C'est vraiment étrange. Alors que tu sens que c'est la fin, que tu sens que tu vas crever, que ton cœur bat si fort que finalement, tu risques plutôt de mourir d'une attaque. Le colt de ton père sur la tempe, le souffle irrégulier et paniqué de celui-ci alors que la dizaine de flics en face de lui essayaient de le raisonner. Pourtant, aucune larme, aucune réaction de ta part. Tu ne comprenais strictement rien de tout ce bordel. Tu aurais du crier, pleurer, essayer de parler à ce père que tu avais tant aimé. Mais non. Aucune tentative de ta part pour le convaincre de se rendre. Non, les seules choses qui défilaient dans ta tête étaient tes souvenirs, ça et la sensation que tu allais exploser de l’intérieur.  Tes souvenirs défilaient vite, trop vite. C'est vraiment étrange.


C'était drôlement calme pour une fin d'après-midi. D'habitude à cette heure, entendre une mouche volée dans l'Orphelinat était mauvais signe. Mais ce jour-là, le soleil avait eu raison de tous puisqu'ils profitaient tous du coin d'herbe devant le bâtiment. Tous ou presque en vérité. Les pas d'une gamine d'une dizaine d'années résonnaient. Elle avait l'air pressé de se rendre là où elle veut aller. Une des chambres plus précisément. Elle toqua. Une fois. Aucune réponse. La petite entre quand même dans la chambre, rien à foutre si elle dérange. De toute façon, qui dérangerait-elle dans cette chambre de gamins vide ? Ouais. Personne à l'intérieur. Elle tira la tronche alors qu'elle s'allongea sur le lit de celui qu'elle attendait. Bon Dieu, qu'elle s'ennuyait quand il n'était pas là. Une de ses bandes dessinés traînait sur le lit. Une série qu'elle avait déjà lu huit cent fois. Oui comme tous les enfants, elle aimait bien exagérer. Lire une nouvelle fois ce tome n'allait pas lui faire de mal, attendant qu'il revienne d'on ne sait où. Et finalement ce moment de solitude ne fut pas bien long puisque l'adolescent arriva dans son dortoir en se moquant de la petite blondinette complètement sang-gène. Eden sourit de toutes ses dents. Ce gamin de 16 ans s'était pris d'affection pour la petite blonde et vice-versa. C'est lui qui l'avait initié à la bande dessinée japonaise et aux comics. C'est lui qui l'incite à fond à dessiner encore et encore depuis qu'il avait remarqué un certain talent chez la petite fille. C'est lui qui était devenu sa seule famille ici, un repère, un soutien important pour deux gamins orphelins depuis toujours, deux gamins qu'on avait abandonnés aux portes de l'Orphelinat alors qu'ils avaient à peine quelques mois. Un point commun sordide qui ont permis plus encore le rapprochement de ces deux enfants. Deux enfants qui doivent survivre, grandir et mûrir seuls dans un orphelinat des quartiers pauvres de New-York. Deux gamins qui ne connaissaient pas les mots familles, papa ou maman. Alors des liens encore plus fort s'étaient crées entre eux. Une amitié, une fraternité et encore plus encore. Qui aurait cru que ce môme pouvait être aussi affectueux alors qu'il était un véritable merdeux avec tous. Ce gamin de seize ans enchaînait les problèmes à l’extérieur, mais surtout il souffrait et voulait se mettre le monde entier à dos pour se venger de ce que la vie lui avait offert. Un avenir merdique d'orphelin. Mais avec cette petite blonde un peu bizarre et à part, qui boudait pour rien, qui buvait ses paroles lorsqu'il parlait de tout et n'importe quoi, surtout n'importe quoi, il avait trouvé en sa présence une sorte de réconfort, un moyen de se dire qu'il vivait vraiment pour quelqu'un. Sauf qu'une des responsables de l'Orphelinat vint briser tout cela ce jour là, venant les déranger alors qu'ils se battaient pour savoir qui allait avoir le dessert de l'autre ce soir là. Elle vint les déranger pour annoncer une bonne nouvelle. Un couple voulait accueillir la petite blonde. Eden allait quitter l'orphelinat. Il vit la joie malgré l’embarras sur le visage de la visage de l'enfant. Il sourit alors inconsciemment, alors qu'au fond, il avait mal. Il allait de nouveau être seul.



Ça faisait un peu plus de quatre ans déjà. Quatre ans que les Whitman l'avait accueilli. Quatre ans qu'ils avaient changé sa vie. Quatre ans qui lui donnaient plus d'amour qu'elle en avait eu durant toute sa vie. Il avait beau ne pas être riches ou pouvoir lui payer tout ce qu'ils voudraient. Il avait beau vivre dans un quartier du Bronx peu fréquentable. Il avait beau ne pas être la famille d'accueil idéale, elle l'était pour Eden. A vrai dire, ils l'étaient tellement tous les deux qu'elle n'avait besoin de personne d'autre. Dans l'immeuble, elle ne parlait à peu de personnes, elle ne connaissait pas les autres gosses et s'en tapait. Tout ce qui lui importait était que les Whitman ne regrette jamais leur choix. Alors elle se conduisait toujours bien, se forcer à faire sombrer ses côtés les plus obscures du à son enfance à l'Orphelinat pour les rendre fière. Elle n'était plus cette gamine sans-gène, vulgaire, qui hurlait ou boudait pour un rien, qui faisait des conneries et qui provoquait son petit monde juste parce que c'était drôle. Eden était devenue trop douce, trop solitaire. Elle se fichait des autres, tant qu'elle les avait eux, et le dessin. Parce qu'elle dessinait toujours. Parce qu'elle aimait ça plus que tout et que son goûts pour les comics et les mangas grandissait alors qu'elle-même grandissait aussi. Parce que les Whitman la soutenaient. Parce que ça lui rappelait ce garçon. Qu'est ce qu'il était devenu ? C'était son seul regret. D'être partie sans se retourner, sans même lui dire au revoir. Il était surement parti depuis. Elle n'avait pas entendu parler de lui depuis qu'elle avait quitté cet endroit. Elle aurait aimé retourner à l'Orphelinat pour savoir où il se trouvait maintenant. Mais la peur de décevoir les Whitman l'en empêchait. Elle avait peur qu'ils pensent qu'elle regrette cet endroit. Plutôt mourir. Plutôt souffrir de cet absence que de perdre cette famille qu'elle avait tant désiré toutes ses nuits où elle rêvait de celle-ci. Surtout que ses rêves allaient se concrétiser officiellement aujourd'hui. Oui elle allait en ce douzième mois, devenir officiellement une Whitman. Eux qui ne pouvaient pas avoir d'enfant, allaient officiellement en avoir un à leur nom.  




Elle avait bien grandi. Certains de ses rêves aussi, bien que certains ont dépéri. Elle était affalé sur le canapé un peu trop vieux, buvant la dernière canette de soda du frigo. Un silence de mort. Un silence pesant qui durant depuis bientôt trois ans. Depuis ce jour où les Whitman avaient vu leurs vies vrillaient. La mère adoptive et l'épouse aimante avait pété un plomb. Elle s'était barrée avec cet amant trop jeune pour elle. Elle les avait laissé en assumant son choix, en promettant à la blonde qu'elle aurait de ces nouvelles. Son père sombra. Licenciement, Chômage, Dépendance, et surtout, comptant sur sa fille et son job de coloriste pour subvenir à ses addictions. Trahison...Trahison...Trahison. Elle avait vu ce mot encore et encore sur une photo d'elle et de son père dans le tiroir de ce dernier. Et Elle se forçait à garder les pieds sur terre. A se forcer à comprendre le choix de sa mère, bien qu'elle ne comprend pas de suite pourquoi elle n'avait pas eu de nouvelles comme elle lui avait promis. On leur signala sa disparition. Le choc fut gros pour la blonde. Mais il le fut encore plus en voyant un drôle de sourire se dessinait sur le visage de son père après le coup de téléphone. Une expression et sourire rapide, mais qui lui fit froid dans le dos malgré tout.

Elle entendit la porte de l'appartement s'ouvrir. Son père sortait très souvent jusque tard la nuit depuis quelques mois. Elle espérait qu'il s'était trouvé quelqu'un. C'est ce qu'elle croyait dur comme fer, car il revenait souvent détendue et apaisée. Sauf que ce soir là, il était rentré bien tôt, il n'avait pas cet air détendu comme à chaque fois, bien qu'il était très calme. Le calme avant la tempête. Elle s'en souviendra toute sa vie. Du regard surpris et inquiet qu'elle lui lança, du baiser qu'il déposa sur son front en lui demandant si ça lui ferait plaisir un petit week-end père-fille loin de New-York, à aller faire de la pèche comme autrefois. Elle se souvient de cette sensation étrange, bien qu'elle fut heureuse de cette proposition, elle se souvient que pour elle, cette dernière sonnait faux. Et elle avait eu raison. La porte qui fut défoncée, les cris des policiers et les hurlements des chiens l'avaient prouvé quelques secondes après. Son père qui l'attrapa par le bras, sa respiration saccadée qu'elle sentait sur sa nuque alors qu'il pointa un glock sur elle, hurlant aux policiers de ne pas s'approcher s'il ne voulait pas d'une victime de plus sur son tableau de chasse. La folie dans la voix de son père, les tentatives des policiers et du FBI pour le stopper sans user de la violence. Tout ça était comme irréelle. Un rêve ? Un cauchemar ? Pourtant elle ne bronchait pas. Elle ne paniquait pas. Elle ne réagissait. C'était comme si elle s'était déconnectée de la réalité. Tout ce qui défilait dans sa tête, c'étaient ses souvenirs. Puis un coup. Puis plus rien, juste des voix, les sirènes en fond et le noir.




L'immeuble n'avait pas vraiment changé. Le bruit de la serrure lorsqu'elle tourna la clef de la porte non plus. L'appartement non plus, bien que des meubles avaient disparu, bien que de nombreux objets et souvenirs aussi. Des pièces à convictions comme on lui avait précisé. Elle n'était pas revenu depuis ce jour de juillet 2015. Presque sept mois. Presque sept mois qu'elle était restée enfermée. D'abord en soins intensifs après une balle dans le thorax, puis dans une maison de repos comme on lui avait répété. Elle n'était pas devenue folle ou suicidaire ou complètement traumatisée par cette histoire, même si tout cela l'avait perturbée. D'ailleurs elle fut incroyablement forte après toute cette histoire, après tout ce que le FBI lui raconta et après que l'affaire fut médiatisée. Non, elle n'était pas devenue cinglée. Mais silencieuse. Tellement silencieuse et stoïque. Rien ne sortit de sa bouche pendant des semaines. Aucune émotion n'était perceptible. Ni larme, ni tristesse, ni colère. Juste de l'incompréhension peut-être. Alors il voulait simplement la garder en observation, le temps de voir. Si son état mental allait suivre celui de son père. Parce qu'il était possible qu'elle finisse comme lui. Elle fut alors suivi pendant ces longs mois. Des longs mois où elle avait la sensation de retourner en arrière, à la case départ. Outre le psychologue qui la voyait quotidiennement, ses pensées étaient ses seuls compagnons. Elle réfléchissait beaucoup trop. Pourquoi ne ressentait t-elle pas de haine ou de colère envers ce père adoptif ? Pourquoi elle l'aimait toujours alors qu'il était devenu la pire des ordures, un tueur en série, un type qui ne mérite même pas de continuer à vivre ? Elle réfléchissait pour trouver les réponses. Mais ce lieu l'étouffait. Alors elle se força à adopter une autre attitude face à au psychologue. Elle se mit à parler, à s'ouvrir, à feindre d'être conscience de ce qu'elle a vécu, à feindre de comprendre pourquoi elle était ici, à feindre d'être apte à vivre une belle vie saine et douce malgré tout ça. Son petit jeu avait marché puisqu'il la considéra assez saine d'esprit pour être libre. Le retour C'était prévu pour Mars 2016. Elle jura qu'elle allait vivre chez un ami à Brooklyn. Faux. Elle voulait juste retourner dans le Parking. Parce qu'elle n'avait pas d'autres repères, Parce qu'elle n'avait eu personne à part le Parking. A part ce père et cette mère, cette mère qui avait finalement été la première victime. Que là-bas c'était chez elle malgré tout.

L'immeuble n'avait pas vraiment changé. Mais les habitants si. Des nouveaux qui la regardaient avec méfiance parce que les anciens leur avaient raconté cette histoire morbide. Celle d'un père qui par vengeance avait tué plus d'une dizaine de femmes mariées en quelques mois, parce qu'elle avait succombé à son charme. La mort s'était déguisée en Don Juan.  Et son nom était Whitman. Un nom aujourd'hui synonyme de cruauté pour la plupart des habitants. Un nom lourd à porter mais qu'elle assumait. Ce nom elle l'aimait. Elle aimait ce père qui l'avait aimé, qui avait été pris de folie en perdant la femme qu'il avait tant aimé. Elle aimait malgré tout ce père qui allait resté en taule toute sa vie. Elle en avait pourtant pas le droit, mais elle l'aimait. Parce qu'il lui a apporté bien plus qu'il ne lui en a enlevé.

Aujourd'hui tout ce qu'elle voulait c'était reprendre sa vie mise en pause. Reprendre son travail de coloriste, ravie que Marvel Comics la reprenne sans poser de question, bien qu'ils l'exploitaient clairement. Reprendre ses planches, ses dessins, ses histoires et les mettre en ligne. Aujourd'hui tout ce qu'elle voulait c'était survivre, malgré le poids de son nom. Ce nom l'a torturé. Les regards dégoûtés et les crachats sur son passage aussi. Les lettres de menaces ou même les mots « meurtrier » ou  « psychopathe » souvent tagués sur sa porte d'entrée aussi. Mais branle. Elle allait se battre pour sa vie, quitte à ce que son sang coule, quitte à ce que ses vices du à son enfance reprennent le dessus. De toute façon, elle n'avait plus personne à rendre fière, alors s'il fallait donner des coups, elle n'hésiterait plus.