(PRINCESSE DÉCHUE) Elle s’abîme sur l’asphalte une fois la nuit tombée, s’écorche parfois un bout de cœur qu’elle s’empresse de cacher derrière l’artifice d’une lumière bleutée. Elea, elle vagabonde, dilapide l’argent de papa seulement pour ne pas avoir à se retrouver seule dans une chambre trop grande. Là-bas ils disent qu’elle a fugué. Se contredisent quand d’autres supposent qu’elle a préféré fuir la réponse à une question enfantine. Pourquoi tu pleures pas toi ? Elea elle dit qu’elle s’est barrée avant de finir comme elle, a préféré un sac à dos aux pleurs d’une veuve éplorée et aux condoléances qui n’en terminent plus. Elle, elle préfère courir, fige sa chute dans un rire cristallin et bousille son jean en y laissant un joli trou qui revient à la mode. Comme tous les autres. Prend l’habitude de voir le carmin s’échapper finement. Elea elle a les doigts couronnés de bagues en mémoire d’un souvenir qui s’efface et l’accent qu’elle appuie pour ne pas oublier trop vite. Elle, elle n’est pas d’ici. Et elle en joue trop souvent, fausse princesse anglaise, princesse déchue depuis que les pleurs ont commencé. Mais Elea elle est comme tous les autres, rien qu’une gamine perdue qui déteste la solitude d’un pays qu’elle ne connait pas. Alors parfois dans sa course elle ferme les yeux jusqu’à attendre le choc, rentre en collision avec une autre planète juste pour un soir. Elea c’est ce vieux sac qu’elle balade partout avec elle, ce sont ces nuits improvisées sur des canapés d’inconnus qui se multiplient et les cadavres qui s’empilent. Et quand le jour se lève, princesse s’enfuit encore, enfile le tablier qu’on lui renvoie comme un boomerang au visage pour la punir et affiche toujours ce même sourire mécanique, sert des kilos de calories pour retrouver l’argent qu’elle a foutu en l’air. Et supplément frites. Parce qu’on pleure pas quand on n’est pas triste.  



(LES LILAS) Elle se sédentarise la vagabonde. Il y a cette porte toujours ouverte au douzième étage de la résidence et le ton moralisateur de celui qui lui répète qu’elle devrait s’enfermer entre les murs grisâtres et déprimants de sa chambre. Elle n’écoute jamais Elea, n’offre rien d’autre qu’un haussement d’épaules et balaye d’un revers de main les paroles trop soucieuses. La porte ouverte comme un souvenir aux premiers mois du début de sa vie. Il y a cette fille qui se tient droite sur le toit de l’immeuble, parfois les jambes dans le vide quand son cul est cloué contre le rebord et que son esprit tangue, mais trop souvent debout à compter les étoiles. Un jour elle s’envolera elle aussi. Elea elle a arrêté les conneries pendant un temps et pourtant ça lui parait trop court aujourd’hui, ce temps pendant lequel elle n’était plus perdue. Grâce à lui. A cause de lui. Tout ce joli bordel qui appartient au passé depuis qu’il s’est barré. Tout cet autre bordel qui a refait surface depuis qu’il l’a laissé seule dans la ville. Elle déambule quand le soleil se couche, se plait à traverser la longueur du parking sur le fil d’une chute mortelle qui égratignerait bien plus que son jean. Elle dérive du toit à l’escalier de secours, emprunte une bouteille et déteste pour quelques secondes le sentiment brûlant qu’elle laisse au fond de sa gorge. Juste avant d’en reprendre quand sa galaxie rencontre une autre pour venir trinquer avec elle. Princesse a rendu son tablier, ne sert plus que des litres de poison. Elea elle vit la nuit, use des baskets dans les flaques d’eau et offre un sourire à un client trop saoul rien que pour le pourboire. Elea elle vit au rythme de la musique, quitte à finir sourde plus tôt de prévu. Se ment. Sent son cœur se démolir toujours plus quand d’anciens amants poussent la porte du bar, se souvient de ceux qu’elle aurait aimé oublier. Trois ans à vouloir combler ce putain de vide. Et seul un a compté un peu plus que les autres. Mais pas parce qu’elle a aimé.

Elle a retrouvé quelqu’un
Elle aimerait que tu reviennes

(L’INSOMNIE) C’est cette chose indéfinissable qui fonctionne comme un aimant sur elle, son visage qu’elle dissimule sous une casquette en observant les silhouettes sans noms se tordre sous l’éclat lunaire depuis sa fenêtre. Elea elle se laisse bercer par tout ça. Les os qui se brisent, les voix qui s’élèvent toujours plus et les passations sous le perron contre un peu de fric. Le lundi une question de drogue et les autres jours un problème de cul. Pourtant Elea elle devrait vomir tout ça. Pourtant elle regarde, s’installe quelques fois à la limite du voyeurisme. Elle ne trésaille plus quand un coup d’éclat résonne dans son dos, ne s’étonne plus de voir un voisin aux phalanges écorchées, ni même de voir un autre les yeux injectés de sang. Elle ne les envie pas, admire seulement la détermination des uns et la connerie des autres dans un sourire mutin.
Et elle aime ça, sans trop savoir pourquoi.