Au revoir Paris.

Valise en main, elle passa les portes de l’aéroport. L’angoisse, perfide, courrait dans son organisme, allant provoquer son organe moteur qui cognait désormais violemment contre sa cage thoracique. Il voulait s’échapper, tout comme elle d’ailleurs. Faire demi-tour, prendre ses jambes à son cou et retourner dans leur vieille maison aux allures d’appartement où elle avait grandi. Cet endroit qui les avait protégés durant toutes ces années, témoin important de ce lien qui les unissait les uns aux autres. Elle n’était pas certaine que ce soit pareil là-bas, de l’autre côté de l’océan, elle avait toujours trouvé les Etats-Unis trop superficiels pour que quoique ce soit de tangible prenne forme. Elle ne connaissait ce pays qu’au travers des souvenirs de sa mère, de ce qu’elle avait pu lire dans les journaux et vu à la télévision, certes les paysages donnaient-ils envie d’y errer, d’offrir à ses prunelles un spectacle splendide mais elle n’était pas certaine qu’il y faisait bon de vivre.

Ce n’était pas Paris.
Ce n’était pas la ville qui l’avait façonnée.

L’inconnu lui faisait peur, prenant en grippe ses poumons au point de faire barrage à l’air. Une pause. Elle avait besoin d’une pause. Elle avait besoin de se reprendre. Elle avait besoin de réfléchir, ou peut-être d’arrêter de le faire. Le changement n’avait jamais eu ses faveurs, et encore moins un d’aussi grande envergure. Soudain, la culpabilité prit le pas sur le reste, elle se sentit mal de songer ainsi alors que tout le monde se réjouissait de ce nouveau départ. Maman disait que tous leurs envies deviendraient réelles, le rêve américain illuminait leurs prunelles, leur rendait le sourire. Tout se passerait bien, ils avaient tous travaillé si dur, il était normal qu’ils soient récompensés n’est-ce pas ? C’était l’opportunité d’une vie meilleure pour tout le monde, alors, elle n’avait aucun droit de s’y opposer de quelque façon que ce soit, alors elle se força à sourire aux promesses d’amélioration que faisait maman. Si elle le disait, alors, cela devait être mieux aux Etats-Unis. A force de le répéter, B, finit par s’en convaincre, comme à chaque fois qu’une contestation, certes silencieuse, venait mettre son esprit à feu et à sang. Elle trouva bientôt des réponses immédiates à la partie adversaire ; elle laissait ses amis derrière elle, ceux avec qui elle se voyait difficilement séparés, mais après tout, ce n’était pas la fin, leur situation se bonifierait et elle pourrait revenir les voir, et puis avec les nouvelles technologies, il était plus aisé de rester en contact. En outre, elles s’en ferait de nouveaux, de différents horizons, à New-York, ses sens se régaleraient sûrement de la diversité culturelle…curieusement, pour une personne aussi ancrée dans ses petites habitudes, cet argument parut la convaincre, réduisant une nouvelle fois cette part de sa conscience insatisfaite au silence. D’ailleurs, en mentionnant cette dernière, elle perdait peu à peu patience d’être à chaque fois muselée par un soi-disant bon sens qui poussait Bébé à écouter d’abord les désirs des autres avant les siens, c’était ainsi qu’elle avait accepté d’offrir sa virginité à son ex-petit-ami alors qu’elle ne se sentait pas tout à fait prête à sauter le pas. Elle tenait à faire plaisir aux gens qu’elle aime, parait-il que c’est une vertu à prendre pour modèle, ou bien un moyen efficace d’annihiler sa propre personne, à cela, Bébé avait déjà statué.

Tout va bien se passer.

Mensonges éhontés d’une âme empoisonnée par des fantasmes chimériques dont l’existence seule relevait du conditionnel. Il n’y avait rien pour eux ici clamait cette opposition après s’être débarrassée de son bâillon, ils n’avaient rien à faire ici ! B la soumit à coups de relativisions et de détermination hystérique. Elle ne pouvait se permettre de songer ainsi, ses parents avaient plus que jamais besoin qu’elle les seconde et elle devint si occupée qu’elle n’eut plus le temps de s’étendre plus longtemps sur le bienfondé de leur présence ici et comme s’ils n’avaient jamais existé, ses doutes disparurent également, ou plutôt ils rejoignirent le contenu de cette boîte logée dans son inconscient où elle entassait depuis longtemps déjà toutes ses frustrations et ses doléances. Le commun l’avait à la peau, et à force d’efforts pour faire ce qui était bien, ce qu’on attendait d’elle, Bébé finit par se noyer dans la masse. Elle n’était en rien exceptionnelle, elle n’était pas un flocon de neige unique, seulement une autre goutte de pluie qui s’écrasait sur le sol dans un clapotis ordinaire.

Et pourtant, il y a lui.
Lui et son regard.
Lui et cette promesse de faire voler en éclats toutes ses certitudes quand ses prunelles rencontrent les siennes.
Lui et ce déferlement de frissons qui mette ses organes sens-dessus dessous.
Lui et cette attraction presque magnétique qu’il semble provoquer en elle.

Myocarde flageolant quand elle s'en approchait, elle s’imaginait bon nombre de récits chevaleresques avec lui mais faillir était proscrit l’avait-t-on averti et en jeune fille sensée comme on aimait à la décrire, c’était une autre aventure qu’elle devait jeter dans cette boîte lugubre.

Pourtant, elle ne pouvait empêcher son regard d’épouser sa silhouette lorsqu’il le croisait. Peut-être ne l’était-elle plus tant que ça, sensée.