1/ Il y eut les premiers mots, les premiers regards. Mère au regard vitreux et un père qui n’en avait que le nom et pas le rôle. Elle a vécu dans un taudis où il y avait à peine assez de place pour elle et l’arrivée de son petit frère. Ce sont des souvenirs sombres dans lesquels elle évite de se replonger, où elle a peur d’y trouver de mauvaises choses qui la pousseront à se fondre totalement dans la folie qui la guette, celle qu’elle arrive à cacher pour ne pas perdre pied. Parfois, elle se dit que ça lui a été transmis par sa mère, un cancer de folie qui traverse les gênes et qui sert d’héritage maudit. Sa mère, dont elle prononce jamais le nom, qui a tenté de leur donner une éducation mais qui était bien trop étouffée par ses propres problèmes. L’absence récurrente du père, la thune qui venait rarement remplir les poches, quelques pièces données à chacun comme argent de poches, de quoi acheter des bonbons dégueulasses à son frère sur le chemin de l’école, des pièces qu’elle a placée dans une jarre au fond de sa chambre moisie, en attendant la liberté. La gosse de douze ans qu’elle était voyait déjà le monde comme un gros bloc de béton sombre, parfois taché des erreurs des autres, de la violence qu’elle retenait en elle, la barricadant sous des tonnes de barrages sauf que les racines étaient déjà fanées, impossible que ça tienne des années. Elle a donné toute sa douceur, le peu qu’elle en avait dans le coeur et dans les mains, à son frère. C’est à lui qu’elle a abandonné ses nuits, qu’elle a apprit le peu de choses qu’elle savait.
2/ L’adolescente a commencée à merder à 14 ans. Période noire et douloureuse où Alma s’est mise dans le rôle de la fille facile. L’attention des mecs, de son immeuble ou de sa classe, elle rêvait de plaisirs éphémères, de la chaleur singulière d’un moment où les souffles se baisent aussi. Au bord de ses lèvres traînent des souvenirs sucrés et amers, les mots durs des rumeurs qui traînaient sur elle, que sa mère pouvait entendre mais qui, comme elle, faisait la sourde. Elle a tentée des milliers de remises en questions, des heures entières à rester enfermées dans sa salle de bain pourrie face à un miroir tout aussi pourri et à se demander ce qui n’allait pas chez elle. Peut-être qu’elle était juste née pour ça, à la recherche perpétuelle de mêler sa langue à une autre et de transpirer de l’attente d’une apogée vite oubliée. Sa vie battait au rythme des battements de son cœur refroidi. Elle ne cherchait pas à aimer, ni à être aimé. Ou peut-être un peu mais sans le savoir. Elle voulait les regards et les désirs primitifs. C’est tout.
3/ Alma a attendue sa majorité pour s’en aller, sentant qu’elle allait crever là, entre les mecs ramenés par sa mère et son frère qui a prit un autre chemin que le sien, un peu moins sombre, qui a résisté bien mieux qu’elle. Un diplôme avec absence de félicitations parce qu’elle l’a décrochée avec peine et en s’en fichant totalement. Alma elle avait pas de rêves et pas d’ambitions non plus. C’était une barque qui se laissait porter par les flots et qui s’est vite laissé couler. La jarre éclatée, elle a fourrés ses sacs de fringues sous prétexte de bonnes études, d’un bel avenir, des mensonges jetés à sa mère qui s’était perdue de toute façon. Tout en quittant la baraque, elle quitte le brun de ses cheveux pour un blond mal décoloré, se lie d’amitié avec des personnes qui voient en elle une belle proie. Envolée les belles études, elle finit par crécher au dessus d’une supérette, l’appart encore plus laid que celui qu’elle avait quitté mais constamment rempli. Elle était jamais seule, jamais en absence de bruits, jamais laissé dans un coin à part pour y chercher de la chaleur contre quelqu’un d’autre. Ca devenait doucement un Paradis perdu dans lequel elle a finit par égaré son chemin. Ses genoux ce sont usés sur des sols crasseux quand sa langue cherchait, fouillait, offrant du vide à des corps tout aussi vides. Ca part d’endroits sales en endroits toujours plus sales, elle usait son corps, fouillant la plaie béante qu’était devenue son cerveau, la faisant saigner chaque fois qu’elle se faisait attraper par les bras d’un type quelconque. Tous tellement quelconques, peu lui sont restés en tête. Rien de particulier si ce n’est ce qu’ils représentaient; des hommes.
4/ Un mauvais soir, le mauvais gars, le bon coup d’seringue. Alma est tombée dans le cercle sans fin de la came, du crack qu’on fait fondre dans les veines et de l’extase qui vient juste après puis la douleur de la redescente. C’était une montagne sur une montagne, elle avait oublié sa sale gueule dans le miroir, ses vêtements qui ne couvraient plus grand chose, ses mains usées du travail ingrat qu’elle faisait à l’époque. L’héro était devenue ses repas, son plaisir en plus d’autres tout aussi malsain. Ca a mal tournée bien trop de fois alors qu’elle était trop défoncée pour comprendre que la réalité reflétait, elle a été poupée de chiffon entre des doigts malintentionnés, prise dans son trip jusqu’à dégueuler. Elle apparaissait comme l’ombre d’un corps à son travail, lorsqu’elle arrivait pas en retard ou ne venait tout simplement pas quand la veille avait été chaotique. Elle flânait dans la salle avec un sourire qui se cassait rarement la gueule, fusillait les chiens qui laissaient venir leur main jusqu’à son cul avant d’en choisir un au hasard pour la fin de service et toujours le même manège bordélique qui a duré quatre ans.
5/ Il y a eut la dose de trop. Peut-être celle qui l’a le plus assommée. Il y avait eu des mauvais trips, des chutes libres en plein cauchemar mais ce soir-là, elle l’a pas prise au bon moment, après un clash violent avec l’un des mecs qui squattaient chez elle depuis des semaines. Elle tolérait sa présence malgré l’irrespect qui régnait. Quelques hurlements qui ont fait vibrer les murs avant qu’elle foute son corps de lâche à la porte et s'éloigne, à son tour, de son taudis. Le corps secoué, les jambes trop fragiles pour tenir son être entier en apesanteur, elle est tombée contre un mur, s’est éraflée la peau, contemplant sa vie vide de sens. Un cataclysme dont elle était seule responsable. L’hystérie l’a guettée mais sa force s’était envolée depuis longtemps. Des minutes, des heures, des jours, il faisait toujours nuit quand à travers ses paupières lourdes, elle a vu une ombre la guetter. Peut-être qu’elle a marmonné quelques insultes trop salées, qu’elle a voulu supplié de ne pas la relever ni de l’emmener autre part qu’ici. Sauf que pour Alma, malgré tout le bordel qu’était devenue sa vie, mourir, c’était pas dans ses projets. Une bulle de vie persistait au fond de son estomac, lui donnant la force de rire, sourire, de rester bloquer, quelques fois, devant le square du quartier où les cris des enfants se confondaient, lui rappelant un frère qu’elle ne voyait que trop peu. Elle pense parfois que c’est sa folie qui la tient debout, la porte, lui donne l’intelligence d’un serpent et tout le vice qui vient avec. Elle restait une connasse dont l’innocence était vite partit.
Le réveil a été rude. L’atmosphère était différente, peut-être moins crade que son studio. Elle s’est relevé avec le coeur battant trop fort au fond de sa poitrine, les mêmes fringues sur elle mais un décor changé. D’abord, elle a cru à un tour de son esprit mal foutu avant de voir débarquer un visage méconnu. Sa voix a crissée quand elle a essayé de l’envoyer chier, son corps encore trop faible. Elle avait l’impression d’avoir du plomb dans la tête et dans l’estomac. Sa fierté en avait pris un coup rien qu’en se trouvant là. Sauvée, ramassée, décollée de la rue, peu lui importait ce qu’il avait fait pour elle ou non, elle voulait juste se barrer. La haine a vite pris le pas sur les remerciements qu’elle aurait dû lui donner, l’orgueil dont elle était remplie refusant de n’esquisser ne serait-ce qu’un sourire. Elle savait pas son nom et avait à peine pris le temps d’entendre sa voix qu’il l’étranglait déjà. Elle a refusée les mots qu’il lui a crachés et a vite fait de ramasser ses affaires avant de fuir loin de ce mec qu’elle a maudit mille fois sur le chemin du retour. Lui et son aide malvenue, elle y a pensé, pensé, pensé. Trop pensé. C’était trop dur à accepter mais elle a eu une hésitation quand elle s’est mise face à la boîte qui contenait tout ce qui l’avait descendue jusque là. Elle a hésitée, longtemps avant de ranger la boîte trop violemment dans un placard le corps secoué de tremblements.
6/ Le temps est vite passé. Elle s’est rattrapée sur les clopes, à défaut d’héro, l’odeur couvrant même celle de son parfum bon marché. La nuit la tenait debout, son job aussi et c’est en plein milieu de son service qu’elle a d’abord entendue sa voix avant de voir son visage. Les mots sont enfin sortis, Alma étant beaucoup moins faible que l’autre soir. Il lui était nécessaire presque vital qu’il comprenne qu’elle n’avait rien à voir avec celles qu’elle voyait parfois passer dans le bar, soumises à leur amant, battant des cils pour quelques mots pleins de fausse douceur. Personne n’était l’élu, personne n’arriverait à rafistoler ce qu’elle-même ne voulait pas guérir. C’est peut-être là qu’elle s’est trompée, qu’elle prononçait une vérité qui est devenue un mensonge. Elle a vite abandonné son coeur dans les mains d’Ambrose, vivant la folie amoureuse sans y poser de limites.
7/ Pendant toute la période des premiers mois puis des premières années, elle a réussi à sortir de sa torpeur, reprenant du plaisir dans des choses simples et moins nocives. Elle a envoyé l’héroïne se faire foutre contre un peu plus de clopes à fumer et beaucoup de son corps et de son âme à donner à celui qui devint père de ses enfants avant même de prendre le titre de mari. C’est au cours de cette première grossesse qu’elle a sentit qu’elle l’avait toujours voulu, retrouver cette impression de pouvoir donner de l’amour, pour que ses enfants n’en manquent jamais. Tout ce qu’elle n’avait pas eu, c’était ce qu’elle voulait pour les deux êtres qui grandissaient au fond de son ventre. Ce n’est pourtant pas ce qu’il a empêché de lancer ses gosses dans un monde qui a heurté celui qu’elle partageait avec Ambrose. Là où régnait un chaos qui leur allait et qu’ils ont imposés aux jumeaux. Elle s’est rendue compte que trop tard que ça a sûrement impacté leur manière d’être, que Sinead s’est sûrement éloignée d’elle à cause de ça, en partie. Le lien avec sa fille est fissurée et la tension qui passe entre elles encore aujourd’hui n’est que trop palpable.
8/ Elle a pensée sa vie comblée, les ennuis déjà loin derrière elle et que le reste attendrait. Elle n’a pas vu venir l’effondrement de son corps. Alma n’en parle que rarement, à part pour faire mal à celui qu’elle refuse d’appeler ex-mari, quand la haine prend le pas sur les tabous. Les fausses-couches qu’elle a enchaînée sont des cicatrices mal refermées, des pertes qu’elle assume mal et l’ont fait redescendre trop violemment sur Terre. Nuit et jour à retenir les hurlements de douleurs fantômes au fond de sa gorge, leurs enfants jamais nés ont été la première vraie fêlure du couple. Elle n’a pas su reprendre le contrôle, soutenir quoi que ce soit à ce moment-là, incapable de comprendre ce qui n’allait pas chez elle, si l’enfer allait recommencer. Le besoin d’espace, de s’éloigner du lieu où elle a donné la mort plus que la vie, Alma s’est tirée loin du parking avant d’y revenir, chantant ce même refrain encore et encore pendant plusieurs mois, son couple n’étant plus qu’un spectre d’un amour qu’elle ne savait pas comment vivre. Le manque de son mari fut souvent une peine trop forte à supporter. Ils ont craqués trop de fois, sept ans où elle n’avait plus envie de croire que ça marcherait encore tout en s’accrochant à lui. Vint alors un miracle, sa lumière pendant des années où elle a combattu ses faiblesses. Maybelle était l’inespérée, l’enfant-reine qui a su recoller les morceaux.
9/ Elle est rapidement montée en grade au sein du clan irlandais où elle était toujours restée dans l’ombre, voyant l’horreur que touchait son mari tous les jours sans trop s’en émouvoir, n’y voyant là qu’un moyen de survivre dans une jungle de béton où c’est au plus fort que revient le pouvoir et la sécurité. Elle tenait et tient toujours le Mercure d’une main de fer, se sentant utile et respectée, une reine traversant le noir en sachant qu’est ici sa juste place. Sa vie a repris une ligne droite jusqu’à ce que son couple éclate de nouveau, brisé par la violence d’Ambrose retournée contre elle. Ce n’était qu’une dispute de plus sur un sujet qu’elle a voulu démentir, trop désinvolte jusqu’à ce que la digue éclate, qu’elle se mette elle aussi à hurler, à faire trembler les murs de leur appartement de sa voix cassée et qu’un poing s’éclate contre son visage. Il n’y a eu qu’un vieux silence avant que le souffle court, elle s’en aille, sa fille entre ses bras, incapable de rester et de prendre le rôle d’une énième femme supportant les coups de son mari, de rester après une promesse envolée à cause de lui. Pour elle ce n’est qu’à cause de lui, qu’à cause de ça que rien n’est réparable. Hantée par sa colère, Alma ne fait le deuil de rien mais refuse de parler d’un divorce, sachant bien qu’elle tient en partie grâce à la bague qui trône toujours autour de son doigt, qu’une part d’elle est toujours peu rationnelle par rapport à Ambrose mais sa fierté l’emporte sur tout, ses peurs cognant encore son coeur meurtri.