Tommy, il s'en foutait un peu du loyer réduit. Bon, certes, il n'allait pas cracher dessus. Mais ce n'était pas ça qui l'avait motivé à venir aujourd'hui. Il n'a jamais été fan du Parking et de ce vieil immeuble détérioré. C'était à se demander comment il faisait pour tenir encore debout, ce vieux tas de ciment. Alors l'idée de lui donner un coup de neuf, ça l'avait emballé. Il avait bien tenté d'enrôler Jimmy dans l'aventure, mais ce dernier lui avait rit au nez avant de l'envoyer se faire foutre. Le tatoué s'était contenté de hausser les épaules et d'aller se changer. Il avait enfilé un vieux jean, délavé, un peu troué, un peu trop grand aussi, distendu. Et un t-shirt noir, basique, avec déjà quelques tâches de peinture dessus. Il n'avait pas fière allure. Pas de quoi faire rêver la foule. Mais ça n'avait aucune importance. Il avait rejoint le petit groupe, il n'y avait pas grand monde. Rien d'étonnant. Les gens du coin étaient plus du genre à détruire qu'à nettoyer. C'était comme ça, on s'y faisait à force. Il avait enfilé les gants qu'on lui avait donné, attrapé un sceau, un gratte-gratte et du produit et il s'était mit au boulot. Il n'avait rien contre le fait qu'on tag les murs, tant que c'était artistique. Mais là, c'était dégueulasse. C'était sale et indécent. Il prit un bout du mur et bloqua devant le premier tag qu'il devait effacer : au-dessus "nique la police" -un classique- et juste en-dessous "ok, c'est quoi son numéro à cette pute ?". C'était même pas drôle. Même pas original. Même pas cohérent. C'était de la merde sur un mur crade. Charmant... qu'il souffla avant de noyer son éponge dans le sceau pour l'imbiber de produit.

Guan n’avait même pas eu le temps de fermer sa porte que la concierge lui avait sauté dessus avec tout le nécessaire d’hygiène. Non, elle n’avait pas vu le reportage qui parlait du parking à la télé, non, elle n’était pas encore arrivée quand la concierge avait distribué des tracts annonçant un grand nettoyage, et oui elle acceptait gracieusement de l’aider contre trente pour cent de loyer en moins. Le statut de fonctionnaire ne lui permettait pas de gagner assez pour cracher sur quelque chose comme ça, et elle s’imaginait déjà ce qu’elle pourrait s’acheter avec tout cet argent. Rien sûrement, comme d’habitude, elle était plutôt du genre à économiser pendant des mois, de peur que quelque chose arrive. Et, avec Guan, c’était souvent le cas. La concierge avait réussi à convaincre plusieurs habitants, si bien que la brune n’était pas la seule à frotter les murs recouverts de peinture, mais elle préférait rester silencieuse tout en frottant énergiquement un pénis un peu tordu. « Salut, on se fait chier hein ? » Elle se retourne vers le mec à sa droite, grand, brun, quelconque. Elle ne sait pas trop quoi répondre, puisqu’à vrai dire, c’est la première personne ici qui lui parle. Elle préfère hausser les épaules, timide, comme d’habitude. « C’est vrai que si on m’avait dit que j’allais passer ma journée à gratter des bites, je serais peut-être restée dans mon lit. » Elle fit une petite moue avant de se remettre à gratter le mur avec sa vieille brosse savonneuse. Non, décidément, elle n’était vraiment pas douée pour faire la conversation.

Ben oui, faut bien se fondre dans la masse un jour ou l'autre nan ? Alors comme la plupart des gens ici, j'ai jamais eu envie de récurer le mur que j'ai en partie abîmé avec Sky'. Mais bon, quand on s'fait choper en train de remonter les escaliers discretos', on peut pas échapper à la sentence. Et c'est ainsi que la gentille concierge m'a attrapé par l'oreille pour venir me faire frotter le mur. Les gens qui sont là ont l'air tout aussi motivés que moi, ça me fait bien rire. J'les ai déjà vu de loin mais je leur ai jamais vraiment adressé la parole. Manque de motivation avenante et flemme de bouger de ma position probablement. Ou tout simplement parce que leur tête me reviennent pas. J'me pose à côté d'une jeune asiatique après l'avoir jaugé de dos. Plutôt jolie, ça m'étonne qu'elle m'ait pas encore tapé dans l'œil jusqu'à maintenant. Elle cause avec un autre type alors que je frotte le haut du mur avant de pointer un dessin du doigt en écoutant vaguement sa réflexion. "Nan r'garde, c'est pas une bite, c'est un chien." Je fronce les sourcils avant de me résigner d'un coup de brosse sur le mur. "Réflexion faite, c'est bien une queue." J'me marre tout seul avant de recommencer à frotter. Une demi-seconde plus tard, je m'allume déjà une clope, indigné face à ce putain de mur qui ne sera jamais vraiment propre. On est pas des magiciens non plus.

Faire le ménage ? C'est chose commune pour moi qui nettoie les cochonneries de mon oncle tous les jours. Je me suis vêtue d'un short moulant en jean, montant au-dessus de mon petit nombril avec une brassière blanche. Puisque les vents sont frais, j'avais mis également une chemise, ouverte, rouge à carreaux et des collant noirs transparent un peu usés.
J'avais les écouteurs dans mes oreilles et dévalai les marches pour atterrir sur un chantier hygiénique. C'est là, il y a pas de doute. Je me maudis alors d'avoir accepté il y a quelques heures de nettoyer tout ce mur. Des gribouillis y était inscrit à la bombe. Je pouvais y lire notamment "nique la police" et d'autres sobriétés de ce genre.
Les mains sur les hanches, je vis alors que je n'étais pas seule à avoir cédé à la concierge. Je ne les voyait que de dos ; deux hommes et une jolie brune au teint mâte. Ils frottaient vigoureusement le mur et je décidai d'en faire de même en plongeant ma main dans un sceau pour attraper une sorte d’éponge. Je vais aller loin avec ça. Je retirai mes écouteurs, pour pouvoir les entendre.

Lorsque l'un d'eux s'écarta pour fumer une clope, je m'avançai pour frotter le mur sans regarder qui était les courageux. "Effaces-toi, putain !" Hurlais-je en frottant comme une dingue sur un croquis minime d'un homme qui sodomise une femme, enfin, ça en avait tout l'air. C'est galant.

Tu crois qu'on sera payé pour ça ? Tommy met quelques secondes avant de comprendre que c'est à lui qu'on s'adresse. Il tourne finalement la tête vers le garçon, le détaille et laisse encore quelques secondes de flottement, comme pour s'assurer que c'était bien à lui qu'il parlait. Difficile de se faire un avis, le jeune homme fixe le mur avec une telle intensité que rien ne semble prouver qu'il vient de lui parler. Tommy bredouille un peu, pas plus à l'aise que son interlocuteur avant de finalement répondre de façon audible : Non, on s'ra pas payé. Sinon, tout l'immeuble serait déjà là en train de frotter les murs. Ici, dès que y a moyen de se faire des sous, y a toujours pleins de volontaires. Mais elle a dit que ceux qui venaient aider payerait le loyer du mois prochain 30% moins cher. Ça vaut que ce que ça vaut. Au fond, c'était toujours ça de pris. Il toussote un peu, comme pour s'éclaircir la voix et ajoute poliment : Tommy. Il aurait bien accompagné cette très brève présentation d'un sourire, mais ce n'était vraiment pas son truc. De sourire. Alors il s'abstient. En tout cas, ça lui fait plaisir de voir qu'il n'est pas le seul à être venu ici pour des raisons de... citoyenneté, dirons-nous. Et non pas pour le fric. Il reprend sa tâche, sans trop faire attention à ce qu'il se passe autour de lui, aux groupes qui se forment petit à petit. Jusqu'à ce qu'un Effaces-toi, putain ! raisonne à quelques mètres de là. Tommy s'arrête et tourne la tête pour voir d'où cela provient. Une espèce de petite furie blonde s'en prenait violemment à un mur, dans un espèce de combat entre elle et un tag. Et visiblement, c'était le tag qui menait la danse pour l'instant. Tommy se tourne de nouveau vers le jeune à côté de lui. J'crois qu'on a pas choisit la tâche la plus facile, finalement. Certes frotter des murs étaient moins crade que de ramasser des ordures. Mais moins difficile, certainement pas.

« Nan r'garde, c'est pas une bite, c'est un chien. » Guan ne s’y connaissait pas vraiment en chien, elle n’en avait jamais eu, à vrai dire, très peu de personnes en avait dans le quartier chinois. Les chiens, c’était un truc de blanc. Ou un truc pour les pauvres qui crèvent de faim et qui mangent ce qu’ils trouvent dans la rue. Elle ne s’y connaissait pas plus en pénis, mais, à force d’en voir dessiné un peu partout dans la ville, elle avait fini par se faire une idée de la chose, et ça ressemblait beaucoup au truc qu’il y avait sur le mur. Le nouveau venu fronce les sourcils, et se résigne « Réflexion faite, c'est bien une queue. » Et oui mon petit, Mamie Guan a assez d’expérience pour reconnaitre une bite quand elle en voit une, autant t’y faire. Elle lui fait une petite moue, haussant les sourcils. Guan 1 – le petit barbu 0. C’est un petit cri, plein de rage, qui la fait sursauter alors qu’elle s’était remise à frotter le mur taggé. « Effaces-toi, putain ! » Guan se tourne et se retourne aussi vite. Les joues rouges. C’était la tornade blonde qu’elle croisait à chaque fois qu’elle sortait du Parking. Elle se fait toute petite, se rapproche du mur, frotte plus intensément. Elle espère juste que personne d’autre ne va lui parler. Elle aurait du ramener son balladeur, au moins elle aurait eu une excuse pour ne pas faire la conversation. « J'crois qu'on a pas choisit la tâche la plus facilement, finalement. » C’est un grand tatoué qui parle, arrivé avant elle sur la scène du nettoyage. Guan hausse les épaules, pas vraiment convaincu. D’un autre côté, avec son travail, elle avait dû en faire, du nettoyage, laver des corps qui ne ressemblait plus ç rien. Et le sang, ça colle bien plus que le spray en bombe, particulièrement sur la peau. Elle se tait, continu de frotter, pense à la réduction de loyer qui l’attend.