi je fais plutôt l'autruche jusqu'à ce que ça passe. Et parfois, ça ne passe pas, mais c'est un risque que je prends.

Je grimpe sur le siège passager et claque la portière derrière moi, attendant qu'il démarre avant de réaliser qu'il n'en a visiblement pas l'intention. En tout cas pas dans l'immédiat. Je fronce les sourcils, attend qu'il se tourne vers moi pour me poser une question qui me fait hausser les sourcils. Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Yulian ? Je demande, sincèrement surprise. Tu m'as quasiment traitée de pute avant de te barrer pendant des jours sans donner de nouvelles, j'apprends au passage que tu t'es remis à dealer et que tu m'en aurais jamais parlé si on ne s'était pas disputés... Et tu te pointes ici comme une fleur pour me dire que tu m'autorises, dans ta grande bonté, à faire ce que je veux de ma vie. Je hausse les épaules. C'est bien, je sais pas ce à quoi tu t'attendais mais j'ai pas l'intention de me mettre à te raconter ma journée comme si de rien était. Déjà on rentre ensemble à l'appartement, je trouve que c'est pas mal.

Le regard perdu du jeune homme divague entre la bouche d’Eden et ses yeux, d’un noir profond comme il ne l’avait jamais vu auparavant et il l’écoute parler avec une attention toute particulière. Il ne sait pas comment il doit réagir ou au contraire, ne pas réagir puisque c’est exactement ce qu’elle lui reproche présentement. Le torse du russe se tourne instinctivement vers elle et il se met à planter ses yeux dans les siens avec une nouvelle rancoeur naissante dans la bouche. “T’as pas réfléchis c’est dingue ça… Tu t’es même pas mise à ma place deux secondes.” Il est fatigué et las de devoir se justifier, encore et toujours, alors que n’importe quel autre mec aurait réagis de cette même façon, il en est persuadé. Le russe se tait et finit par tourner la clef pour pouvoir démarrer, profondément touché par toute l’incompréhension qu’elle suscite en lui, et toute l’incompréhension dont elle fait preuve aussi.

Le chemin est silencieux, à nouveau, ils descendent du véhicule et Eden se dirige la première vers la porte de l’immeuble. Il la suit sans grande conviction, se demandant s’il n’était pas mieux qu’il finisse la nuit à l’hôtel encore ce soir mais dans la volonté de faire les choses biens avec Eden, il ne recule plus, en a assez de jeter l’éponge avant même d’avoir insisté. Il ne le dit pas forcément, ne se l’avoue pas non plus, mais Eden est belle et bien la seule personne pour qui il ferait tout, sans la moindre retenue.

Je soutiens son regard sans ciller. Bien-sûr que si, contrairement à ce que tu as l'air de penser je ne suis pas qu'une gamine capricieuse qui prend des décisions insensées. J'ai réfléchi, j'ai pesé le pour et le contre et j'ai, aussi, pensé à toi. Maintenant je suis désolée de te décevoir mais je ne choisis pas ma vie en fonction des autres. Et les autres, ça l'inclue aussi, peu importe ce qu'il en pense. Je te signale que je pourrais te faire le même reproche quand tu me dis que tu t'es remis à dealer. Sauf que toi c'est pire, parce que c'est uniquement pour l'argent. Et voilà sa seule excuse, il a besoin de pognon. J'ai eu l'opportunité de faire un boulot un peu plus gratifiant pour moi que de servir des pizzas aux soûlards du Bronx, je n'avais pas eu l'occasion de danser de façon professionnelle depuis des mois et on me propose d'être payée pour faire ce que j'aime. Dans un cadre sécurisé, parce que Slavenko est mon ami et que j'ai confiance en lui. Il peut bien dire ce qu'il veut sur les mecs qui se branleront derrière la vitre, je ne suis pas en train de me prostituer pour autant. Personne ne me touche. Quant aux regards qu'on pose sur moi, ils ne m'ont jamais dérangée. S'ils dérangent Yulian, c'est son problème, certainement pas le mien.

Je me mure dans le mutisme jusqu'à ce qu'on ait atteint le Parking, et je regagne l'appartement sans vérifier qu'il est bel et bien derrière moi. Il a dit qu'il voulait rentrer, de toute façon. Je suis en train de me dire qu'emménager ensemble était une très, très mauvaise idée. Parce qu'à cet instant précis, je n'ai qu'une seule envie : m'isoler. Ce que je ne peux faire qu'en m'engouffrant dans ma chambre, dont je ferme la porte.

Bien sûr qu’il l’écoute, attentivement même, mais c’est seulement un soupir qu’il lui laisse en réponse. C’est un peu trop compliqué de parler à Eden quand elle est dans cet état, un peu trop compliqué de la faire revenir sur terre pendant qu’elle nourrit sa rancoeur à ressasser les événements. Il est fautif, évidemment, il n’aurait peut-être pas dû se remettre à dealer mais il n’a aucune justification à donner à la jeune femme, et encore moins maintenant qu’elle est devenue ce mur auquel il est en train de faire face.

Il allume une clope dès lors qu’ils arrivent à l’appartement, dès lors qu’elle s’enferme dans sa chambre et le russe ne sait strictement pas ce qu’il est censé faire dans ce genre de cas là ? Doit-il aller la chercher pour lui parler, la laisser se calmer toute seule ? Il n’est définitivement pas à l’aise avec les relations de couple et ça se confirme de plus en plus ces derniers temps. Il se dirige vers la fenêtre qu’il ouvre quelque peu pour laisser la fumée sortir, manière de ne pas enfumer tout l’appartement et regarde la rue noire, pensant à toutes ces choses qui continuent de le faire chier. Il n’a plus personne à part Eden, ne peut compter sur personne à part elle et ne se sent bien qu’en sa présence, alors, rester dans ce conflit ne ferait qu’accabler encore un peu plus son esprit déjà bien verrouillé. Il se dit que ça ira mieux le lendemain, sûrement.

Il a finit par se coucher et dormir quelques heures avant de se lever et décider de préparer le petit déjeuner, ce qu’il n’a décemment jamais fait. Peut-être que ça suffira, qu’il s’était dit, voulant quand même à tout prix se réconcilier avec Eden.

Assise sur le lit, je reste un instant à l'affût, guettant les bruits que je perçois dans l'appartement. Mais heureusement, il ne cherche pas à poursuivre la discussion, et la porte de la chambre reste close. Je ne me sens pas l'énergie ni l'envie d'une dispute maintenant, et à vrai dire je ne crois pas qu'on puisse un jour tomber d'accord sur le sujet. Non seulement j'ai la sensation qu'il tente de régir ma vie, ce qui me déplaît au plus haut point, mais en plus je n'ai toujours pas digéré sa réaction disproportionnée. Pourtant je ne saurais pas dire, est-ce qu'il y a un réel problème ou bien est-ce que je ne suis tout simplement pas faite pour les relations de couple ? C'est typiquement le genre de cas où, en règle générale, je prends mes jambes à mon cou. A mes yeux une relation ne devrait pas être une lutte et tout paraît pourtant très compliqué avec le russe.

Je finis par me mettre en pyjama pour dormir à mon tour, contrariée mais suffisamment épuisée pour que ça ne m'empêche pas de trouver le sommeil. Moi qui ai pris l'habitude de dormir seule ces derniers jours, ce sont les bruits que j'entends dans l'appartement qui me réveillent. Je me frotte les yeux, bâille et m'étire avant de me lever en fronçant les sourcils, rajustant ma nuisette avant d'ouvrir la porte. Je trouve Yulian dans la cuisine, en train de préparer un petit-déjeuner... Pas seulement pour lui, ce qui me fait arquer un sourcil. J'avoue que je ne m'y attendais pas vraiment. Bien dormi...? Je demande,pour rompre le silence.

Pour une fois, ça ne sent pas la clope dans tout l’appartement mais plutôt le café dont la fumée qui sort de la cafetière embaume assez la pièce pour laisser cette odeur agréable pour un matin. Yulian s’est efforcé à trouver ce qu’il fallait pour préparer le petite déjeuner et c’est ainsi qu’on retrouve quelques pancakes industriels traîner à côté du pot de confiture et de beurre de cacahuète. Ce n’est pas du tout dans les habitudes du russe, de faire ce genre de trucs que feraient les couples normaux, c’est plutôt une petite attention pour Eden, manière de lui demander pardon implicitement.

Il finit rapidement de dresser la table quand elle sort de sa chambre, avec ce visage poupon qu’il aime voir quand aucun artifice ne se mélange à sa peau claire et garde son regard fixe vers elle durant un instant. “Ouais ça va, et toi ?” Même si c’est faux, même s’il n’a fait que ressasser les paroles et les actes durant les heures restantes de la nuit. Il finit par s’asseoir et servir deux cafés, n’allant pas jusqu’à tartiner ses pancakes, non, il n’est pas de ces mecs tendres au point de beurrer les biscottes de l’autre.