Sac sur l’épaule. Main qui pousse la porte. Fermée. Main qui cherche les clés. Probablement paumées. Te voilà, Caden. A retourner la moitié de ta valise sur le perron de ta petite mais propre maison. Pas un son, sauf des gamins qui rient à l’horizon. Et toi. Toi, qui peste déjà. Toi qui brise le silence, incapable de faire mieux que ça.
Sur ton téléphone, une vingtaine de messages que tu n’as pas daigné écouter. Persuadé que ce n’était pas de cette manière que les choses allaient s’arranger.
Putains de clés.
Cliquetis caractéristique. Elles tombent sur le sol, une fois, deux fois, trois fois, et tu pestes. Tu jures, comme si s’énerver était la seule solution. Comme si c’était ta seule solution. Tu galères. Comme si tu étais soudainement fébrile. Comme si ton corps se projetait trop en avant – plus que ton esprit ne le souhaitait. Plus que ton esprit ne le voulait.
Porte qui s’ouvre, enfin.
Porte qui s’ouvre sur un univers presque vide. Vide de bibelots. Vide d’une présence qui aurait dû se trouver là. Frisson qui te monte le long de la colonne vertébrale, alors que la seule trace de vie, ici, ce sont des papiers sur la table. Certains papiers que tu dois signer. D’autres, à l’écriture manuscrite, qui décrivent simplement à quel point tu as merdé. Qui t’explique à quel point tu sembles être un être détestable, et que tu as besoin de quelqu’un pour te le faire réaliser.
Elle est partie, parce que tu n’étais qu’un abruti.
Brusquement, c’est comme si tu ne pouvais plus rien ignorer.
Brusquement, c’est comme si tu étouffais.
Et ça t’éclate à la figure. Flashbacks violents. Souvenirs que tu ne peux ignorer qu’un temps.
Tu te souviens des cris. Tu te souviens des engueulades, à chaque fois que tu rentrais. A chaque fois que vos voix s’entendaient. Tu te souviens l’avoir haïe. Tu te souviens l’avoir aimée, aussi. Trop, peut-être. Mal, certainement. Et finalement, tu daignes sortir ton téléphone de ta poche. Et finalement, tu daignes écouter tous ces messages. Ses messages. Les avertissements. Les menaces. Est-ce que tu comprends ? Est-ce que tu en es seulement capable ? Whisky. Gamin cliché. Deux doigts. Puis deux autres, puis trois. Verres que tu gobes, comme si elle allait revenir, comme si ça allait tout arranger.
Il y a ce cri de rage qui s’échappe d’entre tes lèvres. Finalement. Cri de colère contre toi-même. Cri de haine.

Living in a world so cold, wasting away
Living in a shell with no soul, since you've gone away
Living in a world so cold, counting the days
Since you've gone away.

Est-ce que ce sentiment s’en ira un jour ? Est-ce que cette impression finira par disparaitre ? Est-ce que la colère finira par quitter ton corps ? Juste le temps d’être un peu mieux. Juste le temps d’être présentable. Parce que tu n’es pas présentable, Caden. Tu le sais. Tu l’as entendu, souvent. Tu l’entends. Déplorable. Parfois pitoyable – et d’autres déclinaisons qui riment en -able, comme lamentable. Egoïste sulfureux. Tu te plais à crier que tu l’assumes. Que tu le sais, que ce n’est plus un secret.
Est-ce que ça ne te plait pas, un peu ?
Est-ce que si tu partais, il y avait moyen que tu ne blesses plus personne comme tu l’avais fait auparavant ? Et si tu partais, loin d’ici, sans plus donner de nouvelles à personne ? Est-ce que ton absence serait bénéfique par sa présence ? T’es-tu déjà senti assez mal ? Assez mal pour juste vouloir disparaître ?
Oui.
Pas forcément de la planète – peut-être que ta faiblesse s’arrête là. Juste de la civilisation. Juste de cette société. Trop lâche pour te couper du monde à jamais, trop égoïste pour assumer. Pour vivre avec.
Comment font-ils tous, pour vivre avec ?
La question tourne en boucle dans ta tête. Dans l’ombre du bar, entre les riffs de guitare. Un verre à la main, un torchon dans l’autre. Brouhaha léger. Le monde qui s’échauffe. Tu te sens vide. Hors de ce monde.
Tu étouffes.
Sincèrement, tu étouffes. Animal. Bête sans nom, sans âme. Tu pourrais … Tu pourrais tellement de choses. Partir. Surtout partir. Tu pourrais aller t’excuser, après toutes ces années. Tu pourrais ressurgir, chien galeux, dans la vie des personnes qui ont un jour comptées sur et pour toi. Tu pourrais essayer de réparer les choses que tu avais brisées. Les sentiments que tu avais éclaté au sol, les personnages dont tu t’étais détourné. Parce que c’était plus aisé que de voir la vérité. La réalité.
Mais le monde a continué de tourner. A quoi tu pensais ? Qu’est-ce que tu croyais ? Tu n’as pas besoin de revenir gâcher la vie des autres, en soufflant des excuses, en murmurant que, peut-être, tu as changé. Ils ont construit leur château sans même te concerter.
Peut-être que tu devrais faire de même. Te remettre à tourner. Te remettre à avancer, à évoluer et qui sait, progresser.
Mais, c’était plus facile, d’oublier la vérité. C’était plus facile, de râler sur le vieil alcoolique du coin. De le sortir lorsqu’il commence à trop foutre le bordel. De te faire un peu sec dans tes gestes. De jeter les gens dehors avant que ça ne dégénère. De fermer avec l’accord de ton patron sur un coup de colère. C’était plus facile, d’être énervé, que de penser à ce que tu étais.
Un con sans intérêt.