Quand on vit replié sur soi-même pendant de nombreuses foutues années pour éviter les coups, faut pas nous demander ensuite de sourire au premier crétin qui passe. Je me suis construite dans la douleur et au fond, il m'arrive de me demander si j'aime ça. Se baisser pour éviter une claque qui ne nous est pas destinée, fuguer pour tenter de tout recommencer. J'avais juré que ce salaud de père n'aurait jamais aucune emprise sur ma vie. Et pourtant, il a fait de moi un monstre en tuant ma mère. « Elle a glissé, elle est tombé, je n'y suis pour rien ». Mais dès que t'es né tu y es pour quelque chose connard. Pas de purgatoire pour toi mon gars c'est direction la barque de charon. Si je croise son chemin, je serais capable de le tuer pour venger ma mère et il le sait. Je n'ai jamais eu les couilles de partir. Ca y est, vous la visionnez bien la lesbienne frustrée et rageuse que je suis ? Ma tronche vous revient ?

J'ai attendu qu'elle crève pour partir. Mes longs cheveux blonds se sont répandus sur le sol qui puait le cadavre en décomposition depuis bien trop d'années. Cette nuit-là a détruit ma vie et mes espoirs, je me suis construite une nouvelle identité. C'est ma façon à moi de renaître de mes cendres.  Cette nuit-là, une partie de moi est morte. C'est dingue à quel point on peut se sentir monstrueux lorsqu'un de nos proches décède sous nos yeux et qu'on n'a pas été capable d'empêcher le drame. « Pardon, je ne recommencerai plus ». A chaque soupir de chaque seconde de sa misérable vie il a menti et moi, je l'ai cru ces centaines de fois. Je pensais qu'on ne pouvait pas faire pire. Puis, j'ai vendu mon âme au diable. J'le connais ce coin de la pièce, celui qui pue la pisse et les larmes puisque j'y passais le plus clair de mon temps. J'avais rien demandé moi, je voulais simplement que les cris cessent, comprendre pourquoi je n'avais pas le droit d'être heureuse. Alors je me suis demandée si le bonheur était simplement possible. Peut être bien qu'il se fout de notre gueule celui-là. Pourquoi est-ce que je me pose encore la question ? La vie m'a toujours crachée au visage alors je lui ai promis de lui rendre la pareille. Too Fast To Live, Too Young to Die baby.

Maintenant j'en suis là, accoudée au bar, je donne un petit coup de pouce pour que le monde puisse tourner. Je verse l'or noir des hommes, comme on aime l'appeler dans le bar où je bosse. On calme les assoiffés et on écoute bien mieux qu'un psychologue de mes deux par chez moi. J'y passe presque toutes mes soirées car je m'y sens comme à la maison. Celle que je me suis créée de toute pièce. Paradoxe, c'est l'alcool qui a poussé mon père à frapper ma mère et à la pousser dans les escaliers. Mais comme a dit le vieux, c'est pas de sa faute, l'escalier était trop penché. Et puis, ces verres ne vont pas se remplir tous seuls. On m'appelle Abby et je me suis faite une petite réputation. J'aime mon métier, il est pas dégueu et j'y trouve pas mal d'avantages. Entre deux whisky, un regard volé, je comble mon manque d'affection. Ce monde est rempli d'anges déchus, descendus pour me consoler. Pourquoi m'en priverais-je ? Je suis faible devant un mignon minois. Mon patron s'en contre-fiche, il dit que j'amène de la clientèle et que tout le monde devrait me remercier. C'est ma famille, celle que je me suis inventée. Par contre je ne touche pas à la poudre magique ou autres substances qui me feraient perdre le contrôle. Ce qui me tuera, c'est la baise. J'y peux rien, j'dois être nympho. Tu crois tout de même pas que j'vais tout de balancer sur moi sans rien demander en échange. Passe me voir au bar un de ces jours, je te servirai de l'or noir avant de me dévoiler entièrement à toi.