Un petit bing bang et tu t’étais retrouvée là. T’étais trop jeune, perdue dans les cris de ton adolescence. Perdue entre un petit papa absent et une mère qui savait mal aimer sa fille, tentait de la contrôler, de l’étouffer, l’empêcher de grandir, de choisir ce qu’elle portait, la faire honte de ses formes qui poussaient trop rapidement, comme quelque chose qu’on devait cacher loin sur les épaisseurs de vêtements. Alors qu’elle ne comprenait pas qu’à l’école on se foutait de toi, qu’on disait que tu portais des tapis et que t’étais moche. Et t’as fini par les croire, tous. Et papa était pas là, pas là pour embrasser tes plaies, te jurer que t’étais belle. Quand il rentrait, il était trop crevé de ses journées sur la route pour demander comment ça allait. Il se contentait de sourire avant d’aller dormir, parce que dans cinq heures, ça recommençait. Alors tu lui souriais en retour et il croyait que tout allait bien, il ne te voyait pas te noyer dans une adolescence difficile, avec une attirance que tu ne comprenais pas et que tu redoutais.
Y’avait cette nouvelle fille aux cheveux noirs, aux yeux bleus. Aleksandra. Transféré dans ton école du fond de la Louisiane. Là où papa et maman étaient venus s’installés, avec ton petit frère à problèmes, pour avoir une vie meilleure, goûter au rêve américain. Aleksandra c’était ta première amie, même si en fait, pas vraiment. T’en avais une autre, avec qui c’était toujours des explosions, une autre qui avait abandonné vos guerres à trois. Sauf que cette fille-là était différente. Elle venait tout bousculer, se fichait bien de traîner entre les populaires pour finalement revenir vers toi. Puis y’as cette journée où votre classe est allée faire du patin à roues alignées. Où tu menaçais solidement de te casser la gueule et où les autres s’en amusaient. Pas elle. Elle était venue prendre tes mains pour te relever, pour la garder, te faire avancer, te faire danser, te serrer dans ses bras, embrasser ton front. Mettre des étoiles dans tes yeux vides. Y verser toute la galaxie. Et quelques soirs plus tard, après des nuits passées au téléphone, y’avais ce drôle de rêve. Celui chez-toi ou vous courriez, mains jointes pour vous cacher, où vous vous échappiez dans la nuit pour vous retrouver sur le plancher de la cuisine, une par-dessus l’autre, mortes de rire. Jusqu’à ce que ça devienne sérieux. Jusqu’à ce que les lèvres se mélangent et que les ventres s’entortillent, que les souffles deviennent creux et que le sang chavire à force de faire des tours pour rosir les joues. Ton cœur battait quand tu te réveillais dans les sueurs de ce qui ressemblait à un honteux cauchemar. Parce que ça te hantait quand elle rigolait et que tu détournais le regard pour ne pas oser regarder ses lèvres. Quand elle jouait dans tes cheveux en te disant que t’étais belle, que tu rougissais et que ça faisait mal partout à l’intérieur de toi. Quand elle retirait ses vêtements dans vos soirées pyjama et que tu serrais les cuisses, pinçait tes lèvres pour que la salive ou les sons n’en sortent pas.
Heureusement. Aleks avait des amis, elle t’invitait à des fêtes et avant longtemps, tu rencontrais un garçon. Un beau, un pour te guérir, te rendre normale. Ou du moins essayer. Il te donnait de l’attention, de l’amour, il était plus vieux, il travaillait, il avait de l’argent, il t’achetait des trucs, des beaux bijoux dont Aleks était jalouse. Sauf que souvent en embrassant ton nouveau petit ami, son visage te revenait. Oh, puis il y eut ta mère, qui n’aimait pas ton nouveau petit copain, qui voulait que tu le quittes et toi, qui partait de chez-elle pour t’enfuir chez-lui. Et lui qui te gardait, te donnait tout, un portable comme tu le voulais, te traînait à des fêtes, t’achetait de l’alcool, te faisait essayer pleins de trucs vraiment cool, qui faisaient un peu (beaucoup) perdre la tête. C’était gratuit. Tous des cadeaux. Il t’aimait, il te faisait l’amour, ça faisait mal un peu, mais ça devait être ça l’amour, ça faisait mal un peu, non ? Il t’aimait et c’était la première fois qu’on t’aimait comme ça. Alors tu t’accrochais et t’essayer de l’aimer aussi, de faire comme tout le monde. C’était meilleur avec la drogue, ça ne faisait presque plus mal quand la Tina coulait dans tes veines, que tu sentais l’excitation monter, que t’oubliais que la main qui te tenais était trop robuste pour être celle que tu voudrais. Et t’arrivais à prendre du plaisir, à croire que c’était comme ça qu’on aimait, qu’on guérissait, qu’on retrouvait un peu de valeur.
Puis y’a ce moment où les cristaux magiques venaient à manquer. Il allait falloir payer, pour ça, mais toi, t’avais pas d’argent, mais tu voulais encore planer. Il a continué à t’inviter à des fêtes, à te faire rencontrer d’autres filles, des belles filles, des filles qui étaient les copines de ses potes à lui, t’intégrant dans son petit cercle. Et les filles entre elles, elles parlaient de trucs qui faisaient palpiter ton cœur, pas d’une bonne façon. Y’a une des filles qui dansait nue, dans un bar, l’autre qui accompagnait des Monsieurs à des soirées, en échange d’argent, pour pouvoir acheter de la drogue, acheter pleins de beaux trucs. Pas toi, Iara ? Eummm… Non, non, pas encore… La pression, l’impression encore, la colère, de pas être normale. Alors t’allais parler à la fille qui accompagnait des types, lui demandait si elle en connaissait d’autres, qui voulaient être accompagnés. Elle te revoyait vers ton petit ami, lui savait, lui avait le pote d’un pote. Why not ?
On t’avait mise dans une belle robe toute brillante, coiffée, maquillée, les seins relevés. Tu savais pas trop ce que t’allait faire, sinon être belle. Et c’est ce que tu faisais, pendant la soirée, sourire, boire, prendre ce qu’on te donnait, rire, faire la belle avec un homme qui avait plus l’âge de ton père que de ton copain. Et ça ne le dérangeait pas ton copain, que tu sortes, que tu t’amuses, que tu gagnes ton fric, t’avais même suggérer de danser aussi, que tu serais belle, comme danseuse, mais t’étais pas assez à l’aise avec ton corps pour ça, pas encore. C’était innocent, avec l’homme, son bras derrière tes épaules, ta tête contre son cou, sa poitrine, l’impression de retrouver ton papa. Et la fête se terminait. Il était tard, t’étais fatiguée et bourrée, alors il te ramenait chez-lui, pour dormir. Et t’avais envie de ça, dormir dans ses bras, qu’il te serre fort, fort, fort. Sauf que quand la porte se refermait, il attrapait tes lèvres, te poussais vers sa chambre, te surplombait et t’étais figée, tétanisée, tremblante quand il enlevait tes vêtements, te faisais mal avec son corps nu qui s’écrasait au sien. Et tu ravalais tes ‘’non’’, ravalais tes larmes dans l’oreiller. Tu pleurais après, quand il tombait de fatigue et que tu te recroquevillais avec l’impression d’avoir fait quelque chose de vraiment mal, avec la certitude que ton petit ami ne t’aimerait plus. Laissant ton orgueil derrière quand ton amoureux revenait te chercher, quand t’aurais voulu Aleks pour chasser tout tes malheurs. Et il te consolait du mieux qu’il le pouvait quand tu lui disais que tu l’avais trompé, quand il te promettait que ce n’était pas grave, que tu ne comprenais pas. Ne voulait pas comprendre. Il promettait que c’était pas grave, qu’elle pouvait recommencer, qu’il l’aimerait quand même, qu’il l’aimerait plus encore. Sauf qu’elle refusait. Alors il l’emmenait en weekend, quelque part, loin, y’avait tellement de drogues et d’alcool, tu ne savais plus. C’était un week-end en amoureux, dans un condo, un week-end où il te faisait l’amour, complètement défoncés, trop défoncée pour le retenir quand il part, quand il revient, ils reviennent. Tu protestes un peu, du mieux que tu peux, mais ton mieux, c’est pas beaucoup. Trop de meth, du GHB. Y’a comme ce moment où t’es plus là. Peu importe ce qu’on fait avec ton corps, peu importe combien ils sont, trop, ils sont trop. T’as oublié de compté, t’as préféré cessé, parce que les visages sont tous flous, tous les mêmes, que les bites sont toutes aussi féroces même si les tailles varient, tu ne remarques plus, tu ne sais plus, tu te dépossèdes même si tu sais ce qui arrive. Tu te réfugies quelque part, dans ta tête, dans les bras d’Aleks pendant qu’on fait l’enfer et la guerre à ta carcasse. Tu ressembles à rien le lendemain, tu sens mauvais, t’es sale, la peau qui colle, qui sent le sperme, et le lit aussi. Il est là, et tu ne comprends pas. Il t’a amené à déjeuner ça fait du bien, il t’a coulé un bain et il s’y glisse avec toi, te laves, te cajoles.
Et ça recommence, pour oublier les cauchemars, les maux. L’alcool, la drogue, un peu moins qu’hier. Et tu t’accroches à lui quand il te fait encore l’amour, quand tu lui supplies de te sauver, de te promettre que c’est pas arrivé. Sauf que y’a d’autres gars qui arrivent pour prendre la suite. Et quand tu protestes, tu reçois une claque. Tu l’as fait hier, tu as aimé ça hier, t’as passé 15 gars, t’étais une vraie salope. Et si tu l’aimes, tu vas recommencer ce soir. Parce qu’il a besoin d’aide, de se sortir de la merde, il doit du fric à des gars qui veulent le tuer, et c’est ta faute aussi, à cause de la drogue, donc tu dois l’aider. T’as pas le choix. Et ça repasse encore, tous ses gars sur toi. Pour mieux te briser. Et t’as tellement l’impression de ne plus rien être, de ne rien être qu’une salope, donc tu te dis que ça ne peut pas être pire, s’il y en a 15 ou 20, ça change pas que t’es une traînée que personne d’autre que lui n’aimera jamais.
T’es prise dans la roue, dans les années. Tu finis par accepter la prostitution, parce que tu ne vaux que ça, tu ne vie que quand on te donne toute cette attention. Et ton amoureux te délaisse peu à peu. Alors, tu rencontres une fille plus jeune, une fille belle comme le ciel. Une fille que t’as envie d’avoir dans ton monde. Alors que lui fais des cadeaux, tu la présentes à ton copain, à tes copines, à tes amies. Tu la traînes à des soirées, avec des hommes plus vieux, des hommes qui donnent des sous. Sauf que tu la laisses pas toute seule. Non, vous êtes quatre et tu t’en fous de te faire prendre quand tu l’embrasses, elle. Sauf que y’a ce petit con qui est maintenant ton ex, qui lui tournes autours, qui finis par te voler ta colombe, la faire tomber amoureuse de lui.
Et y’a toute la rage en toi. L’envie de te venger, les plans qui commencent, les clients que tu fais tout seul, sans lui, sans personne. Un gamin trop riche que tu fais doucement tomber amoureux, à qui tu chantes des rêves de voyages et d’amour. Et le plan fonctionne. Vos billets sont achetés, bye maman, bye papa qui s’inquiètent depuis que t’es avec ce gars. Tu disparais et tu fous le feu à leur royaume damné, avant de disparaître, de te faire oublier, de mourir. Bye Lola. RIP.
Ça a duré, le rêve, les voyages, l’argent, l’exploration. La lassitude vient aussi, la colère, l’insatisfaction. Assez d’être sa jolie poupée, son beau trophée, qu’il prend par la gorge et mène par le bout du nez. Y’a un moment où une fille en a marre d’être un objet. Surtout avec le réseau américain tombé, les gars et les filles emprisonnés. T’as foutu la guerre avec le petit blond, t’as brisé son cœur, l’a explosé sur les murs en lui avouant toutes tes infidélités, ton passé. Bye bye golden boy. It was nice to see ya.
Libre. Enfin. Retournée aux États-Unis, à Brooklyn chez Aleks. Et ça recommençait, la consommation, le sexe pour se sentir vivante, parce que celle que t’aurais voulu de tout ton être, elle aimait les garçons. Elle aimait flirter avec toi, et t’embrasser trop près des lèvres, elle te l’a dit, mais elle a un copain maintenant et toi, t’es une fille. Pire qu’une fille, une pute qui recommençait ses conneries, s’enfonçait. T’as décidé que ça s’arrêtait. Que tu ne pouvais pas replonger dans ce monde. Alors tu t’es installée dans le Bronx, assez loin de ta belle pour survivre, pas trop loin pour mourir. T’as mentis sur ton C.V., décrocher un boulot dans un resto assez prestigieux et là, ça va presque bien. T’as recommencé le sport, tu travailles trop, t’as recommencé à chanter, à tirer les cartes de tarot, à écouter des podcast, à remplir ton appartement de plantes et de cristaux. Peut-être que cette fois, tu vas t’en sortir. Et si t’as compris que ton homosexualité ne serait jamais guérie, peut-être que tes sentiments pour Aleks, eux, arriveraient à se faire une raison.