I
B o n n i e and C l y d e
Il se sentait à l'étroit dans son siège auto. Il ne savait pas depuis combien de temps il était dans la voiture, mais ça faisait bien trop longtemps pour ses petites jambes qui ne demandaient qu'une chose – se dégourdir. Maman jetait des coups d'oeil anxieux vers la banque, puis se retournait quelques fois vers lui pour lui dire : « Reste calme, chéri ». Oui, il voulait bien rester calme, mais qu'est-ce qu'il s'ennuyait ici ! Papa était parti vers la porte depuis vingt minutes déjà, avec un gros sac et des gants. Il sait pas trop pourquoi des gants d'ailleurs, parce qu'on était en été et qu'ici, il faisait super chaud. Heureusement que la voiture avait la clim, parce que sans ça, Maxen était persuadé qu'il aurait tout fondu comme le chocolat dans la casserole que maman préparait souvent.
Soudain, papa ressort. Il court super vite jusqu'à la voiture alors que maman a déjà démarré dès qu'elle l'a vu sortir. Papa balance le gros sac à ses pieds, se laissant tomber sur le siège dans un : « démarre, vite, vite ! ». C'est là que Maxen le vit : le pistolet dans les mains de papa. Il avait peur de ce truc-là, depuis que ça avait explosé à la télé – il aimait pas le bruit que ça faisait, ce machin-là. Surtout qu'après il avait vu un Monsieur tombé par terre avec du sang – c'était la seule chose qu'il avait vu avant que maman ne lui cache les yeux et l'emmène au lit. Mais quoi qu'il en soit, il savait qu'un pistolet, ça faisait pas du bien, et il se demandait pourquoi papa n'en n'avait pas, et aussi pourquoi est-ce qu'ils roulaient aussi vite.
Mais il ne disait rien, se contentant de regarder le pistolet avec angoisse jusqu'à ce que papa le range, se retourne et lui sourit : « Tout va bien, Maxen. » Alors, il se détendit, lui sourit à son tour de toutes ses belles dents, et tourna la tête vers la fenêtre. Dehors, le paysage défilait, et il ne savait pas combien de temps est-ce qu'il allait encore devoir rester assit. Il savait juste qu'il en avait déjà marre. « - On va où ? - Loin d'ici, chéri. » Il ne savait pas trop où c'était, ça. Mais bon. Pas grave.
II
N e w f a m i l y
Maxen pleurait à chaudes larmes depuis déjà vingt bonnes minutes. Il avait les yeux qui brûlaient et les joues toutes rouges, le nez qui coule un peu, il devait probablement pas être beau à voir mais il n'arrivait pas à s'en empêcher. Il ne savait pas ce qu'il faisait là, entouré de grandes personnes, une madame avec des talons et tout plein plein de policiers – les mêmes que ceux qui ont mis les menottes à papa et maman. D'ailleurs, il savait pas où ils étaient, papa et maman. Il voulait pas qu'ils aillent en prison, lui. Ils étaient biens tous les trois dans la voiture, à voir tous les paysages du monde, des montagnes et des fleurs, des maisons originales et colorées. Il aurait bien voulu y retourner, d'ailleurs c'est ce qu'il répétait sans cesse entre deux sanglots : « je veux papa et maman et la voiture ! » A force, il avait appris à patienter dans son siège auto, pendant des heures parfois, à s'occuper en regardant par la fenêtre, en imaginant tout pleins d'histoires différentes avec tous les animaux ou les gens qui passaient sous son regard.
Il aurait voulu s'inventer encore pleins d'histoires, et parfois les raconter à papa et maman.
La madame finit par revenir vers lui pour le serrer doucement entre ses bras. Il s'y accrocha comme une bouée, parce que c'était la seule personne ici qui avait l'air un peu gentille. « - On a réussit à te trouver une maison d'accueil... Tu vas même avoir des copains pour jouer ! C'est pas génial ça ? - Je veux papa... et maman... » Il sentit bien la madame se crisper, et son sourire n'était pas heureux du tout. Mais il la crut lorsqu'elle lui dit : « Tu vas les revoir bientôt ». Alors, il sécha ses larmes. Si il allait les revoir bientôt, il n'aurait pas longtemps à attendre dans cette nouvelle maison, peut-être qu'il n'aura même pas le temps de s'obliger avec les autres garçons.
Cela suffit à dessiner un léger sourire sur ses lèvres alors que la madame l'emmenait vers un couple.
III
D i f f e r e n t
« - Maxen, vient mettre la table ! - Oui Carole, j'arrive ! » Il lâche son crayon et son carnet à dessin pour descendre à la cuisine. Elle est là, lui souriant de plus belle, et il se traîne jusqu'aux assiettes pour les installer sur la belle table en bois. Aujourd'hui, des amis à ses parents viennent manger à la maison, et il stresse un peu. C'est la première fois qu'ils viennent à la maison, la première fois qu'il va les rencontrer – et toujours les mêmes questions, comment tu t'appelles, tu es bien mignon tu sais, puis se tourner vers sa mère et dire : Combien de temps est-il parmi vous ? Sept ans. Sept ans qu'il était ici, qu'il vivait comme si il était leur fils biologique. Il ne s'attend plus à revoir ses vrais parents, il n'en n'a plus vraiment envie.
Il se sent bien, ici. Chez lui. Aimé et choyé.
Le seul problème, au fond, c'est le regard des autres. C'est se dire : je serais toujours l'adopté, pas comme Mickael, leur fils biologique, des cheveux aussi blonds comme les blés que ceux de sa mère, les mêmes grands yeux bleus de son père, quand Maxen était bruns aux yeux verts. Il détonait, ici, et si ça ne le dérangeait pas lorsqu'ils étaient juste en famille, il avait toujours eu du mal à faire face aux invités. Même pas par timidité, car il ne l'a jamais vraiment été. Malgré son année passée dans une voiture, tout seul, il n'avait pas eu trop de problèmes à s'ouvrir aux autres.
Ça sonne. Sa mère part ouvrir alors qu'il les rejoint dans le salon, avec Mickael, pour se présenter. Il triture nerveusement ses manches, sourire d'un air crispé sous les compliments. Puis, ils passent à table. De longues heures à tenir assit sur une chaise, mangeant alors qu'il avait l'estomac complètement noué. Encore une fois, les mêmes regards attendris, cachant un peu de compassion pour cet enfant ramassé chez l'assistante sociale, accueillit comme si il était un chien dans un chenil. Il ne supportait vraiment pas ça, mais il se taisait, encaissait, répondait aux questions, distribuait ses sourires polis et mangeait en silence.
Alors qu'au fond, il n'avait qu'une envie : celle de remonter dans sa chambre et de dessiner, dessiner ces paysages remémorés, dessiner pour ne jamais les oublier.
IV
M o m m y
Il détestait le sport.
Pourtant, chaque année, il avait droit à ce putain de cross à la con prévu dans la forêt juste à côté. Et, oh, inutile de préciser qu'il terminait chaque année dans les derniers et qu'il récoltait chaque année une note de merde. Il avait bien essayé de se faire porter pâle, mais sa mère avait été intraitable : il irait à ce cross. Alors le voilà dans les petits chemins escarpés remplis de cailloux et de racines qui semblaient prendre un malin plaisir à le faire trébucher dès qu'il leur passait dessus. Il avait d'autant plus de pression que Carole était à l'arrivée, venue exprès pour l'encourager. Se foirer était une chose – se foirer devant sa famille, ça en était une autre.
Et ses poumons qui prenaient feu. Horrible. Le cross était l'une des techniques de torture les plus primaires. Il était sûr qu'avec ça, pas mal de guerres auraient pu être évitées – à force de faire courir Hitler dans cette forêt, il était persuadé qu'il aurait tout simplement abandonné son idée de Solution Finale. Il ne fallait pas grand chose pour faire craquer un homme, n'est-ce pas ? A vrai dire, il se demandait bien comment est-ce qu'il avait fait pour ne pas s'arrêter, courant toujours avec un rythme de tortue asthmatique, mais courant quand même.
Et puis enfin, l'arrivée. La banderole qui approche, le regard qui se fait flou sous l'effort, toute l'énergie portée sur ses dernières foulées – et Carole qui hurle pour l'encourager, comme le font toutes les mères autour d'elle. Comme toutes les mères. Il dépasse la ligne d'arrivée, s'arrête pour tenter de reprendre son souffle devenu inexistant maintenant. Le monde tournait un peu trop autour de lui quand soudain deux bras l'encerclèrent : « Tu as réussi mon chéri ! Tu as réussi... » Il reste un instant figé avant de l'entourer de ses bras à son tour, soufflant un « Merci, maman... » à peine audible.
Les larmes de joie qui coulèrent le long des joues de sa mère valurent bien plus que tous les cross du monde.
V
P a r a d i s e
Ça aurait pu s'arrêter ainsi. On aurait pu se dire : il a retrouvé une famille, réussit ses études, fut heureux jusqu'à la fin de ses jours – oui, ça aurait pu s'arrêter ainsi. Mais c'était trop simple, non ? C'était pourtant une journée comme les autres, au départ. Il s'était peut-être un peu égaré dans les rues de New-York après les cours, il s'était peut-être mis à découvrir d'autres quartiers, d'autres personnes, d'autres regards – mais rien ne se serait passé si il n'avait pas croisé ce regard en particulier, ce bleu océan glacial, qui s'est infiltré dans ses veines et les a glacées à leur tour, ces vagues en furie qui semblaient engloutir son âme à chaque seconde passée plonger dans ces yeux-là.
Il s'est laissé prendre la main par cet inconnu. Il s'est laissé traîner sur la route par cet inconnu, alors que le feu était au rouge, alors que la voiture allait à une vitesse folle. Il s'est laissé tirer, se rendant compte de la situation sans pouvoir esquisser un mouvement, se contentant de sentir son cœur s'affoler sous la terreur de se faire écraser, percuter de plein fouet et mourir là, ici, à seulement 18 ans – se contentant de trembler sous l'adrénaline, ses yeux rivés sur la silhouette devant lui.
Il venait de frôler la mort pour un inconnu et oh, si seulement ça avait été la seule et unique fois. Si seulement, une fois de l'autre côté de la rue, son Paradis ne se serait pas retourné vers lui pour se présenter, comme si tout était normal, comme si il ne l'avait pas hypnotisé pour lui faire frôler la mort sans aucune réaction – comme si cette fissure au creux de ses pupilles ne gonflait pas le cœur de Maxen, sans explication aucune. Si seulement, une fois de l'autre côté de la rue, il n'avait pas signer son arrêt de mort – ou le commencement de sa vie -, si seulement il avait su se contenter de l'engueuler avant de disparaître.
Mais il avait toujours su, au fond. Il avait toujours su que plus rien ne serait pareil après cette violente collision avec l'âme glaciale du monde contenu dans ce seul regard.
On parle souvent de coup de foudre – on ne parle jamais de coup de vent.
VI
P a r k i n g
Il ne l'a plus jamais lâché, son paradis. Les autres non plus, d'ailleurs. Depuis cette rencontre avec la douleur de l'humanité, il n'arrivait plus à s'en passer. Comme une addiction étrange, il s'envoyait ses doses en cherchant au creux des regards de ses rencontres de passage cette douleur infinie, ce gouffre sans fond dans lequel il aimait se noyer pour se sentir mieux, pour se sentir utile et aimé et combler ce vide de ses lèvres, de ses doigts, de son corps offert en sacrifice pour un bonheur éphémère qu'il aimait distribuer à tour de bras. Il rentrait de plus en plus tard à la maison, allait de moins en moins en cours. Il ne se laissait pas aller pour autant, loin de là. Simplement, il voyait son avenir autrement que ce qu'il avait imaginé auparavant, quand son Paradis n'était pas encore entré dans sa vie, pour lui ouvrir les yeux et faire éclater son cœur en milles morceaux éparpillés dans les fissures de chaque personne qu'il avait rencontré, et aimé pendant une nuit, déposant chez chacun d'eux une petite miette de lui qu'il ne retrouverait plus jamais.
Alors, il a finit par prendre sa décision. Il a dit : papa, maman, laissez-moi m'en aller plus tôt que prévu, laissez-moi vivre et m'envoler, je vous promets que ça ira, je vous supplie de me faire confiance. Et ils l'ont fait. Il est arrivé au Parking quand il avait seulement 19 ans, il s'est fait embaucher dans la boîte de son Paradis, parce qu'il avait le corps de rêve et le déhanché qu'il fallait – et parce qu'il savait qu'il avait cette place particulière dans son cœur, le seul avec qui il pouvait ressentir cette adrénaline exaltante, qui vous donnait le vertige lorsque vous étiez si proche, si proche de la mort sans jamais l'atteindre complètement. Leur relation se résumait à ça : danser sur le fil. Et ça lui suffisait, ça leur suffisait. Enfin, c'est ce qu'il pensait.
VII
O v e r
Parce que Paradis est parti. Il lui a laissé les parts de la boîte et il a disparu sans laisser de traces. Les autres aussi, ils se sont tous effacés, un par un – un par un sauf Orpheus, un petit gars en fauteuil roulant rencontré totalement par hasard au skate parc, et qu'il n'a plus jamais lâché. Bambi, il s'est noyé dans ses amours multiples, il arrachait son cœur pour l'offrir à n'importe qui et ils l'ont broyé, écrasé, craché dessus. Tout ça parce qu'il n'était pas normal. Et il s'en voulait, de ne pas être normal. De ne pas aimer une seule et unique personne, d'en faire son tout, de ne pas être capable de ça ; capable d'aimer correctement, comme tous les autres le voudraient.
Les parts de la boîte en main, il ne savait pas trop quoi en faire ; et c'est en voulant les vendre qu'il s'est retrouvé o-propriétaire avec Neslihan. Ils ont fait de la boîte quelque chose de bien mieux, de beau, qui le rendait presque fier d'y travailler ; ça allait mieux, pendant un temps. Il s'est dit qu'il avait de la chance, qu'il repartait sur de bonnes bases, avec un métier qu'il pouvait cette fois réellement considéré comme de l'art, et un amour, un amour qui avait l'air beau et doux et qui lui faisait du bien au cœur.
Mais son nouvel amour est tombé dans le coma. Trois mois de douleur, d'attente, de nuits blanches à espérer qu'il revienne. Il s'est même pris un chien pour combler le vide dans sa poitrine, mignon petit Nai hors de prix. Trois mois, un réveil et une disparition. Il s'est réveillé, et il est parti. Comme tous les autres. Et puis, le Lumignon a volé en éclats, lui aussi. Et Bambi s'est alors convaincu qu'il ne pourrait rien garder auprès de lui, qu'il ne réussirait jamais à être celui qui faut, qu'il gâcherait toujours tout – même son métier. Paradoxalement, il a décidé de se reprendre en main, ou tout du moins essayer.
Il a regardé Orpheus, présent depuis le début, qui l'a vu dans les pires états du monde, et lui a naturellement demandé ; « Tu voudrais vivre avec moi ? »
Essayer de repartir à zéro.
Encore.