(01) Né à Griffin, premier enfant d'une famille qui en voudrait d'autres. Tu vis une enfance normale, du moins à travers tes yeux d'enfants. Parents absents pour leurs carrières respectives, tu grandis dans la maison familiale au drapeau Américain toujours dressé sur la façade. Tu es élevé et éduqué par ta Grand-Mère, personnage charismatique de la vie de quartier. Mamie au fort caractère, c'est même elle qui décida du prénom de son premier petit fils, sans jamais révéler la raison de son choix, protestant simplement à sa naissance qu'elle aurait préféré une fille afin de l'appeler Georgia. Toi tu te construis à travers les gueulantes de cette femme qui a connu tant d'épreuves racontées dans d'incroyables récits. Tu ne te poses jamais de questions et ne remets pas en cause son autorité. Elle t'apprend à remettre celle des autres à leur place, en dessous de la tienne. Depuis que tu peux le comprendre et même avant, elle te répète que le pouvoir est la chose la plus importante en ce monde, bien avant l'amour et le bonheur, le partage et la joie que véhiculent les dessins animés qu'elle n'aime pas que tu regardes. (02) Tu as huit ans et t'es le roi aujourd'hui. Y'a des ballons, une piscine de balles et même un putain de poney pour fêter ta naissance. Ton plus beau cadeau c'est Nana qui te l'a offert. Cette douce Nana, adorable grand-mère qui te voit t'exulter quand t'ouvres ton paquet bien emballé. C'est une mitraillette, celle que tu voulais avec le motif camouflage dessus. Toi tu t'en fous des jeux vidéos violents parce qu'on vient de t'offrir une véritable arme à feu. C'est pas ta première, celle là c'est juste celle que tu voulais en plus de celles avec lesquelles tu t'entraines déjà. Maman n'a pas l'air contente, ça fait beaucoup et c'est ta mère, c'est son job de s'inquiéter pour rien. C'est normal pour le reste de ta famille de te voir brandir ton petit bijou susceptible de créer les pires carnages. C'est même Nana qui t'a inscrit dans ce club de tire. T'aurais pu faire judo ou athlétisme mais c'était moins tentant. (03) Adolescence à demie torturée. T'embrasses ton premier mec bien caché derrière le rayon bière de la supérette du quartier. C'est pas discret mais tu t'en fous parce qu'on te craint au lycée. T'es le mec qui pourrait péter un câble et qui a grandit à la gloire du seconde amendement. T'es le petit fils de Louisa Kinney alors ils ont intérêt à fermer leurs gueules. La réputation de Nana, tu la connais qu'à travers ses récits, mais t'y crois toujours parce que dedans tu sais le pouvoir et la domination du nom que tu portes. Toi t'es rempli d'orgueil comme ta verge qui se gonfle parce que t'y vas franco avec cet autre adolescent. (04) Nana sait. On est venu lui dire et elle t'a convoqué dans sa chambre. Tu sais que c'est grave parce que personne n'y entre, même pas son petit fils adoré. Jamais. Tes yeux files à droites à gauche pour marquer dans ta mémoire ce que tu y vois. T'es déçu pour la première fois de ce haut personnage, c'est tellement banal, toi tu n'y vois rien de somptueux en tout cas, rien à la grandeur de Nana. La femme te regarde pourtant avec toute sa sévérité et tu baisses les yeux, même si tu fais sa taille, même si tu pourrais la calmer d'un coup. Tu pourrais pas lever la main sur elle, tu n'y songes même pas un instant et tu baisses les yeux. Seulement ça. Elle te fixe de longues secondes puis se détourne, fouille dans ses souvenirs et ses affaires. Tu regardes du coin de l’œil, tu baisses les yeux quand elle semble se tourner vers toi alors qu'elle change juste d'endroit. Elle finit par s'approcher de nouveau et te tend une photo. Elle en a d'autres dans son autre main mais tu prends juste celle qui t'ai offerte. C'est une femme, une femme de couleur qui sourit de toute son âme. Le portrait date, les bouts sont cornés et la photographie a jauni. Tu relève le regard vers Nana qui te sourit et t'explique. C'est Georgia. Ton prénom, si tu avais été une fille. Ne laisse personne te dire que tu n'as pas le droit, que c'est contre nature. Tu ne l'avais jamais vue avoir un visage si apaisé, comme si la vision de ce vestige était tout ce qu'il y avait eu de doux dans sa vie. T'as compris le secret, c'est la douceur de son être si sévère qu'elle cache dans cette chambre, pas le contraire. J'ai du l'abandonner. Quoi que tu fasses Georges, si tu abandonnes celle ou celui que tu aimes réellement, tu ne l'oublieras jamais. Ca te chamboule parce que ça va à l'encontre de tout ce qu'elle t'a appris. Tu captes pas, elle te passe les autres photos. Certains montrent plus de proximité entre les deux jeunes femmes, d'autres sont beaucoup plus pudiques. T'arrives pas à capter pourquoi elle te le dit comme ça, maintenant, encore aujourd'hui c'est un mystère pour toi. Nana voulait que cette erreur ne soit pas une malédiction familiale mais elle ne l'a jamais dit à voix haute ni clairement. (05) Ta mère est la plus faible de votre clan. Nana l'a toujours dit. Elle ne l'a jamais appréciée non plus. Toi tu la voyais pu dans ton enfance et l'adolescent que tu es devenu s'en fiche encore plus. Du coup tu pleures pas. Tu penses même que tu t'ennuies dans ton costume des grands jours alors qu'il fait trop chaud et que t'écoute un pasteur vanter les mérites d'une femme qu'il pourrait connaître plus que toi. Tu vas pas gueuler ou en vouloir au monde, elle l'a choisi, elle a sauté du pont pour s'écraser plusieurs dizaines de mètres plus bas dans la rivière presque asséchée par l'été. Personne ne l'a poussée, elle a été faible seule. (06) Tu devrais aller à la fac mais t'en as pas envie. T'as la folie des grandeurs Georges, t'as envie d'avoir le double de l'empire de ton père et la moitié de son âge. C'est pas Nana qui va t'en empêcher, au contraire, elle te file de l'argent et te conseille de gagner la grosse pomme, de rien lâcher, de la rendre fière. Alors tu te construis là bas, t'es bien aidé avec ton apport, tu rachètes un club, tu l'arranges, tu engages, tu cognes quand ça n'obéis pas. T'as vingt-deux ans et tu commences déjà à te coucher dans les draps de soi et à exiger le meilleur pour tes repas. (07) Paradis. Mégalomane avec une pointe d'orgueil excessif. Tu l'as déclaré un jour, haut et fort, tes garçons n'ont plus le droit de t'appeler Monsieur. Tu aimes l'idée d'être tout pour eux et pas seulement celui qui les fait danser pour exister, ou survivre. Pour eux, Tu es et seras leur paradis, cet eden inatteignable d'une force supérieure que tu représentes, évidemment. Georges s'évanouit peu à peu parce que ça te monte à la tête, ça gangrène ton cerveau et ton âme de te croire tout puissant. (08) Il n'aurait rien eu de spécial si son regard n'avait pas croisé le tien. Ses émeraudes dans tes saphirs, la plaine qui vient danser avec l'océan pour à peine plus d'une seconde. T'as pas réfléchi, tu l'as attiré sur la route, comme pour le rendre réel, comme pour l'effacer s'il n'était qu'un putain de mirage. Mais il est resté, les semaines, les mois qui suivirent. T'en as fait ta chose et pourtant tu lui as laissé sa liberté, il t'a mis à genoux alors que t'as toujours cru que c'était toi qui régnait sur votre relation. (09) T'es parti. Sans prévenir, sans un mot, parce qu'il n'avait pas le droit de savoir. Parce que tu n'avais pas envie d'affronter ta seule faiblesse : Son regard. T'as fuit quand ça t'a ennuyé, quand les paroles de Nana sont venue te hanter une nuit, puis deux. C'était trop. T'étais pas comme elle là-dessus alors t'es parti. Au final tu l'as abandonné comme elle l'avait fait pour Georgia. Mais tu préfères croire que tout est différent, que ta place est à la tête de ce monde, pas dans les bras d'une âme que tu cherchais à détruire, de toute manière. (09) Tu t'es construis ailleurs, de nouveau. Un autre business, un autre état, une autre vie. T'as presque oublié pendant un temps mais il revenait toujours au coin de tes yeux. C'est pourtant pas pour lui que t'es de retour, t'aurais sans doute été bouffé par ta fierté, incapable de fouler de nouveau le bitume du Bronx si le destin n'avait pas décidé de te faire perdre le contrôle de la seule chose que tu ne contrôles pas : Ta santé. (10) T'es de retour au parking, au Bronx, à New-York. Tu comptes bien reprendre ton ancien job, t'as même pas hésité à ce sujet. T'es là pour plusieurs raisons, la principale étant de te guérir. Mais ça va te couter cher et t'es là pour de belles saisons, tu le sais et ça te donne la plus belle des excuses pour qu'il revienne dans ta vie. Sans lui demander son avis, parce que si toi tu le veux c'est que lui le désire depuis to départ.



(11) Tu as besoin de défier la vie, la mort, de te sentir entre les deux. Pourtant c'est la maladie la plus sérieuse qui te fait le plus peur. Toi qui aimait tant de faire peur à en faire décoller ton coeur de ta poitrine, tu t'angoisses à l'idée qu'un organe puisse te mener à ta perte, la vraie. Parce que dans le fond Georges, t'as toujours mesuré tes défis contre la grande faucheuse, t'as toujours su que tu repartirais gagnant en lui levant ton majeur bien haut. (12) Tu dors peu, très peu. Pour toi, impossible de flâner au lit, de passer des heures entières sagement assoupi. C'est comme si tout son être t'empêchait d'être si calme et serein. T'as besoin juste de quelques heures pour recharger tes batteries et vouloir dominer le monde, ton monde à nouveau. T'aimes pas mettre trois plombes à te lever, tu passes des nuits blanches, tu carbures au café. La nuit te porte pas conseil, elle t'agace, te fait perdre du temps. (13) Aventure épistolaire qui n'est plus de ce temps. Mais Nana refuse catégoriquement que vous communiquiez via écrans interposés. C'est la seule personne à qui tu écris, inlassablement toutes les semaines. Même quand t'es dans la merde, quand t'as trop de choses à faire. C'est automatique dans ton horloge biologique, tu lui écris, lui envoie de l'argent, tu reçois ses réponses. Ça serait tellement beau si vos âmes l'étaient également. (14) Tu ne veux pas voler les corps, tu ordonnes qu'ils tombent dans tes bras, se laissent aller à leur propre perte. Qu'ils en soient conscient ou non, tu détestes t'abaisser à réclamer l'affection de l'autre. Tu préfères t'abstenir que de te vulgariser à faire les premiers gestes. Tu leurs laissent croire qu'ils ont le choix quand tu as déjà pris toutes les décisions à leur place. (15) Pourtant tu n'es pas infaillible. Un soir cette faiblesse s'est matérialisée sur ton corps pour le reste de ta vie. Cachée derrière ton oreille gauche, là où tes cheveux peuvent le dissimuler. Un b, une simple lettre si lourde de sentiments que tu ne veux pas voir faire surface. Un b pour un surnom, pas son véritable prénom. Un b pour ce que tu as construit de lui parce que ce n'est pas ce qu'il était avant ta rencontre qui t'intéresse, c'est ce que vous avez été ensemble. (16) Trois fois par semaines et t'es partie pour quatre bonnes heures dans la même pièce, au même hôpital. Comme tes activités fonctionnent en soirée et durant la nuit, t'arrives à t'en sortir, à ne rien dire. Toi ça te démonte le système d'être à attendre la mort d'un autre pour pouvoir vivre à nouveau normalement. T'as perdu un rein suite à une insuffisance rénale dont tu ignorais l'existence et on t'a dit que l'autre n'était pas assez fort pour continuer de nettoyer ton sang. Du coup t'es en attendre d'une greffe et t'es obligé de faire de la dialyse toutes les semaines. Ça te fait royalement chier mais t'as pas le choix, Nana a même menacé plusieurs fois de te rejoindre si tu faisais le con. (17) T'as du adapter ta façon de vivre, de manger, de boire. Même si tu respectes pas tout et que tu te fais engueuler après tes analyses. T'as pas envie de vivre comme un putain de malade, t'as l'impression que tu vas finir dans un lit, chauve avec un tuyau dans le nez comme les cancéreux. Tu te jetteras d'un pont avant que ça arrive, c'est certain. (18) Nana t'a appris beaucoup de choses, des utiles ou beaucoup moins. Une qui te sert encore aujourd'hui c'est celle de savoir crocheter des verrous, des serrures. Tu peux entrer n'importe où tant que c'est pas bourré d'électronique. T'es pas à pouvoir dévaliser un coffre fort d'une banque -loin de là- mais t'as déjà volé des particuliers de banlieues friquées parce que c'était du pognon facile et que t'en avais besoin. Ça pourra encore te servir c'est certain. (19) Tu ne pleures pas. Pas quand ta mère est morte, quand t'as appris pour ta nouvelle condition, quand t'as réalisé que tu préférais abandonner Bambi. Jamais, à aucune occasion. Tu restes anormalement stoïque quand les larmes devraient perler sur tes joues parce que tu te refuses cette ultime faiblesse. Tu te souviens encore de la seule fois où tu n'étais plus un petit enfant et que t'as laissé les perles s'échapper de tes yeux bleus. Tu te souviens de la gifle de Nana aussi, parce qu'il était hors de question que tu pleures. Leçon retenue pour l'éternité. (20) Tu aimes bouger, entendre le bruit, l'agacement, les rires ou l'angoisse autour de toi. T'as besoin que ça soit vivant pour te sentir toi-même en vie. Et pourtant, t'as ces moments de off ou tu t'installes dans le plus grand silence. Juste quelques minutes, les yeux fermés à ne songer à rien. Juste quelques instants avant que le tumulte incessant de ta vie ne reprenne.