"BONJOUR ! Plus un mot je vous prie, merci, de quoi il est accusé ? Ah, vous pouvez me laisser avec mon client ? Je souhaiterais m'entretenir en privé avec lui, merci, hop du balai." Je viens débiter mon laïus habituel après avoir ouvert la porte de la salle d'interrogatoire à la volée, une partie est destinée à mon client, l'autre à l'inspecteur, qu'ils se débrouillent pour faire le tri. Une fois la flicaille mis à la porte. Je m'assieds et pose ma mallette près de moi. Elle n'est là que pour le chiqué, je ne prends quasiment jamais de note, j'ai une mémoire d'éléphant doublé d'un syndrome de paranoïa aiguë.

Je regarde l'homme en face de moi, mignon, exaspérant si j'en juge la mine du flic qui est sorti de cette pièce et visiblement sur les nerfs. J'entre donc dans le vif du sujet directement "Allez-y racontez-moi votre version, la vraie, la fausse, celle que vous voulez, on passera par les deux de toutes façons. Tout ce que vous direz est couvert par le secret inhérent entre un avocat et son client. Et si ça vous intéresse, mon nom est Vex. Maitre Vex. Comme Sex mais avec un V. Je vous écoute. Et non, je n'ai pas pris de cocaïne.

Le mec qui vient d'entrer parle aussi vite que moi – peut-être même un peu plus – et les flics ont l'air de le connaître parce que je pense bien avoir entendu un gémissement d'agonie. Oh parfait, s'il est aussi exaspérant que moi je peux espérer avoir la paix rapidement pour pouvoir m'occuper de ma vie qui a valsé aussi fort qu'une savonnette enduite de vaseline sur une toile cirée.

« Bonjour. Très sympa comme surnom. »

J'aurais dû y penser quand j'étais acteur X – mais j'aimais grave le double-sens derrière le Russe Blanc, aaaah belle époque.
J'ai un soupir, et si je pouvais je ramènerais mes jambes en tailleur sur la chaise comme un mouflet, mais mon costard trois pièces de taf est bien trop serré pour ce genre d'exercices.

« J'ai bossé dans l'illégal fut un temps, j'ai fait l'inverse de tout le monde ; j'ai commencé par tapiner ensuite je me suis drogué et après j'me suis mis à dealer.
Enfin c'était pas vraiment moi qui faisais les ventes mais bref.
Je bossais avec des gens qui ont pas trop apprécié que j'arrête d'un coup parce que ma vie a pris une tournure... »

Plus adulte. Flippante. Terra incognita.

« différente. »

Je me mords la lèvre, baisse le regard.

« Ils n'ont pas aimé, ont décidé de kidnapper mon mari, et de se barrer avec. Donc j'ai fait ce que n'importe qui aurait fait : je leur ai lancé une grenade sur la tête et j'ai tiré dans le tas. »

J'espère que c'est la vraie version sinon nous sommes dans la panade, ah ah. Bon allons-y pour les questions :

comme je n'ai pas encore votre dossier - il semble qu'il y ait un souci avec l'orthographe de votre nom - avez-vous déjà été arrêté et pour quoi ?
Où avez-vous eu ses armes ?
Avez-vous un permis ?
Combien de morts ? et combien de survivants ?
Parlez-moi de votre mari.

De la main, je l'incite à dérouler l'histoire pour que je puisse élaborer une stratégie.

Est-ce que vous aviez de l'argent chez vous, des fonds d'un commerce que de vils malfrats auraient pu vouloir vous dérober dans une attaque à main armée... ?

Et soudain l'insight !

"Ah mais je vous reconnais ! Nous nous sommes croisés à la soirée du Sapphire39, j'étais avec la délicieuse Mademoiselle Fontaine. Mimi. Je vois très bien votre mari qu'elle a qualifié d'armoire Ikea. Ce n'est pas un petit gabarit en effet. Et donc vous êtes producteurs de film X ? "

J'ai un léger geste de dénégation ; me semble pas qu'on m'ait conseillé de fermer ma gueule en jargon juridique.
L'avocat fait son taf, enchaîne les questions, et j'ai énormément de mal à me concentrer dessus, parce que je ne sais rien de ce qu'il se passe dehors, et j'aimerais bien savoir si genre, je suis veuf, si ma Jungle a disparu, ou... bref, je déteste ne pas savoir.
J'ai un léger geste de dénégation :

« Nah j'ai pas été arrêté, j'crois pas. Ils veulent savoir ce qu'il s'est passé, j'ai fait traîner les choses et ils ont pas d'explications.
Je les ai achetées à Grigor Erskine, un vieux qui tient un stand de tir. »

Un vieux ancien mafieux russe connu pour sa brutalité qui l'aura conservé vivant jusqu'à son âge avancé.
Mais hé, il s'est jamais fait choper.

« Au moins trois morts selon mon garde du corps... peut-être d'autres, j'ai pas vraiment compté, sur le coup.
Ils étaient six, au total. »

J'étais en train de réfléchir au cash que je garde au Nautilus et dont je n'ai foutre aucune idée de l'importance au vu du déroulement des dernières heures, quand il finit par me reconnaître.
Mon esprit mondain tourne dans le vide.

« Ah ! Oui. Par contre Ikea c'est suédois. »

Bien sûr que je me raccroche à des trucs débiles pour tenir le coup. Il s'agit de moi.

« Ouais, aussi. Mais là j'étais dans mon agence de voyages. »

Je pince les lèvres :

« On devrait pouvoir faire croire que je gardais quelques plaques dans la cave », l'évocation de la Jungle me serre douloureusement quelque chose dans le ventre, mais heureusement j'ai pas mangé avec tout ça, donc j'ai rien qui puisse me donner la nausée. « Le scénario d'une attaque pour l'argent est crédible, je pense. »

Une agence de voyage, parfait, c'était parfait, respectable et tout. On n'accusera pas une agence de voyage de tremper dans les milieux interlopes. Bon, le bonhomme en face de moi oui ne serait-ce qu'avec le porno ! Les gens se font une fausse idée du porno. Moi mon idole c'est Rocco, l'étalon italien, et bien figurez vous que c'est un homme d'affaires redoutable.

Bon, voilà ce qu'on va faire. On va commencer par vous sortir d'ici. Il y a eu une explosion, vous avez l'air choqué, je vais demander un médecin et vous faire sortir contre promesse de revenir demain faire votre déposition. En attendant, vous vous en tenez au fait qu'on vous a agressé pour l'argent. Vous avez les idées floues, c'est normal avec une commotion légère.

J'expose mon plan et ses étapes à mon client avec précision mais ma rapidité de débit agrémenté de geste, toute italienne


Ensuite nous sortirons, nous verrons le médecin, et nous irons à la pêche aux infos de ce qui s'est passé dehors. Je ferais aussi jouer mes contacts, je demanderais le dossier de l'enquête et demain, nous nous présenterons pour la déposition. Tout va bien jusque là ?

Il parle, il parle, il parle, et je crois que je commence à comprendre l'effet que je fais aux gens et qui est assez...
C'est pas désagréable, mais je comprends qu'ils se sentent totalement dépassés. J'acquiesce :

« J'ai très certainement une commotion légère oui. »

Non en fait je suis totalement en état de choc parce que je ne sais pas comment va mon mari, comment vont et où sont mes animaux et que je n'ai plus de Jungle, le tout étant parfaitement et entièrement de ma faute.
Je hoche de la tête :

« Parfait, on a qu'à faire comme ça, c'est vous le spécialiste. »

Je garde le silence une fraction de seconde, et reprends avec le regard le plus inquiet de ma gamme, qui équivaut à la panique la plus totale, en fait.

« Vous pensez que je vais m'en sortir ? »

"Je serais un très mauvais avocat si je vous disais que non ! Allons ne vous angoissez pas, je m'en vais vous sortir de là. Ils n'ont rien de concret et on va passer l'envie de faire du zèle." Et pour ça, il faut sortir le grand jeu. Je resserre mon nœud de cravate, tire sur mes manches et prends un air hyper concerné avant d'adresser un clin d'oeil à mon client "Ah, je vous laisse pour parler aux représentants de l'ordre. Si quelqu'un vient vous interroger, répondez, faites-moi plaisir mais ne renoncez surtout pas au droit d'avoir recours à votre avocat. S'ils vous interrogent sans moi, ce serait un vice de forme. ça nous faciliterait la tâche."

et de sortir pour faire mon show d'avocat pénible, grandiloquent, demandant à voir le capitaine de brigade pour lui passer un savon parce que mon client n'a pas vu d'avocat et que c'est inadmissible de le garder. Ils me connaissent dans le coin, ils savent comme je peux être emmerdant !