« BAMBI ! ON MANGE ! » entendais-tu hurler à travers la fenêtre alors que tu traînassais en bas avec quelques amis qui échangèrent un petit sourire complice avant de te faire l’accolade et te laisser monter parce qu’ils le savaient tous, si tu savais faire preuve de patience ce n’était certainement pas le cas avec ton imposante sœur. Soeur traîtresse qui se faisait d’ailleurs une joie de crier ton petit surnom sur tous les toits pour que chacun puisse en profiter. Il fallait pourtant avouer que ce surnom avait de quoi surprendre ceux qui ne te connaissaient pas et même ceux qui te connaissaient bien que la plupart en ignoraient l’origine et bien heureusement d’ailleurs. A vrai dire, tu te souvenais encore parfaitement de la naissance de ce dernier, près de vingt ans plus tôt. Ça avait été lors de ton anniversaire, tu avais eu quatre ans et comme tous les enfants de ton âge, rien ne te faisait plus plaisir que recevoir une cassette Disney et cette fois-ci, tes parents t’avaient offert Bambi, l’histoire bien connue d’un jeune faon devenant peu à peu un cerf, forcément tu as aussitôt insisté pour le voir et ce qui devait arriver arriva : t’as pleuré à la mort de la mère de Bambi. Pas une petite larme au coin de l’œil hein, t’as pleuré toutes les larmes de ton corps en enfouissant ta tête sous l’oreiller pour essayer de pas de faire remarquer. Dommage pour toi, ta famille n’était pas loin et ton frère et ta sœur en profitèrent forcément pour se moquer de toi, même si eux aussi auraient probablement pleuré même s’ils faisaient les malins. Alors oui, toi, Issam Soandriaka tu as pleuré devant Bambi, ce qui aurait très bien pu rester un événement isolé si ta chère et tendre famille n’en avait pas décidé autrement, si ces traîtres s’étaient contentés de rigoler un coup avant d’oublier. C’est ainsi qu’au sein de la sphère familiale, tu devins Bambi et par la force des choses, un peu à l’extérieure aussi. Tu remercieras la discrétion de tes sœurs pour ça


Assis sur le muret, tu les regardais sans afficher d’émotion sur ton visage à la peau sombre, le regard braqué tel un revolver sur le ring sommaire formé par les hommes qui hurlaient tel des chiens enragés. C’était bon putain ! T’avais beau rester sur ton perchoir sans rien dire, une clope se consumant au bout de tes longs doigts qui auraient fait la joie d’un pianiste, un casque audio vissé de part et d’autre de ton crâne tondu et sans mot dire tu les observais, ces deux types qui se battaient comme des lions. C’était ce que vous étiez tous après tout, des fauves, des carnassiers assoiffés de sang comme ces sales chiens entrainés à se déchiqueter avec cette haine que seuls les hommes étaient capable de ressentir. T’avais beau penser le contraire, tu ne valais pas bien mieux que tous ces types, parmi eux il y avait surement des mecs bien, des mecs qui venaient parier quelques dollars en misant sur leur poulain avant de rentrer à la maison, embrasser leurs gosses puis éventuellement, grimper leur femme ou peut-être venaient-ils au contraire parce qu’ils n’avaient plus rien à perdre ? Tu ne connaissais rien d’eux et tu ne voulais pas les connaître, ces types se déchaînaient ici avant de retourner à leur vie jusqu’au prochain vendredi. Ceux qu’ils faisaient de leur temps libre les regardaient et de toute manière, eux non plus ne s’intéressaient pas vraiment à toi. Du moins, pas en temps qu’homme, pas en temps qu’individu à part entière, avec sa famille, ses histoires et ses emmerdes. Non, ils te regardaient comme ils jugeaient un cheval à la foire, t’aurais d’ailleurs fort à parier qu’ils seraient ravis de te voir bouger, de voir si t’étais aussi rapide que ce que l’on disait, si tes muscles fins et nerveux étaient aussi efficaces que ce qu’ils laissaient à présager, si ce regard de tueur n’était pas du flan. Alors Issam, t’es quoi au juste ? Un sale type ? Un mec qui s’ennuie dans sa vie ? Un mec perdu, qui n’a peut-être plus rien à perdre avec ces conneries ? Un sportif en manque de sensation forte ? Alors bordel, répond ! T’es qui putain ? Tu te crois meilleur que les autres à les regarder du haut de ton mètre quatre-vingt dix-sept ? A les regarder se défoncer chaque vendredi soir ? Non, au fond de toi tu sais que tu ne vaux pas beaucoup mieux après tout, tu pourrais être chez toi, les pieds sagement sous la table de ta mère pendant que tes sœurs se battent pour le programme de la télévision. Tu pourrais être ce que tu veux d’ailleurs, t’es pas stupide ni même laid, tu pourrais faire n’importe quoi dans ta vie mais de toute évidence, t’as plutôt l’air de pas savoir vers quoi te diriger.  « Ho toi. Vas y. » te lance quelqu’un en pressant ton mollet pendant, histoire d’attirer ton attention. Tu te dégages d’une secousse en le couvrant d’un regard ennuyé. Qu’est-ce qu’il te voulait déjà ? « Qu’est-ce que tu veux ? » Tu lui lances assez peu intéressé au final. « Montre ce que t’as dans le ventre gamin » continue-t-il le plus sérieusement du monde, tirant un peu sur ton short pour essayer de te faire descendre. Il commence à te souler, t’aime pas qu’on te dire quoi faire, encore moins qu’on te prenne pour un faible. « Va te faire. » Tu portes ta clope aux lèvre, l’air indifférent mais tu ne sais plus où poser ton regard : le combat était fini. C’est là seulement que tu comprends qu’ils sont décidés à te voir à l’œuvre, qu’ils t’ont désigné pour ce soir. Alors quoi, t’as la trouille peut-être ?