Elle va pas se marier à un connard comme toi. C'est pas possible, c'est plus possible. Elle te l'a dis, elle te l'a fait comprendre. Elle savait déjà que t'étais pas net, qu'il y avait quelque chose qui clochait chez toi. Mais elle avait pas peur, elle voulait te dompter, connaître tes moindres secrets et tes moindres désirs. Si seulement elle avait compris plus tôt qu'il n'y avait rien d'autre en toi que l'appât du gain. Qu'elle n'étais qu'une conquête de plus, un nom sur un tableau. Enfin, un peu plus que ça selon tes parents. La future mère de tes enfants. Elle leur plaisait, faisait de beaux sourires, était photogénique. Et certes, pas aussi riche que ta famille, mais suffisamment pour faire un bon parti. Alors tu l'a demandée en mariage, quelques mois après être tombé amoureux d'elle. T'avais effacé l'ardoise, tu lui avais fait de la place dans ton cœur. Pourtant lorsqu'elle a su que les voyages que tu lui offrait n'étaient pas financés uniquement avec ton salaire, elle a tiqué. Ça lui plaisait pas, la petite fifille à sa maman. Mais elle a rien dit parce qu'elle se voilait la face. Elle se disait qu'elle parviendrais à te changer, à te faire oublier ton avarice. Force est de constater que ça n'est pas le cas, et qu'en plus tu t'es fait chopper. C'est à ce moment là qu'elle n'a plus voulu de toi, définitivement. Tu te croyais invincible, promis à un bel avenir et a une retraite dorée. Mais non. T'as été pris la main dans le sac, comme un bleu. T'as maudit tes collègues jusqu'à leur descendance, parce que dans ceux qui t'ont coffré, y'avait des ripoux pire que toi. Mais ta fermé ta gueule, parce que si tu l'ouvrais, c'était dans l'heure que tu mourais. Alors tu as laissé tomber. T'as plaidé coupable, pour adoucir au maximum ta peine. Du moins, tu l'espérais, mais t'as pris sept ans. Ça plaisante pas avec les ripoux. Sept années où tu va morfler.
T'es transféré à la prison rapidement, ton procès conclus en moins de temps qu'il n'en faut pour tout te prendre. Ou presque, t'as quand même pu cacher certaines choses. Pas tout, mais une partie suffisante pour quand tu sortira. Si seulement tu sors vivant. Mais tu va crever, tu le sens. Les détenus te reconnaissent, et t'en vois certains que t'as coffré avant. Autant dire que tu sortira pas de l'enfer. Aucun gardien ne lèvera le petit doigt pour te sauver les miches, et tu pourrira là. C'est ce qu'ils voulaient de toute façon, que tu meurs là, qu'ils n'entendent plus jamais parler de toi. Après tout, t'as même pas voulu balancer les autres, alors tu leur servait à rien. Tu savais que tu jouais avec le feu, que c'était pas le plus facile. T'as persévéré et tu regrette. Oh oui, tu regrette. Surtout lorsque s'abattent sur toi les coups. L'un après l'autre. Tu ne sais même pas lever la tête, tandis que tu subit. Pourtant, t'es pas le mec le plus frêle du coin, non. Mais contre tous, tu ne peux rien. Alors tu serre les dents, mais ils les entendent, tes pleurs dans ta cellule. Ça sert à rien de te cacher. Mais t'espère en silence que la dernière marque sur ton corps cicatrisera avant la suivante. Tous les soirs tu y crois, mais dès le réveil tu sais que tu as perdu. T'es en enfer, y'a pas d'autres mots. T'as jamais souffert autant et souvent tu t'en viens à te demander s'il ne vaudrait pas mieux que tu prenne un mauvais coup et que tu crève, plutôt que de vivre une journée de plus. Mais non. Ces salauds s'amusent bien trop avec toi pour te laisser clamser. Tu mange plus, tu bois plus, tu te laisse dépérir. Bientôt, ce sera avec ton squelette qu'ils s'amuseront. T'es prêt à partir, t'es prêt à arrêter de respirer pour enfin fermer les yeux et être en paix.
Mais tu t'en sortira pas comme ça non, c'est bien trop facile. Quand t'ouvre les yeux, c'est un autre gars qui est sur toi. Il te jette sur son épaule, comme un sac de pommes de terre. Tu sais pas trop ce qu'il s'est passé, seulement que le sang sur le sol est encore une fois le tiens. T'as mal partout, ça change pas de d'habitude. Tu sais pas pourquoi, mais ce gars te protège. Les autres s'écartent, vous laissent passer. Tu dirais bien merci, mais tu sais pas encore ce qu'il va se passer. C'est peut-être pour te tuer dans sa cellule qu'il t'a chopé. Alors non, tu la ferme et tu attends. Mais tu laisse échapper un soupir, le répit durera le temps du trajet, mais c'est déjà bien plus de temps que ce que tu as déjà pu avoir. Tu te verrais dans un miroir, tu ne te reconnaitrais pas. Même ta mère pourrait pas. Tu te sens sale, poisseux et aussi infect que si tu étais tombé dans une benne à ordure. T'aimerais prendre une douche, une vraie douche. Laver tout ce sang, toute cette honte en toi. Tu n'ose pas le lui demander, tu ne dis rien, assis dans sa cellule le visage tuméfié. Mais il n'a pas besoin de tes mots pour comprendre ce que tu veux. Y'aura jamais besoin de mots entre vous. Il te laisse tranquille, te laisse le temps de te remettre. Mais tu sais qu'il y a un deal, qu'il ne donnera pas sans prendre, sans avoir sa part du gâteau. Alors sans réfléchir tu donne, t'écarte les cuisses et tu le laisse faire. Tu serre les dents, t'as mal, mais c'est quand même pas grand chose comparé à ce que tu subissait avant. C'est comme si on te donnais une seconde chance. Tordue, mais une seconde chance quand même. T'essaye d'oublier ce qu'il se passe, t'essaye de t'imaginer ailleurs, tu ferme les yeux. Comme si ça pouvait t'aider à oublier. Mais tu les entends, les autres, qui crient après toi. Qui hurlent à ta mort. Qui veulent te voir souffrir, encore et encore. Qui veulent simplement ta tête sur leur tableau de chasse, mais il ne les laisse pas faire. Il sort, te laissant la peur au ventre, les larmes s'écrasant au sol. Tu ramasse les lambeaux de ta tenue, t'en aura pas de nouvelle avant le mois prochain, et t'essaye de cacher ton corps avec ça. Comme si ça pouvait effacer ce que tu venais de subir, ce que tu venais d'offrir. Tu savais que ça se passait ainsi en prison, tu le savais. Ils l'ont déjà fait, l'ont déjà simulé alors que tu étais sur le sol à retenir tes cris. Ton cœur se serre à l'idée que si ça lui a plu, à ce gars, ça va continuer. Parce que tu sais pas si il va te protéger vraiment, non. Tu sais pas s'il pourra le faire. Mais tu peux rien dire, tu peux pas lutter. Oh non, tu ne fais pas le poids contre un gars dont le passe temps principal c'est de ricaner quand les autres s'écartent. De frapper plus fort que les autres. Non, tu peux pas. Et c'est ce gars qui t'as sauvé la vie. Tu sais même pas si les pleurs que tu lâchent sont de tristesse, de honte ou bien de soulagement à l'idée de te savoir en vie pour quelques temps encore.
T'es faible, tu le sera toujours. C'est ce que tu te dis après une énième visite dans son lit. Tu es là, tu en redemande. Ce n'est même plus sa protection que tu viens chercher, c'est sa présence. Son odeur, son corps, tout t'appartiens. Tu le sais, tu le veux. Il est à toi, autant que tu lui appartiens. Tu es son ombre, tu le suis partout. Les autres te traitent de lâche, de fillette, de pauvre tapette. Ils ont raison, tu les laisse dire. Ils n'osent plus te toucher, ne font que t'insulter. Tu as retrouvé à temps une vis dans ta soupe, l'autre jour, mais ce n'est rien. Ce n'est plus rien comparé à ce que tu as subit. C'est presque une promenade de santé. Seulement, quand il est temps de retourner dans ta cellule, la panique te submerge. Tu es loin de lui, tu es seul, tu es perdu. Tu ne t'endors qu'à cause de la fatigue qui t'accable. Tu fais des cauchemars où tu revois les autres se pencher sur ton corps glacial. Tu veux vivre, oublier tes sévices. Oublier les visages de tes bourreaux. La peur est là lorsqu'ils viennent te sortir du lit. Lorsque tes yeux s'ouvrent, c'est sur une nouvelle horreur que tu mets les yeux. Tu ne sais pas d'où ils la sortent, cette lame de rasoir, mais tu sais que c'est la dernière chose que tu verra. Dire que tu devais sortir, que ta peine était enfin terminée. Ton seul souhait, c'est qu'ils se dépêchent. Qu'ils ne trainent pas à te couper la jugulaire, qu'ils laissent ton cadavre en paix. Mais tu es pire que les chats et la mort ne veut pas de toi chez elle. Pas encore. Il te sauve la mise à nouveau, mais c'est lui qui prend. Celui qui tenais la lame est mort et l'horreur peint tes traits. C'est sur lui qu'ils vont se venger, sur ton sauveur. Un an de plus, un isolement à la clé. Tu le sais, mais le jour de ta sortie, tu ne peux t'empêcher de ne penser qu'à toi. L'air frais te revigore, et tu cours plus que tu ne marche le long du chemin qui te mène à la liberté. Tu ne regardera pas en arrière, parce que tu es libre. Personne n'est là pour te chercher, t'emmener vers une nouvelle vie. Tes parents sont morts, ta fiancée s'est déjà mariée, t'es tout seul. Mais ça te dérange pas. Tu va te débrouiller, tu va revivre et oublier le passé. Tu n'aura plus jamais peur de ne pas te réveiller le matin, plus jamais peur de subir les coups et les humiliations. Non, plus jamais.
Au lieu de ça, tu te sentira seul pour le reste de ta vie. Tu te lèvera le matin sans avoir dormi, une boule d'anxiété aux tripes. L'appartement te semblera vide, qu'importe s'il y a des invités, qu'importe si il y a une fille dans ton lit. Et quand exténué tu tombera sur tes draps, ce sont les cauchemars qui te réveilleront. Des putains de cauchemars où tu les vois tous, te surplombant de leur hauteur. Et toi couché à terre, sans pouvoir bouger. Lui, qui ne viens pas à ton secours. Qui n'est plus là, qui est sorti de ta vie. Les coups qui pleuvent sans s'arrêter, jusqu'à ce que tu te réveille, en panique, cherchant après lui. Mais il n'est plus là et il ne sera plus jamais là. T'es parti, t'a fuis, la queue entre les jambes. Il ne voudra plu de toi c'est certain. Tu n'es déjà plus qu'un vague souvenir chez lui, tu en es sûr. Et puis, tu lui rappellerais la prison, il peut quand même trouver bien mieux que toi. Toi, la loque qui cherche après un homme. Toi, la loque qui as tout perdu. Tu n'as même plus suffisamment de dignité pour ne pas le chercher. Tu te fais pitié. Mais quand tu saura où il vit, tu le suivra. Comme son ombre, comme son chien. Tu ira, tu le verra à nouveau. Tu te persuadera qu'il n'a pas besoin de toi et que toi aussi, tu n'as pas besoin de lui. Et tu trouvera le sommeil à nouveau. Ou pas.