cœurs liés. l’amour familial, les minois dirigés les uns vers les autres avec des sourires affables. papa et maman qui se tiennent la main à table comme deux adolescents incapables de se lâcher (de peur que leur amour finisse par s’étioler s’ils cessent de se toucher), nova à un bout et dasha à ses côtés. nova qui raconte sa journée de collège, dasha qui explique toutes les arabesques qu’elle a dessiné sur des feuilles de papier qu’elle finit par tendre à ses parents à la fin du repas.
alors là c’est maman. elle explique, un sourire qui lui dévore le visage. maman est toute ronde, un peu trop rouge, les cheveux filasses et bruns qui tombent en crollent de son crâne dégarni. dessin d’enfant qui l’amuse alors qu’elle embrasse le front de sa cadette.
puis là c’est papa. forme difforme et bleutée aux yeux noirs ronds, bras en bâtons. papa rit fort. dasha fronce les sourcils, persuadée d’avoir fait quelque chose qu’il ne fallait pas.
tu aurais pu me faire un peu plus musclé quand même… il feint de râler. il remonte un peu ses manches et contracte ses biceps. dasha mêle son rire à celui de son paternel, et ne parvient pas à retenir un
woaaaah ! admiratif. et puis le doigt de dasha s’attarde sur la forme rosée (la plus réussie des trois) qui représente nova. elle est belle nova, dasha a veillé à reproduire ses longs cils noirs et sa bouche toute rouge.
et puis là c’est nova ! on dirait blanche-neige, pas vrai ? elle demande, se tourne vers l’intéressée. dasha, elle adore papa et maman…
mais dasha elle aime encore plus nova. ses grands yeux sombres dans lesquels elle se noie, l’envie qui transpire dans les prunelles de la cadette d’être aussi belle et parfaite une fois le même âge atteint. et dasha qui ne cesse de répéter :
plus tard, je serai aussi jolie que nova, sourire béat placardé sur le minois. elle serre son dessin contre son cœur, où résidera sa famille pour l’éternité.
poupées de sang. le cul vissé sur une chaise, les jambes se balançant dans le vide, dasha se mordille les lèvres avec impatience. soupir à fendre l’âme qui déchire ses lèvres enfantines, coup d’œil jeté à l’horloge murale (et qu’elle peine encore un peu à lire correctement) : 19h passé.
la mine sombre, une femme à la posture austère et aux boucles brunes remontant sur sa nuque s’approche. dasha penche légèrement la tête sur le côté, intriguée.
tu veux bien me suivre ? elle demande avec une douceur qui crée un paradoxe avec sa posture. dasha hoche la tête et suit la femme jusqu’à une salle de classe.
ta sœur ne devrait pas tarder à arriver. tu veux un chocolat chaud ? les sourcils qui se froncent légèrement.
c’est pas nova qui vient me chercher. c’est papa. il l’a dit ce matin. elle accuse, le regard inquisitoire. la femme la regarde quelques instants, maelström d’émotions qu’elle aurait pu mieux cacher qui défile sur son minois.
du chocolat chaud ? elle redemande, sans répondre à l’affirmation de la gamine d’une dizaine d’années.
oui s’il vous plaît. dasha, elle savait même pas qu’on avait le droit à du chocolat chaud. lundi, elle oubliera pas de le raconter à tout le monde dans la classe ! ou… ou bien elle gardera l’information pour elle, pour avoir un secret que personne ne connaît. la femme ne tarde pas à revenir, une tasse fumante entre les mains. dasha s’assoit sur une chaise semblable à celle de sa classe, devant un pupitre en bois vernis qui a connu des jours meilleurs.
et puis nova arrive.
nova elle a seize ans, les yeux barbouillés d’un noir d’encre qu’elle a dû mettre un temps fou à appliquer sur ses cils. (parfois dasha la regarde se peinturlurer la face.)
son mascara a coulé. son rouge à lèvre ne suit pas la courbe de sa bouche mais s’étale sur les côtés. et ses yeux sont vides, embués de larmes. dasha n’a même pas touché au chocolat chaud mais elle se lève d’un bond pour courir jusqu’à son aînée.
qu’est-ce qu’il y a nova ? elle a la voix qui tremble, dasha. intérieurement, elle a sans doute déjà compris.
papa et maman… elle a la voix qui se brise. dasha n’a que dix ans mais le rapprochement est instantané. (elle a toujours été plus mature que les autres et d’une intelligence fine.)
c’est pas possible. elle affirme, trop calmement. pourtant, ses grands yeux sombres se remplissent déjà de goûtes cristallines. elle tourne les talons, retourne à son pupitre et fixe son chocolat chaud sans y toucher.
sans bouger.
ils vont venir me chercher. papa l’a dit ce matin. elle répète comme un automate. les larmes roulent le long de ses joues, ses cheveux bruns aux reflets auburn tombent en cascade devant son minois. elle les remet vers l’arrière, s’agace sur leur tendance à toujours revenir se coller contre ses joues. et puis dasha regarde nova.
et elle fond en larmes pour du vrai, cris, larmes, hématomes à force de se frotter les yeux.
décédés dans un accident de voiture, morts sur le coup. deux gamines laissés derrière eux, deux gamines à la vie à jamais bouleversée par leur départ précipité.
haut les mains. la démarche féline, une ombre qui s’immisce derrière une jolie jeune fille aux cheveux bruns coupés courts. nova. elle fouille dans sa commode, et dasha ne tarde pas à hurler :
rendez-vous, vous êtes cernés ! les doigts tendus en un pistolet improvisé pointé contre la nuque de sa sœur aînée. nova se retourne lentement, la culpabilité visible sur son minois.
j’ai rien fait… elle bafouille. alors dasha murmure, réprobatrice.
sois plus convaincante steuplé nova, un soupir venant fendre l’air.
qu’y a-t-il madame l’agent ? elle bombe le torse, sûre d’elle.
vous êtes coupables d’avoir participé à un trafic de… elle s’arrête, fronce les sourcils (marque de fabrique depuis des années).
c’est quoi le mot déjà ? elle chuchote, moment hors-jeu pour ce mot qui lui trône sur le bout de la langue mais qui refuse de sortir.
stupéfiants, elle rétorque nova en souriant légèrement. dasha lui adresse un regard noir (pour le jeu) et répète le dit mot.
elle passe un ruban rose (c’est le seul qu’elles avaient) autour des poignets de nova et la conduit derrière le lit, qui sert de prison.
vous allez croupir en taule pour un long moment, mademoiselle larsson ! elle lâche, la mine hautaine alors qu’elle relève le menton. et puis elle éclate de rire, le jeu se termine.
t’es vraiment pas douée pour être la suspecte. elle grommelle. mais nova attrape déjà ses affaires, prête à s’en aller. dasha lui attrape la main, refuse d’être seule.
tu vas où ? on peut encore jouer… elle demande, implore presque.
je dois sortir, je te l’avais dit. elle a l’air désolée mais ça l’empêche pas de s’en aller.
dasha reste seule dans la chambre, la moue boudeuse, le vide dans le cœur. nova elle avait promis après l’enterrement de papa et maman d’être toujours là pour dasha… mais nova elle a sa vie. alors si dasha sait qu’elle ne peut pas lui en vouloir, elle a du mal à ne pas se laisser étouffer par la déception.
mais dasha n’a besoin de personne pour être un bon flic. un jour, elle trouvera le coupable de la mort de ses parents. un jour, ce sera la policière la plus forte de new-york, celle grâce à qui règnera la justice dans toute la ville. elle y croit dur comme fer dasha… il le faut. après tout, les forces de l’ordre ont bien trop rapidement classé l’homicide de ses géniteurs. Il y a anguille sous roche, dasha le sait.
voyage voyage… les dents qui claquent contre le béton alors que la vérité lui claque à la gueule. fini le quartier huppé de new-york dans lequel elles avaient l’habitude de vivre, gamines larsson ayant réussi à vivre une vie convenable grâce à l’aînée. le petit-ami de nova s’est barré, emportant avec lui le semblant de constante de leur vie. nova n’a plus assez d’argent pour qu’elles puissent rester dans cet appartement si joli où elle s’était imaginé passer le reste de sa vie (à squatter avec sa sœur, absolument normal en soit…) et c’est le parking qui leur tend les bras.
un immeuble bien loin de transpirer le luxe du précédent qu’elles viennent de quitter.
les valises à roulette qui les suit alors qu’elles avancent, montent les étages jusqu’à leur nouveau lieu d’habitation. dasha se fiche de ce que l’on peut penser d’elle, dasha ne craint rien ni personne, mais dasha évite quand même de croiser les regards de ses nouveaux voisins. c’est pas la même ambiance ici, elle a peut-être un peu peur de se prendre un coup de couteau dans le bide pour avoir osé dévisager la mauvaise personne…
deux pièces délabrées qui semblent se ratatiner encore plus quand nova et dasha ouvrent la porte grinçante. dasha qui résiste de peu à l’envie impérieuse de tourner les talons et de supplier nova de reprendre son connard d’ancien copain juste pour retrouver un peu de dignité.
c’est juste toi et moi maintenant, hein ? elle demande avec résignation, les doigts toujours emmêlés à ceux de nova.
c’est le début d’une nouvelle vie qui s’écrit. sans papa. sans maman. seize ans au compteur et beaucoup de conneries en ligne de mire. elea à ses côtés (for ever, elles l’ont écrit un peu partout), des cons à éloigner de sa sœur aînée, le devoir de la protéger et son année scolaire à ne pas louper…
un bon planning qui ne demande qu’à être repoussé pour dormir jusqu’à ce que l’éternité s’éteindre dans les limbes de la débilité.