Topic commun : C'est quoi ce bordel ?

LE CHANTIER
Y'a les autres qui marchent dans la rue sans savoir que c'est mon quartier.

Il s’est érigé pendant la nuit, barres de métal défigurants le terrain vague, lacérant le sol pour faire grimper le béton jusqu’aux premiers nuages, panneaux d’interdiction et échafaudages branlants pour venir sceller d’une chape de ciment l’ancien terrain de jeux des enfants et des petites frappes de la résidence des Lilas. Comme un miroir au verre minutieusement poli pour renvoyer une image insupportable aux parkés, les quelques affiches et offres de logements qui pullulent dans les alentours ne peuvent que donner envie à ceux, mal-logés, d’avoir leur place dans les pièces spacieuses dont les squelettes en construction sont visibles pour ceux ayant des fenêtres en vis à vis sur la rue. Le chantier, c’est le seul nom que l’on puisse donner au défilé d’ouvriers fluorescents et de bruits qui durera encore des semaines entières avant de prendre sa forme finale, mais déjà les futurs locataires, étrangers au quartier, se presse pour venir admirer leur futur nid d’amour, spectacle déroutant prenant place sous l’œil de ceux qui ne sont habitués qu’au seul spectacle de la rue et de la misère.

EXPLICATIONS DE L'INTRIGUE

Qu’elle soit bonne ou mauvaise, celle du chantier ne peut être vue autrement que comme une grande nouvelle, signe de changement dans la rue, malaise face à l’arrivée future d’une population mieux lotie ou, au contraire, réjouissance de voir la canaille être chassée à coup de revalorisation, l’immeuble en train d’être construit ne laisse personne indifférent, que ce soit par le futur qu’il laisse voir ou le bruit qu’il inflige au quotidien à tous ceux qui habitent par là. Vous êtes invités dans ce TC à venir réagir à ce chantier, discuter, draguer du professionnel en BTP ou même allez voler quelques sacs de ciment, qui sait, ça peut toujours servir.

Qu’est-ce que c’était moche. C’était la seule chose à laquelle elle arrivait à penser, tirant sans y penser sur sa cigarette alors qu’elle n’avait toujours pas quitté les premières marches du perron, elle qui pourtant était déjà partie en retard de son appartement. Tant pis pour les corps à l’abandon qui l’attendaient, ils était morts depuis assez longtemps pour l’attendre une demie-heure de plus quand elle se sentait obligée de continuer à regarder les enchevêtrements de métal qui prenaient forme sous les gants sales des ouvriers en bâtiment. Ça avait déjà une sale gueule, avant même que l’esquisse n’ait finit d’être ébauchée sur le terrain vague, elle savait que ce serait aussi dégueulasse que les appartements mal rénovés de la cinquième avenue – elle le savait parce qu’elle ne pouvait se faire à l’idée que la fenêtre qui allait apparaître en face de la sienne serait mieux isolée, qu’à l’intérieur la peinture y serait impeccable et sans doute les charges moins onéreuses, et elle avait beau baigner dans une petite mer de billets verts quand elle se prenait la peine d’ouvrir les portes de sa morgue aux malfrats, sa paye de légiste de misère ne serait jamais assez pour convaincre les quelques promoteurs de la laisser habiter en face. Elle trouvait ça ridicule, comme une farce élevée dans le quartier provoquant des rictus aux habitants à défauts de les faire rire et, plutôt que de partir sans y penser, elle attendait qu’un péquenot du parking ait la mauvaise idée de sortir pour lui mettre le grappin dessus. « Ça va être sympa pour la grasse mat’ ces trucs là, trouvez pas ? » se donna-t-elle la peine de maugréer, la cigarette toujours entre ses lèvres, à la pauvre âme qui s’était échouée à côté d’elle sur le perron.

Trop de bruit. D’ordinaire le Parking est déjà pas mal bruyant, mais j’ai fini par m’y habituer sans plus avoir besoin de bouchons. Là c’est juste pas possible ! ça marteau-pique à tout va, les moteurs des pelleteuses, des génératrices, les coups de marteaux et bling et blang et BORDEL !!! C’est impossible de dormir dans ces conditions ! Va falloir que je me rachète une paire de bouchons, mais en attendant, à force d’avoir insisté pour dormir malgré le bruit, j’suis plus énervé qu’autre chose.

Ouais même très énervé ! Alors j’finis par abandonner mon lit et Check y voit déjà le signal de la sortie. Minute le chien ! Laisse-moi au moins avaler un café. Aboiement de protestation. Putain merde ! Il va falloir que j’affronte cette froide journée et ce bruit qui use mes nerfs. Levé du mauvais pieds on va dire ? Ouais c’est certain et la faute à ce chantier.

Alors j’finis par m’habiller, jean, un pull par-dessus mon tee-shirt, chaussette et godasses, la veste en cuir, et sans oublier le paquet de clope. Puis je sors dans les couloirs, et gagne l’extérieur par la cage d’escalier, sans passer par la case ascenseur. Check dévale les marches et à peine ais-je ouvert la porte qu’il se précipite pour pisser contre un arbre, tiens ceux qu’ils viennent de planter juste en face. C’est bien Check ! Je le félicite pour la peine. Me font chier avec leur chantier. Puis une nana assis sur les escaliers s’adresse à moi, enfin j’suis pas sûr et dans l’doute j’réponds en maugréant. Mouais, sympa, et pour ceux qui bossent la nuit aussi ! Je m’allume enfin ma clope, veillant à ce que le chien ne s’éloigne pas trop et surtout ne pénètre pas dans le chantier.