Tu ne pensais pas que le rapprochement se ferait aussi vite même si tu devais avouer l’avoir espéré. Lincoln, il ne t’était jamais réellement sorti de la tête, sans doute dans la quête de ton idéal, ton rêve inachevé de gamin trop amoureux, amoureux de la vie surtout. Vous aviez pourtant changé, ce n’était pas comme un film que vous repreniez là où vous vous étiez arrêté. Vous aviez vécu chacun de votre côté, vous aviez grandi, vous vous étiez peut-être un peu usés aussi. Mais pas assez pour écorner ton envie de le retrouver, de te laisser porter par l’allégresse du moment. En même temps, tu serais le roi des cons que de repousser les avances du plus jeune. Il n’y avait plus personne pour vous dire que c’est mal, personne pour vous regarder de travers ou alors, vous aviez décidé de ne plus rien en avoir à foutre. Qu’ils aillent se faire voir si ça ne leur plaisait pas, pas vrai ? L’alcool semblait pourtant déjà faire son œuvre chez le jeune homme, tu pouvais l’entendre au ton de sa voix, son élocution devenue plus traînante. « Juste comme ça, au beau milieu du salon ? » ris-tu mais heureusement, il ne tarda pas à te traîner à travers l’appartement à la recherche d’un coin plus tranquille.
« Quoi, pas assez romantique pour toi les chiottes ? » te moquais-tu alors qu’il te traînait de pièces en pièces avant d’arrêter son choix sur une chambre d’enfant vide. Ça ferait très bien l’affaire. Son histoire eut néanmoins le mérite de te faire rire. Un peu jaune d’ailleurs. Tu le poussais alors doucement en arrière pour le surplomber. « On t’a jamais dit que c’est pas très enthousiasmant d’entendre parler des bites des autres ? »

Tu n’étais qu’un grand rêveur Henry, tu pensais que tous les rêves étaient réalisables pour peu qu’on s’en donnait vraiment les moyens. Pourtant, Lincoln, tu l’avais retrouvé par hasard. Certes, tu avais su le localiser grossièrement grâce à son messages involontaire mais le retrouver au beau milieu de New-York ? C’était du délire. Et pourtant. Tu le retrouvais encore une fois ce soir, pour le premier jour de l’an. Existait-il meilleure manière de commencer l’année ? A tes yeux du moins, tout était parfait même si le plus jeune avait bu beaucoup trop vite, c’était pas grave, il se gérait, non ? Il aurait pu faire ce qu’il voulait que ça n’aurait pas changé ton regard sur lui.
L’histoire de la moustache était plutôt drôle à y penser même si pour le coup, tu préférais qu’il ne te raconte pas trop ses exploits. Tu n’étais pas particulièrement jaloux ou possessif mais…tu avais simplement du mal à te dire que durant ces dernières années, il avait vécu et toi aussi. Séparément. Lincoln ne semblait d’ailleurs pas saisir le message à peine caché de ta remarque et tu relevais un peu des yeux, amusé par sa réaction exagérée. « Oui ta bite dans sa bouche, j’avais compris, c’est l’principe de la pipe » souris-tu non sans éprouver une certaine gêne, sa bite…sa fameuse bite dont tu n’avais jamais vu la couleur d’ailleurs.
Voilà que ce dernier te retourna la politesse, te questionnant sur tes propres fails. Ah s’il savait…Et non, tu n’allais pas lui raconter le fail de ta vie. « Mais j’ai pas de merdes, j’suis tellement fancy qu’une fois arrivé à la fac, ils me voulaient tous ! » lançais-tu avec un rire franc, repoussant peluche vers lui. Si tu devais embrasser ce soir, plutôt que ce soit Lincoln et pas un foutu requin. « Et t’sais quoi ? » repris-tu d’un sourire, l’attirant vers toi d’une poigne sur son col, te redressant un peu pour te rapprocher de lui, sur le ton de la confidence crapuleuse. « Et devine quoi ? Ils m’ont eu. Même plusieurs à la fois »

Tu regardais Lincoln avec ce petit sourire un peu forcé au coin des lèvres alors que ton jeune ami partait dans un délire improbable que seul l’alcool pouvait motiver. Toi, tu n’avais pas assez bu pour être embarqué dans son petit jeu alors tu repoussais la peluche que tu n’avais vraiment pas envie d’embrasser. A la rigueur, Lincoln pourquoi pas mais pas le requin, non. « Rah mais laisse cette peluche en paix, imagine le gamin qui dort avec toutes les nuits ! » dis-tu, faussement sévère alors qu’une demande en mariage se déroulait sous tes yeux.
Puis comme il était sans doute trop ivre déjà pour se souvenir des conneries que tu pouvais dire, tu fanfaronnais en racontant tes exploits. Ta grande heure avait été de courte durée et avec du recul, tu regrettais mais qu’importe, le mal était fait. « Ouais, une vraie star j’te dis » confirmais-tu, pour rire. Ce n’était que de la gueule évidemment, tu espérais bien ne jamais finir sur youporn. Tes parents avaient beaucoup toléré mais ça, sans doute qu’ils ne s’en remetteraient pas.
Sa question soudain plus sérieuse eut de quoi te faire hausser les sourcils. Est-ce que vous seriez ensemble ? Tu l’avais espéré oui. Mais Lincoln était resté hermétiquement fermé à toute forme de rapprochement sitôt le pas de la porte franchie. Aujourd’hui, il osait s’assumr mais on l’y avait poussé, l’aurait-il fait ? « Non, t’aurais épousé Cindy à la fin du lycée et t’aurais un boulot de manager au rayon animalerie chez Wallmart ! » te moquais-tu même si fatalement, c’est le genre de vie qui attendait ceux qui restaient enfermés dans leur petite ville bien étriquée. « J’sais pas Lili, t’aurais assumé tu crois ? » tu y croyais moyen avec fatalisme,  tu rêvais le contraire mais la réalité n’était pas idyllique.

Tu exagérais évidemment, tu n’avais rien d’une star ! T’étais le mec sympa du coin certes mais ça s’arrêtait là. Tu n’étais pas de ceux qu’on reconnaissait dans les couloirs ou rues, de ceux qu’on invitait à chaque fêtes où à qui l’on pensait en premier quand il s’agissait de raconter une bonne histoire. Bref, tu étais là, en bon copain mais rarement beaucoup plus et ça te convenait bien. L’époque où tu te faisais emmerder était bien loin derrière toi mais d’une certaine manière, sans ça tu ne l’aurais pas rencontré.
A son aboiement, tu ne pus t’empêcher de rire avant de siffler d’un air admiratif face à ses ambitions. « Ah ouaaais carrément ! Ben vas-y, prouve-moi que tu sais vendre des trucs ! Si t’arrives à me faire acheter ta vieille peluche là, je retirerai ! » défiais-tu, loin de te douter que la peluche n’était pas le seul requin dans la pièce.
« Je te pensais pas jaloux tiens » souris-tu simplement, satisfait de l’entendre s’exprimer de la sorte, c’était bien qu’il tenait à toi, pas vrai ? Tu te satisfaisais de peu. Ça aurait été une belle-vie quand même, Lincoln dans l’immobilier et toi ? Bah peut-être libraire ou un connerie du genre, osant parler de vous avec légèreté. Peut-être que tout aurait été plus facile, ça l’était toujours quand on rêvait en couleur. Puis comme pour te ramener à la réalité, Lincoln te proposa de retourner à la fête et tu ne trouvais rien à objecter. Ce n’était sans doute pas plus mal. « Ouais, qu’on s’bouge un peu » peut-être qu’une part de toi était un peu déçue mais tu n’en dis rien, préférant le suivre dans les festivités, attrapant une poignée de chips au passage, les fourrant en bouche. « Tveux qu’chose ? »