Si le bon Dieu vous a donné une paire de nibards, c'est pour les secouer

Si le bon Dieu vous a donné une paire de nibards, c'est pour les secouer
Neslihan & Nina

15h35

Oh, et deux roulés à la cannelle, aussi. Je réclame, en pointant du doigt la pâtisserie en question.

La vendeuse esquisse un sourire et ajoute les gâteaux supplémentaires sur le plateau déjà bien rempli, avant de me laisser passer en caisse. J'ai pris les devants sur ce coup-là, peut-être que ma cliente n'aimera aucune des pâtisseries choisies... Mais comme je suis parfaitement sobre aujourd'hui, pour la première fois depuis que j'ai quitté l'appartement, j'ai besoin de me rabattre sur une autre drogue. Le sucre est une drogue dure, à ce qu'il paraît, alors je tente le tout pour le tout. Une fois le tout réglé, je récupère le plateau pour aller m'installer à une table. J'en choisis une qui soit suffisamment isolée pour qu'on ne subisse pas le brouhaha ambiant, mais assez en vue pour que celle que j'attends ne me loupe pas.

Je suis épuisée d'avoir encore une fois si peu dormi, mais j'ai fait l'effort de me maquiller pour dissimuler mes cernes et avoir l'air un peu moins pâle. Je contemple, pensive, le plateau rempli de pâtisseries, en songeant au fait qu'une femme enceinte est supposée avoir tout le temps faim, et j'espère que celle-ci n'échappera pas à la règle, autrement j'aurais l'air ridicule. Je l'ai attendue, en revanche, pour commander à boire, je ne peux pas choisir à sa place. Comme ils n'ont pas de vodka à la carte, rien ne me fait envie, alors je décide d'avance de commander la même chose qu'elle.

Nous sommes de ceux

C’est absolument catastrophique de devoir brutalement changer ses habitudes et ça commence très sincèrement à me courir méchant sur le haricot. Virer alcool, café, sucre et clope déjà c’était pas une mince affaire, refaire ma garde robe j’ai fini par trouver ça plus ou moins sympa même si clairement le monde capitaliste de 2018 ne veut pas de baleines dans sa société. Mais sa mère la pute, être belle sans porter de talons, c’était un autre défi.
Du coup ça m’a cassé les bonbons et j’ai fini par mettre des baskets, avec une jupe parfaitement. Et si t’es pas content c’est pareil.
Paye ta classe de la lignée Kourakine là franchement.
Fort heureusement j’ai un goût irréprochable pour le maquillage – j’ai un master en dissimulation de cernes et de rides t’as pas idée.

« Bonjour, Nina Kovacs ? » Quand j’en ai la confirmation je me laisse tomber sur ma chaise sans aucune classe avec un soupir de soulagement. « Désolée du retard, mon chauffeur a laissé son permis de conduire quelque part avec son goût de s’habiller. » je maugrée en me redressant sur ma chaise quand la serveuse se pointe. « Un chocolat, merci. »

Oui quoi c’est l’heure du goûter dans une demie heure.

Je relève le nez lorsque la porte s'ouvre et mon regard est forcément intrigué par le ventre arrondi de la femme qui passe la porte. Etant donné que j'attends une femme enceinte, je suis à l'affût. Mon regard s'illumine d'un sourire et je hoche la tête. Elle-même. Elle se laisse tomber sur la banquette en face de moi, visiblement épuisée par le trajet et je balaie ses excuses d'un vague mouvement de la tête. Aucun problème, ne vous en faites pas. Je suis arrivée il y a un moment déjà mais j'ai mis tellement de temps à choisir toutes les pâtisseries que ce n'est finalement pas très grave, en plus je ne suis pas pressée, elle est mon seul rendez-vous de la journée.

J'attends que la serveuse s'éloigne pour désigner le plateau rempli de sucreries. Je meurs de faim, j'avais envie de tout goûter. J'espère n'avoir pas trop mal choisi... Présumer des goûts d'une parfaite inconnue peut s'avérer légèrement compliqué, c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai préféré choisir plusieurs pâtisseries différentes.

Aaaaah putain, enfin un visage avenant dans cette journée de merde ; ah ouais parce que là j’étais pas du tout d’humeur à me prendre une remontrance de la part de quelqu’un pour mon retard, c’est bon hein. Bon vivement que j’accouche parce que même moi je me supporte plus, c’est vraiment tolérance zéro pour tous les actes du quotidien maintenant, je vais exploser à chaque foutue seconde. Je crois que même si on me donnait ce que j’aime le plus au monde je serais capable d’en critiquer certains détails.
Neslihan dans sa splendeur, pour vous servir.
Baissant les yeux je découvre que mademoiselle Kovacs m’accueille avec un plateau rempli de sucreries à ras bord, et franchement on a eu beau me dire de me limiter sur le sujet – ce que je fais avec un talent et une volonté que je n’aurais pas cru possibles – elle ne pouvait pas mieux m’accueillir.

« Ca ira vous inquiétez pas. » je replace une mèche de cheveux derrière mon oreille, m’évente, chose que je ne fais jamais mais là ce machin au creux du bide mon dieu me tient chaud. « Vous êtes dans le domaine depuis longtemps ? » je demande.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle saute au plafond comme une enfant découvrant des sucreries, aussi je me contente amplement de son affirmation lorsqu'elle assure que les pâtisseries conviendront. Je sais déjà que c'est surtout pour me donner bonne conscience parce que je serais incapable d'en manger la moitié, mais je trouverais bien à les ramener à l'appartement si nous n'avons pas tout mangé... Et je doute que ça arrive. Et puis ça me fera quelque chose à manger puisque je rechigne toujours tant à cuisiner, même lorsque la notion de cuisine consiste juste à foutre un plat dans le micro-ondes.

A sa question, je secoue la tête, c'est le début de l'entretien embarrassant j'imagine étant donné que je suis plutôt novice en la matière. Non, pas très longtemps, quelques mois seulement. Disons que c'est une reconversion professionnelle... La seconde de l'année, putain ça craint. En même temps je ne pouvais pas imaginer que le type qui m'a payé cette formation d'informatique pour que je bosse avec lui et reprenne sa boîte allait finalement décider de ne pas quitter NY. L'amour fait vraiment faire n'importe quoi. Mais je travaille surtout pour le Sapphire 39, à Manhattan, alors le réseau nécessaire est venu assez rapidement. C'est une façon pour moi de la rassurer, histoire qu'elle ne s'imagine pas que je sors complètement de nulle part et qu'elle va se retrouver à fêter sa baby shower au McDo.

Je hausse les sourcils.

« Ah ! Vous travaillez pour Isaak ? Mais il fallait le dire tout de suite ! »

Je m’éclaire et décide soudainement que je l’aime bien. Isaak est un enfant très capricieux qui ne travaille pas avec n’importe qui ; déjà parce que tout le monde ne les supporte pas, lui et ses manières, et parce qu’il a une image à entretenir qui ne lui permet pas de copiner avec le premier péquenot venu, suuuurtout si c’est une gonzesse – pour ce dernier détail je ne suis pas sûre mais j’aime à penser que tous les mecs de ce milieu sont des machos parce que ceux de mon entourage le sont eeeet j’aime râler.
Je souffle sur la surface de ma boisson pour la faire refroidir ; hors de question de me brûler la langue et d’avoir sur elle une sensation de plus que le piercing avec lequel je joue dans l’habitude.

« Bon dans ce cas parlons affaires. »

Je choppe la plus petite des sucreries pour me donner bonne conscience, sachant qu’elle n’est qu’un tremplin vers la débauche, et accueille le fourmillement d’envie habituelle dans le bas de mon ventre avec un soupir mesuré, euphémisme total d’un véritable ressenti que les conventions sociales m’empêchent d’exprimer.

« Comme je vous l’ai dit au téléphone, je ne donne pas naissance à n’importe qui dans les mois qui vont venir, et l’entourage qui va se joindre à moi a l’habitude d’événements de très haut standing, je pense que vous imaginez parfaitement de quoi je parle. »

Si elle bosse pour Isaak à priori elle devrait connaître le milieu et la véritable définition du mot « chiant ».

A son regard qui s'éclaire, et l'enthousiasme qui transparaît dans sa voix, un sourire fleurit sur mes lèvres. Voilà, c'est exactement ce dont je voulais parler, lorsque Slavenko s'est insurgé que j'accepte de bosser pour le Sapphire en prétextant que c'était cautionner le proxénétisme. Essaie un peu de te lancer dans l'événementiel quand personne ne te connaît et que tu n'as pas le moindre réseau ! Surtout dans l'événementiel de luxe, on verra si ça fonctionne. La seule évocation du nom de Coalman est comme un ticket d'entrée, une caution morale aussi qui rassure les clients. Ils ne me connaissent pas, mais ils connaissent Isaak et ses exigences. En prime, ça leur garantit d'avoir quelqu'un sur qui gueuler si je venais à faire n'importe quoi.

Je récupère ma tasse de café, déjà plus détendue maintenant que je me sens un peu moins sur la sellette, ce qui ne m'empêche pas de prendre tout ça très au sérieux. Comme elle, je souffle sur le breuvage brûlant, l'écoutant en hochant la tête.

J'imagine très bien, oui. C'est étrange quand on sait le milieu social dans lequel je suis née, plus encore celui dans lequel j'ai grandi... Mais avant de me retrouver sous la coupe de Tobias je ne fréquentais que des hommes particulièrement riches, j'ai donc dû me faire aux sphères guindées de la haute société. Ce qui ne veut pas dire que je les apprécie, ni que l'exercice ne me met plus mal à l'aise aujourd'hui. Vous avez déjà une idée du nombre de personnes que vous voulez inviter ? Approximativement.

Elle imaginait très bien.
Alors ma grande je pense pas à quel point tu imagines que Neslihan Özel enceinte de la future princesse Kourakine peut être une emmerdeuse. Il va falloir t’accrocher crois-moi, parce que je fais pas dans la dentelle.

J’attrape une pâtisserie que je mange à la française, avec cette espèce de fourchette à gâteaux guindée dont l’existence aurait fait très plaisir à Alyosha, et me penche en direction de mon sac à main pour en sortir un petit carnet, assez grand pour y déployer tout le contenu de ma petite tête qui réfléchit trop surtout vu qu’elle peut faire de moins en moins de trucs physiquement. Je fais jouer l’élastique qui le tient fermé, et quelques cartes de magasins s’en échappent, avant d’être rattrapées comme des chiennes d’une main experte tenant une laisse trop dure. C’est comme ça que je tiens ma vie, malgré le fait qu’elle passe son temps à m’échapper en ce moment.
J’écarte alors un peu le plateau de victuailles pour ouvrir le carnet, et lisser sa tranche du plat de deux doigts parfaitement manucuré.

« On parle d’une centaine de personnes pour le moment. Je connais beaucoup de monde et c’est très politique. » affirmé-je. « Bien sûr de là il faudra retirer un tiers qui ne viendra pas de sûr, et un tiers qui va oublier au dernier moment, les aléas de l’événementiel. » je commente avec un rire ironique.

Je suis un spectacle ambulant ma parole.

Je l'observe avec intérêt tandis qu'elle sort son calepin dans lequel elle a, j'imagine, noté la liste des invités. Et j'écarquille les yeux, surprise. De ce que j'ai pu en voir, les baby shower se font en général en bien plus petit comité, une dizaine de personnes à tout casser ! Une centaine d'invités, ça me paraît incroyable, il n'y avait pas la moitié à mon mariage...

Très politique ? J'imagine du coup que les invités en question s'attendront à quelque chose en particulier... Ils ont des exigences que je devrais connaître ? Neslihan en aura, mais elle est ma cliente, alors il est normal qu'elle en ait et je m'attends bien-sûr à ce qu'elle me fasse part de toutes ses requêtes et ses envies. En revanche de ce que je peux comprendre jusque là, il semblerait que l'événement soit organisé pour une catégorie de personnes assez particulière et je ne voudrais pas commettre d'impairs. Son nom de famille, en plus, ne sonne pas très américain, et je ne suis pas sûre d'être au fait des impératifs de son pays s'il s'avérait qu'elle n'était pas originaire d'ici.