L’histoire ci-dessous est présentée sous forme de petites anecdotes plus ou moins importantes - mais racontées dans l’ordre chronologique pour ne pas plus vous perturber - afin de tenter de cerner le personnage de Kalaya Davis et comprendre ce qui l’a poussée à devenir ce qu’elle est actuellement. Si vous avez la flemme de tout lire - et même si vous en avez eu le courage d’ailleurs - une petite chronologie de la vie de Kalaya est disponible à la fin de l’histoire pour rappeler les temps forts de son existence. L’auteur vous souhaite une bonne lecture.En 1945, alors que la Corée était séparée en deux par les Américains et les Soviétiques, la famille Bak - celle qui nous concerne, pas une autre famille Bak comme il pouvait y en avoir des milliers en Corée - et la famille Kim étaient établies à Kaesong, pas très loin de la frontière qui avait été instaurée, côté Nord. Ils ne le savaient pas encore, mais ils étaient passés à quelques kilomètres de la démocratie. À l’époque, ils ne savaient pas encore ce qui allait les attendre. Comme les dates de la guerre de Corée, Kim Ae-sook était née en 1953, soit deux années après sa soeur aînée, Kim Ae-cha. Du côté des Bak, Bak Bon-hwa était né en 1950. Ae-sook et Bon-hwa s’étaient rencontrés par l’intermédiaire de la soeur de la première et ils ne s’étaient jamais quittés par la suite. Ils s’étaient mariés et avaient engendré une petite fille : Bo-bae, le seul enfant qu’ils auraient.
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"Emmène-la, je t'en supplie, prends-la avec toi. Elle sera mieux, elle aura une vie meilleure. Pitié..."Dans sa voix, il y avait des sanglots. Bo-bae était cachée derrière la porte du salon où s'étaient réfugiés son père, sa mère et sa tante. Celle qui suppliait, c'était sa mère. Celle à qui elle parlait, c'était sa soeur de cette dernière. Ae-cha avait rencontré un homme qui avait réussi à lui faire passer la frontière pour la Corée du Sud. Sa petite soeur n’avait pas hésité et lui avait demandé de prendre avec elle la petite Bo-bae, qui méritait beaucoup mieux que la dictature, surtout depuis que Bon-hwa s’était investi dans un journal engagé contre le régime. C’était beaucoup trop dangereux pour une petite fille de 4 ans. Ae-sook alterna son regard entre sa fille et son beau-frère, rempli de tristesse et de compassion. Elle finit par accepter, car il était indécent de refuser. Elle connaissait quelqu’un, à la mairie, qui pourrait les aider dans leur démarche illégale. L’accord fut signé, les papiers falsifiés avec une qualité remarquable. Chung Bo-bae était devenue Kim Bo-bae, fille de Chung Ae-cha et Chung Chin-hae, l’homme qui les avait faites passer la frontière, et qui les quitta une fois arrivés à Paju, la première grande ville de Corée de Sud.
Elles apprirent à vivre ensemble en plus d’apprendre à vivre différemment de Kaesong. À la maison comme dans la vie de tous les jours, ensemble, elles s’efforçaient de parler en coréen de Gyeonggi - Séoul, le coréen officiel de la Corée du Sud, bien qu’il fut difficile pour la tante comme pour la petite de laisser de côté leur coréen de Hwanghae qui les trahissait à chaque fois. Par chance, Bo-bae était en plein apprentissage et, grâce à l’école, ne tarda pas à supprimer toute trace de “nord-coréenité” de sa voix. Ensemble, elles étaient heureuses, même s’il arrivait à la petite fille de réclamer ses parents. Elle ne sait pas ce qu’ils sont devenus. Sont-ils morts ? Se sont-ils enfuis ? Sont-ils sains et saufs ? Personne ne savait, personne n’était au courant, ou du moins, c’était ce qu’on voulait leur faire croire.
De cette période, Bo-bae ne se rappelait rien, en réalité. Elle était beaucoup trop jeune, et son petit esprit juvénile avait préféré faire abstraction de ces événements qui n'étaient pas plaisants. Cette période, c'est ce qu'elle avait lu dans le journal intime de sa tante, dix ans plus tard, dans le grenier de la maison familiale après un grand nettoyage de printemps qu'elle soupçonnait être délibéré pour qu'elle en apprenne plus sur sa vie d'avant. Sur Bak Bo-bae, la précieuse.----------------------------------------
"Je vous présente votre fille, nous pourrez lui donner le prénom que vous souhaitez.""Nous allons l'appeler Kalaya."C'était ainsi qu'elle avait reçu son nouveau nom, dans l'orphelinat de Paju. Sa tante, qui s'était fait passée pour sa mère, était décédée depuis quelques mois déjà. On avait expliqué à la gamine qu'un méchant monsieur appelé Cancer lui avait fait beaucoup de mal et que sa "mère" s'était battue jusqu'au bout, mais qu'elle était épuisée et qu'il fallait qu'elle dorme, pour très longtemps. La petite fille avait longtemps pleuré, enfermée dans un mutisme duquel elle n'était pas encore sortie au moment de l'adoption, pas même lors des premières visites de ses futurs nouveaux parents. Encore dans ce bureau, elle ne disait rien, quand bien même la Coréenne lui adressait la parole. La fillette était dans son monde et ne voulait pas en sortir. Alors que l’homme s’occupait de lire les documents qu’on lui présentait pour les signer, la femme, avec les yeux grands ouverts et la chevelure de feu, se penchait encore vers elle pour lui parler dans une langue que Bo-bae ne comprenait même pas. Pourtant, elle pouvait lire dans les yeux couleur de la mer de l’inconnue qu’elle n’était pas une ennemie et qu’elle voulait être son amie.
Jill et Robert étaient mariés depuis une dizaine d’années, autant à essayer de faire un enfant, sans résultat. La sentence était tombée quelques mois plus tôt : Jill ne pouvait donner la vie. Ils avaient donc décidé de donner une chance aux enfants qui n’en avaient pas eu et c’était par le biais d’un ami de la famille qu’ils avaient eu la chance de partir pour la Corée du Sud, à Paju, pour y rencontrer quelques enfants. Dans la cour, il y avait une dizaine d’enfants, des joyeux, des bagarreurs, des colériques, des normaux. Une grande partie s’était précipitée vers les deux adultes pour les rencontrer, les découvrir. Pourtant, le regard de Jill s’était porté sur une petite fille, un peu plus loin, en train de jouer avec un cheval de bois. Elle n’avait même pas levé la tête en entendant les Occidentaux rentrer. L’Américaine s’était alors avancée vers elle et ce fut le coup de coeur. C’était ainsi que Bo-bae avait été choisie pour l’adoption, sans avoir eu à se vendre.
La responsable administrative de l'orphelinat leva son regard sur les deux Occidentaux en haussant un sourcil. Ils venaient vraiment de donner un prénom thai à une petite coréenne ? Comprenaient-ils vraiment ce qu'ils faisaient ? Elle ne répliqua cependant pas. C'était leur choix après tout. Et puis, elle devait avouer que Kalaya restait un très joli prénom.
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"Kalaya, je te présente ton petit frère, Jin. Jin, voici ta grande soeur, Kalaya. Je suis certaine que vous allez très bien vous entendre."La jeune fille pencha la tête sur le côté, longtemps indifférente avant d'étirer un petit sourire. Il était mignon, ce petit frère. Il lui ressemblait un peu. Il avait les yeux tout étirés, comme elle. Il avait les mêmes cheveux noirs et raides, les mêmes yeux marron foncé, à la limite du noir. Il avait la peau un peu plus foncé, par contre. Maman lui annonça qu'il venait du Laos, un pays plus au sud du sien. Elle leur montra sur une carte leurs deux pays respectifs et là où ils habitaient à présent. C’était tout petit comparé aux immenses États-Unis, même plus petit que la Caroline du Nord ! Kalaya observa longuement son nouveau petit frère. Elle était sûre qu’ils allaient bien s’entendre, tous les deux.
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“Tu dois vraiment partir si loin, y’a rien à Charlotte ?”“Non, sinon tu penses bien que j’y serai allée. Mais t’inquiète, petit frère, je reviendrai pour les vacances. Et tu pourras venir me voir.”Kalaya offrit son plus grand sourire à son petit frère pour mieux cacher ses larmes. Elle le prit alors dans ses bras. Ces dernières années, ils s’étaient rapprochés, surtout depuis que la jeune fille avait commencé à sortir avec des garçons et que ces derniers avaient la fâcheuse tendance à lui briser le coeur.
Elle avait fait le choix d’étudier le vin en observant son père qui, en grand passionné, ne manquait jamais une occasion pour ouvrir une bonne bouteille. Elle en avait découvert l’odeur d’abord, quand il approchait son verre de ses narines. Et puis, il avait accepté qu’elle y trempe les lèvres, de temps en temps. Au fur et à mesure de ses expériences, elle avait noté dans un petit carnet ce qu’elle pensait, ce qu’elle ressentait. C’était ainsi que tout avait commencé. Elle avait prospecté à l’approche de la fin du lycée et avait trouvé une université canadienne qui pourrait l’accueillir. Le seul souci, c’était qu’elle devait se rendre dans l’État de New York. Elle était déterminée à réaliser son rêve et ce n’était pas Robert qui allait l’en empêcher. Bien au contraire, il l’encouragea dans cette voix, alors que Jill émettait plus de réserve. Qu’à cela ne tienne, Kalaya lui prouverait de quoi elle était capable.
Elle ne le savait pas encore, mais ces quatre années de licence furent ses meilleures années. Elles lui permirent de s’ouvrir un peu plus au monde, explorant de multiples possibilités, découvrant les choses que beaucoup de jeunes découvraient à cet âge-là. Elle avait intégré une sororité, elle avait laissé tomber la Kalaya timide et introvertie pour laisser place à une Kalaya plus ouverte, plus sauvage. Elle n’a jamais regretté chacun de ses choix, puisqu’ils avaient fait d’elle ce qu’elle était aujourd’hui.------------------------------------------
Ses mains tremblaient dans son dos qu'elle tentait de tenir le plus droit possible. Derrière elle, elle sentait le regard de son instructeur qui lui glaçait la colonne vertébrale. Dans le restaurant étoilé, la table tout entière la regardait, attendant son jugement. L'asiatique prit une profonde inspiration, tentant de calmer les battements de son coeur et de reprendre ses esprits. Elle finit par ouvrir la bouche.
Pour un curry, je vous conseillerai un vin blanc assez aromatique pour vous permettre de savourer l'épice ainsi que votre agneau. Nous avons justement un splendide Gewurztraminer, cuvée Laurence 2002 de Colette Faller à vous proposer. Le mari était sous le choc. Il ne savait pas vraiment quoi répondre, impressionné par ce que venait de lui proposer ce petit bout de femme à la bouille juvénile. Dans son dos, Kayala entendit le stylo de l'instructeur s'activer. Le couple choisi le Gewurz, impatient de goûter à l'appétissant repas que semblait leur avoir promis la jeune sommelière en fin de formation. Il va sans dire qu'elle eut son diplôme haut la main.
Elle réussit par la même occasion à décrocher son premier emploi dans la Grosse Pomme. Les premiers temps furent laborieux. New York, la ville de l’excès et du strass. Il fallait du cran pour se mesurer à ces gens. Mais la Coréenne relèverait le défi.
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”Ca va, Kalaya ? T’as une mine affreuse…””Je sais pas ce que j’ai aujourd’hui, mais j’ai super mal au ventre, c’est affreux.””Un truc qui est mal passé hier soir ?””Rien qui ne change de l’ordinaire, pourtant… Je vais pren-aïe…””Kalaya ? Ca va ? Appelez une ambulance, vite !!”Autour d’elle déjà, le monde s’affairait, inquiet par ce qui arrivait à la jeune femme. Ses jambes venaient de se faire la malle et elle avait fini sa course sur le plancher du restaurant, les bras serrés sur son ventre qui se tordait, sous l’oeil intrigué des rares clients qui commençaient à prendre place. Par chance, il y avait un médecin parmi eux. Il arriva rapidement auprès de la jeune femme et remonta sa chemise sans lui demander sa permission pour l’examiner. Il s’arrêta un instant. Du regard, Kalaya l'interrogea, sans obtenir de réponse immédiate. L'homme plongea son regard dans le sien et affirma qu'elle avait perdu les eaux. Pas le temps de demander des explications qu'une nouvelle vague de douleur la prit aux tripes. Une douleur comme elle n'avait jamais connu auparavant, à la limite du surmontable. Les secours arrivèrent à leur tour pour la prendre en charge. Quelques heures plus tard, une nouvelle vie naissait, une vie en plus qui n'était pas prévue au programme. Pas pour le moment en tout cas.
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“Dubaï ? Mais c’est trop cool, félicitations !”“Merci.”“Tu pars quand ? Il faut qu’on fête ça !”“... Demain ?”“... T’es pas sérieuse ? Ça fait des mois qu’on t’a pas vue !”“Je sais, mais c’est une opportunité en or ! Promis, je serai là pour…”“Pas la peine de gâcher ta salive à faire des promesses que tu ne tiendras pas. Félicitations encore et à un de ces quatre alors… peut-être.”“Jin, attends, je…”C’était peine perdue, son frère venait de raccrocher. La jeune sommelière soupira longuement. Il était vrai que c’était soudain, les choses s’étaient passées très vite pour elle aussi. La veille au soir, elle faisait son service dans son restaurant à New York, passant de table en table pour s’assurer que les convives étaient satisfaits, pour prodiguer quelques conseils, pour aider dans les choix. Et puis, il y avait cette table. Trois personnes, des hommes. L’un était en costume, les autres en sorte de robes blanches avec un foulard sur la tête, cerclé de noir pour le faire tenir. Des Émiratis, elle aurait pu le parier. Elle sentait leur regard dans son dos tandis qu’elle avançait gracieusement. Elle captait un regard lorsqu’elle osait tourner la tête vers eux. Et puis, finalement, l’homme en costume lui avait fait signe de venir. Il s’était présenté, puis ses acolytes, des futurs propriétaires d’un restaurant à Dubaï qui étaient en quête de partenaires. Ils pensaient avoir trouvé en elle la personne qui leur fallait pour s’occuper du vin. Kalaya demanda à réfléchir mais c’était finalement le jour suivant qu’elle avait donné sa démission à New York pour préparer son voyage dans les Émirats Arabes Unis.
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“Que tout le monde cesse ce qu’il est en train de faire, j’ai quelqu’un à vous présenter.”Kalaya fixait avec insistance le maître d’hôtel qui s’adressait au reste de l’équipe présente. Il parlait français - normal dans un restaurant à Paris -, rapidement et avec un accent incompréhensible, différent de l’accent chante de l’occitan. L’homme d’un certain âge présenta la jeune femme à la brigade. Kalaya les observa un à un, le regard fier. Dans leurs yeux, elle savait déjà ce qu’ils se disaient.
“C’est une blague ?” “Tu crois qu’elle a couché avec le patron pour être embauchée ?” “Si ça se trouve, elle a jamais bu un vrai vin de sa vie”. Elle le savait, ce ne serait pas facile de se faire accepter, mais elle y arriverait. Après tout, elle avait bien réussi à New York et à Dubaï. Encore une fois, c’était un patron d’hôtel qui avait fait le déplacement à Dubaï après qu’une de ses connaissances lui avait vanté les mérites d’une petite asiatique à la bouille d’ange qui parvenait à associer les vins comme personne. Le Parisien avait donc tenu à voir cette merveille et il avait finalement cédé à la tentation de lui proposer un emploi. Son sommelier actuel partait à la retraite et il avait besoin de quelqu’un pour le remplacer. Et ce quelqu’un, il voulait que ce soit elle. Encore une fois, Kalaya se donna le temps de la réflexion. Elle lui avait expliqué qu’elle avait encore des difficultés en français, mais il l’interrompit en lui disant qu’elle l’apprendrait en temps voulu et que ce n’était pas un problème. Elle avait finalement accepté pour s’envoler vers Paris, accompagnée de son nouveau patron.
Et puis, au milieu de toutes ces questions qu’elle pouvait entendre, même si elles ne lui étaient pas directement posées, son regard croisa celui d’un homme qui ne semblait pas se poser de questions stupide sur le pourquoi de l’existence de la parité dans ce monde. Il était un peu plus en retrait dans la cuisine, dans la section des desserts. Une voix s’éleva pour lui beugler les choix des clients et il s’exécuta, quittant à contrecoeur son poste d’observation. La jeune sommelière fronça les sourcils avant de se remettre au travail. Et puis, un soir où ils avaient prévu un nouveau dessert, Kalaya se présenta à Pierre pour discuter avec lui des saveurs qu’il allait mettre dans sa création. Au fil des discussions, ils se rapprochèrent, toujours un peu plus chaque jour, en même temps que grandissaient les sentiments.
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“Kaya, j’ai quelque chose à te dire…”“Oui ?”“Écoute, ça fait 2 ans qu’on se connaît, 2 ans que tu partages ma vie. 2 années de bonheur, de joie. Tu es la cerise sur le gâteau de ma vie, le coup de chalumeau sur ma meringue, et je vais arrêter là les comparaisons avec la pâtisserie parce que c’est vraiment lourd en réalité. Bref, je tenais à te demander quelque chose. Voudrais-tu passer les 2 prochaines années à mes côtés, et les 2 suivantes, et celles encore d’après, et encore, et encore ? Kalaya, veux-tu m’épouser ?”L’Asiatique resta sans voix, fixant longuement son petit ami qui venait de se mettre à genou devant elle, présentant un écrin de velours refermant une magnifique bague en or blanc sertie de diamants. Elle étira alors un immense sourire avant de hocher la tête, ses cordes vocales refusant catégoriquement de fonctionner. Le pâtissier la prit alors dans ses bras pour la soulever de terre et la faire tourner avec lui. Il finit par lui passer la bague au doigt et ils s’embrassèrent sous les acclamations des serveurs du restaurant, face à la baie vitrine qui offrait une vue imprenable sur la capitale française. Kalaya avait du mal à y croire. Elle allait se marier. Marier.
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Son regard se perdit sur le panneau d’affichage. Trop de textes, trop d’indications et aucun moyen de deviner l’ombre d’un choix. L’adrénaline n’était pas encore retombée, mais elle se sentait déjà submergée par l’émotion et la peur. Qu’est-ce qui lui avait pris ? Pourquoi avait-elle attrapé le sac qu’elle avait préparé pour sa nuit de noce, claqué la porte de l’appartement conjugal en y laissant téléphone et ordinateur. Elle avait glissé le liquide qui lui restait dans la poche de son jeans et ses cartes de crédit dans son sac avant de quitter l’immeuble et de haler le premier taxi qui passait. Elle avait néanmoins pris la peine de laisser un petit mot à l’intention de Pierre : “Désolée, j’ai besoin de réfléchir”. Dans le flou le plus total, elle entendit sa voix demander à être déposée à l’aéroport Charles de Gaulle. Elle paya généreusement le chauffeur et s’engouffra dans le terminal. Elle s’était assise sur un des rares sièges libres et n’en avait pas bougé depuis.
Finalement, son choix se porta sur un endroit qu’elle ne connaissait que trop bien : Dubaï. Elle connaissait quelqu’un qui pourrait l’héberger sans poser de question. Elle demanda un billet pour le premier vol disponible et embarqua rapidement. Elle passa quelques jours dans la ville en plein milieu du désert. Et puis, elle décida d’appeler la seule personne qui pourrait lui répondre malgré l’heure, malgré les années sans se parler : Gary, son meilleur ami d’enfance. Ensemble, ils discutèrent sans vraiment discuter. La jeune femme lui fit un rapide topo, sans s’étendre plus. Elle ne voulait pas en parler. Pas maintenant et sûrement pas au téléphone. Finalement, Gary l’invita à venir chez lui, le temps que les choses se tassent. Avec son CV, elle arriverait à trouver un travail rapidement. Kalaya hésita quelques centièmes de secondes, peut-être qu’elle pourrait retourner dans le restaurant dans lequel elle avait officié à l’époque... Elle finit par accepter et repartit le lendemain pour New York.
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“Les parents sont toujours en colère contre moi ?”“Sur une échelle de 1 à 10, ils sont au moins à 25.”“Je vois...”“Tu ne peux pas leur en vouloir.””Je sais… Comment va Ty ?”“Il te réclame souvent. Il ne comprend pas trop ce qu’il se passe.”“Dis-lui que je l’aime et que je viendrai bientôt le chercher.”“Je ne sais pas si...”“Si quoi ? Si les parents me laisseront le reprendre ? Ils n’ont pas le choix, Jin, c’est MON fils.”“Ce n’est pas aussi simple...””Comment ça “pas aussi simple” ?”“Tu ne l’as pas élevé. Tu l’as simplement refilé aux parents pour qu’ils le fassent… Ils peuvent tenter de devenir ses tuteurs légaux…”“Ça n’arrivera pas, je viendrai le chercher bientôt. Bonne journée, Jin.”Kalaya n’attendit pas que son frère réponde et coupa la communication, visiblement énervée. Il lui fallut de longues minutes pour se calmer. Cela faisait deux semaines qu’elle s’était enfuie. Elle n’avait pas complètement disparu et avait rapidement averti Jin qu’elle allait bien et qu’il n’y avait pas de souci à se faire. Elle avait juste besoin d’un peu de temps pour réfléchir. Elle ne donna pas plus d’informations sur le lieu où elle se trouvait. Elle rassura le jeune homme en lui indiquant qu’elle avait trouvé un travail et qu’elle n’était pas à la rue. Il n’avait pas posé de questions.
Gary passa la tête à travers l’encadrement de la porte de sa chambre. Il avait évidemment entendu toute la conversation dans le petit appartement dans lequel ils vivaient, mais il avait eu le respect de ne pas vraiment écouter. Il savait juste que son amie n’était pas bien. Vraiment pas bien. Kalaya soupira longuement tandis que l’ingénieur son déposa une tasse remplie d’un chocolat chaud sur la petite table basse du salon. La jeune femme étira un petit soupir, murmurant un faible « Merci ».
« Gary, j’ai une annonce, j’ai trouvé un appartement, un peu plus proche du restaurant. Tu n’auras plus à me supporter ! »Elle avait suffisamment abusé de son hospitalité pendant sa première semaine. Elle n’était pas parvenue à retrouver son poste dans son ancien restaurant. Le directeur avait un peu mal pris le fait qu’elle parte avec si peu de délai pour aller chercher bonheur aux Émirats Arabes Unis. Mais elle avait trouvé un boulot de barmaid, ça ferait l’affaire pour le moment. Le temps de se remettre sur pieds.
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LE COIN DES FEIGNASSESChronologie :15 avril 1985 - naissance (mère: Ae-Sook (1953), père: Bon-hwa(1950)).
1989 (4 ans) - part avec sa tante (Ae-Cha) en Corée du Sud, s'installe à Paju.
1992 (7 ans) - décès d’Ae-Cha, adoption par la famille Davis (Jill et Robert) de Charlotte, Caroline du Nord.
1995 (10 ans) - arrivée de Jin (9 ans) chez les Davis
2001 (16 ans) - découvre la vérité sur son passé
2004 (19 ans) - commence ces études à la Cornell University, dans l’État de New York, elle fera un semestre d’échange à Toulouse, en France, où elle apprendra et perfectionnera son français.
2008 (23 ans) - obtient son Bachelor en "Oenologie et viticulture" et enchaîne avec un poste dans un restaurant gastronomique à Manhattan
2009 (24 ans) - naissance de Ty (déni de grossesse)
2010 (25 ans) - trouve un travail à Dubaï
2012 (27 ans) - arrive à Paris et rencontre Pierre (35 ans) dans le restaurant où ils travaillent et commence une relation avec lui
2014 (29 ans) - Pierre lui fait sa demande en mariage dans le restaurant « Le Jules-Verne » lors de leur anniversaire
2016 (31 ans) - s'enfuit la veille de son mariage pour finalement revenir à New York.
Les points importants :• parle couramment anglais et français (léger accent anglophone)
• comprend le coréen de Séoul parlé et écrit, l’expression est un exercice un peu plus compliqué étant donné qu'elle en a oublié une grande partie
• a un petit garçon, Ty, 6 ans, qui a été élevé par Jill et Robert
• est une grande fan de Sleeping with Sirens, un groupe de metalcore. Elle est d’ailleurs sortie avec le bassiste pendant un temps
• s’est prise de passion pour le vin blanc
• a fait partie d’une sororité à l’université Cornell : αΚΔΦ (Alpha Kappa Delta Phi)
• est devenue exigeante en matière de pâtisserie
• possède un porte-clé avec un panda en peluche offert par sa « petite sœur » à la sororité et une grenouille dont les yeux gélatineux sortent de sa tête lorsqu’on appuie dessus offerte par son frère Jin.
• a fait du tangsudo pendant 8 ans et continue de faire du taekkyon (tous deux arts martiaux coréens) pour se détendre
• porte toujours sa bague de fiançailles (photo), trop perdue pour se décider à la retirer